Poutine, fidèle héritier de Bush

Capture d'écran du site du ministère russe de la Défense, affirmant dévoiler une frappe aérienne effectuée le 6 octobre en Syrie. Photo AFP
Capture d'écran du site du ministère russe de la Défense, affirmant dévoiler une frappe aérienne effectuée le 6 octobre en Syrie. Photo AFP

Le maître du Kremlin ne fait que prolonger, par son invasion de la Syrie en septembre 2015, l’œuvre de démolition lancée par George W. Bush avec son invasion de l’Irak en mars 2003. La mobilisation citoyenne qui s’était opposée à l’invasion de «W» éclaire en creux le silence qui accompagne l’invasion de «Vlad» en ce moment même. Que nous est-il donc arrivé, à tous et à chacun, pour que les préjugés culturalistes, au mieux, les théories conspirationnistes, au pire, prennent le pas sur le libre exercice de notre raison ? Poutine, lui, n’a pas plus changé que Bachar, quiconque s’oppose à lui est un «terroriste». C’est à la faveur de la «guerre globale contre la terreur», déclenchée par l’administration Bush au lendemain du 11 Septembre, que Poutine est devenu ce qu’il est : le restaurateur d’une Russie mêlant nostalgie tsariste et méthodes guébistes, le tout dans le sang d’une Tchétchénie dont la résistance était écrasée au nom, déjà, de la «lutte contre le terrorisme».

Bush se moquait de punir les auteurs des attentats de Washington et New York, il a même laissé Ben Laden et son adjoint Zawahiri fuir vers le Pakistan. Non, le président américain était animé d’un dessein bien plus ambitieux, il ne voulait rien de moins que reconfigurer le Moyen-Orient pour y implanter la démocratie sur les ruines de la dictature irakienne.

On sait ce qu’il en advint : ce n’est pas le seul Saddam Hussein qui fut renversé, c’est l’Etat irakien qui fut détruit. Il n’y avait pas, en 2003, de force jihadiste entre le Tigre et l’Euphrate, mais Al-Qaeda s’est implantée au cœur du Moyen-Orient à la faveur de la croisade de Bush. La sécurité du continent européen était fragilisée par cette folle aventure : des carnages terroristes ensanglantaient Madrid en 2004, Londres en 2005.

Daech, le bien mal nommé «Etat islamique», s’est nourri d’une telle catastrophe. L’aviation russe ne le frappe qu’à la marge, mais s’acharne sur les groupes révolutionnaires qui sont les seuls à le combattre : à l’exception de Palmyre, livré par Assad aux jihadistes en mai, le «califat de la terreur» n’a conquis en Syrie que des territoires pris à l’opposition. En ciblant cette opposition à Assad, Poutine ouvre un boulevard à l’horreur jihadiste. Le président russe peut s’accommoder d’un tel désastre, car c’est en France et dans les pays voisins que les partisans de Baghdadi viendront semer la terreur. La propagande russe affirme déjà que des centaines de jihadistes sont contraints par ses bombardements de refluer vers l’Europe. Un mensonge de plus de la part du Kremlin ? Mais si cette réalité est avérée, combien de temps faudra-t-il encore pour comprendre que Poutine, comme Bush avant lui, compromet la paix sur notre continent, non pas aussi directement qu’en annexant la Crimée, mais de manière tant pernicieuse que redoutable ?

Oui, la campagne menée par la Russie est une agression de type impérial contre le peuple de Syrie. Les Assad ne sont pas plus légitimes à gouverner ce pays que ne l’étaient les Somoza au Nicaragua. Et l’intervention russe au profit de cette dynastie de dictateurs est aussi infâme que l’était celle des Etats-Unis en Amérique centrale. Les veto répétés de Moscou au Conseil de sécurité ont permis au despote syrien de massacrer sa population en toute impunité, jusqu’à déverser des armes chimiques sur sa propre capitale. Son arsenal est russe, les chars, les missiles, les avions.

Mais cela ne suffisait pas à endiguer l’effritement des positions du régime. L’armée russe est entrée en action parce que son allié était en train d’être vaincu, c’est aussi simple que cela.

Saddam Hussein était un dictateur monstrueux, mais l’invasion américaine, loin de solder l’héritage de cette oppression, a précipité le pays dans un nouvel enfer. Daech est d’ailleurs dirigé par d’anciens cadres de Saddam, qui ont troqué le Baas pour le jihad, sans rien amender de leur projet totalitaire.

Il faut le répéter : le Kremlin peut se permettre de jouer avec le feu jihadiste parce qu’il est convaincu que c’est chez nous, et non en Russie, que la terreur de Daech va sévir.

Poutine a raison sur un seul point : ce n’est ni à Washington ni à Paris de désigner le dirigeant de la Syrie. Mais Moscou n’en a pas plus le droit et son intervention est fondée comme toutes les interventions de ce type sur la négation du droit d’un peuple à l’autodétermination.

Le peuple de Syrie a été depuis trop longtemps abandonné aux nervis d’Assad, puis aux exécuteurs de Daech. Bachar a expulsé par la force la moitié de ses compatriotes. Les réfugiés ne sont pas les victimes d’une catastrophe naturelle, ils fuient la tyrannie et le chaos qu’elle a engendrés. Quant aux jihadistes, qui avaient applaudi à l’invasion de l’Irak en 2003, ils ne peuvent que se réjouir de la campagne de Poutine. Et c’est sur notre continent que cette violence déchaînée risque de trouver son sanglant exutoire.

Jean-Pierre Filiu, Historien, professeur des universités à Sciences-Po Paris. Dernier ouvrage publié : les Arabes, leur destin et le nôtre, La Découverte, 2015, 62 pp., 14,50 €.

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