Pourquoi se disent-ils musulmans ?

D’aucuns trouvent que les musulmans ne se mobilisent pas assez pour dénoncer la barbarie des terroristes qui se revendiquent de l’islam. L’affaire n’est pourtant pas simple. D’abord, nous sommes dans une nation où, contrairement à l’Angleterre, les citoyens ont transcendé leurs différences pour «ne former plus qu’un». C’est donc tous ensemble, au nom des droits de l’homme, que l’on se soulève lorsque ces derniers sont bafoués.

Mais il y a une autre explication du malaise des Français de confession musulmane : on n’a jamais demandé au pape de s’expliquer sur les suicides collectifs du Temple solaire… pourquoi ? parce que l’opinion publique savait que le Temple solaire relevait d’une dérive sectaire et ne représentait en rien les catholiques. Lorsque l’on demande aux musulmans de rendre des comptes sur l’agissement de mafieux terroristes qui instrumentalisent leur religion pour justifier leurs assassinats, cela revient à considérer qu’il y a un lien entre l’islam et la barbarie. Et c’est là que la difficulté commence.

Bien entendu que les «jihadistes» utilisent des versets historiques du Coran (ceux qui racontent un pan de l’histoire musulmane) comme s’ils étaient des principes de l’islam. Ils vont ignorer un verset qui demande le respect des autres croyants : «En vérité, ceux qui ont cru, ainsi que les juifs, les Sabéens et les chrétiens, ceux qui ont cru en Dieu, au Jugement dernier et qui ont fait le bien, seront préservés de toute crainte et ne seront point affligés (1)» et celui qui demande le respect des incroyants «supporte avec patience les propos des infidèles et au moment de les quitter, prends soin de ménager leurs susceptibilités (2)», pour ne garder que ce verset circonstanciel : «A l’expiration des mois sacrés, tuez les polythéistes partout où vous les trouverez ! Capturez-les ! Assiégez-les ! Dressez-leur des embuscades ! S’ils se repentent, s’ils accomplissent la salât, s’ils s’acquittent de la zakât, laissez-les en paix, car Dieu est Clément et Miséricordieux (3) .»>

Les terroristes ont aussi redéfini la notion de jihad, s’asseyant sur quatorze siècles d’islam. Normalement, seul un gouvernement peut décider de se mettre en légitime défense si son territoire est attaqué, selon des conditions très strictes. Comme dans la notion de «guerre juste» des catholiques, il y a un lien entre un peuple, un territoire, la notion de légitime défense et la décision d’un gouvernement. Comme pour les autres religions, seul Dieu décide de la vie d’un homme. Le jihad ne peut jamais être individuel !

Les terroristes «jihadistes» sont forts : ils reprennent chaque élément de l’islam, l’ôtent de son contexte et le tournent à l’envers de sa signification première. Mais l’opinion publique, elle, les perçoit comme des musulmans.

Pourquoi ces terroristes veulent-ils se faire passer pour des musulmans ? Mais parce que cela leur permet de revendiquer la liberté de conscience, garantie par nos sociétés démocratiques et laïques ! Et cela fonctionne très bien. Ces groupuscules ont redéfini l’islam et imposé leur vision du monde totalitaire avec la bénédiction de certaines associations des droits de l’homme et de «lien social», alors qu’ils conduisaient des centaines de jeunes à la rupture sociofamiliale et justement «capturaient» la conscience des plus fragiles. Au lieu d’appliquer les grilles de lecture d’enfance en danger (plus d’utilisation de la raison, plus de musique, plus de loisirs, plus de sport, plus de mélange avec les camarades, plus d’école), des professionnels, des militants, des élus estimaient qu’il fallait «respecter le droit à la différence».

Mais il n’y a pas plus islamophobe que de penser que l’islam revient à interdire la musique, le sport et l’école ! On sait que les représentations négatives de l’islam ont mené à la stigmatisation et à la discrimination, mais on dit moins qu’elles ont également mené au laxisme. Plus personne ne s’étonne de rien quand il s’agit de l’islam : «chez eux», c’est comme ça…

Voilà pourquoi l’affaire n’est pas simple : créer la confusion avec les musulmans constitue l’objectif numéro 1 des radicaux. Augmenter la peur de l’islam nourrit leur discours de complot contre les musulmans, ce qui justifie ensuite leur mission d’exterminer tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

Cette année, ils ont tellement affiné leur technique d’endoctrinement qu’ils arrivent à toucher une bonne moitié de jeunes de familles athées, juives ou chrétiennes, qui n’avaient aucun lien avec la mémoire de l’immigration ou l’islam. Empêcher que leur discours continue à faire autorité, c’est d’abord prouver aux jeunes le décalage entre ce que ces terroristes disent et la vérité : ils ne font pas d’humanitaire en Syrie mais ils assassinent tous les musulmans syriens qui ne font pas allégeance à leur groupuscule. Avant d’en arriver à l’extermination externe des yazidis et des chrétiens, ils ont commencé par la purification interne. Pourquoi la politique internationale n’a-t-elle pas réagi dès cette première étape ? A chaque fois, les musulmans sont les premières victimes des terroristes qui prennent en otage leur religion.

Dounia Bouzar, Anthropologue et directrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI). Auteur de : «Désamorcer l’islam radical ?», l’Atelier, 2014. (1) Coran, 5/69. (2) Coran, 73/10. (3) Coran, 9/5.

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