Préserver l’industrie du voyage, c'est préserver notre lien avec le monde

Il y a plus de quarante ans, j’ai commencé ma carrière en dirigeant une petite agence de voyages destinée aux étudiants québécois, parce que j’avais la conviction qu’il fallait leur permettre de découvrir le monde. Cela m’a amené à fonder ce qui allait devenir Transat et sa filiale Air Transat, plusieurs fois désignée au cours des dernières années comme la meilleure compagnie aérienne vacances au monde.

Œuvrer dans le domaine du voyage, c’est faire face à des crises tout au long de son existence. Crises économiques, climatiques, politiques ou bien sûr sanitaires, Transat en a connu son lot et les a surmontées au fil des années.

Et puis est arrivée la COVID-19, qui apporte des bouleversements bien plus grands que tous ceux que nous avons connus auparavant. Depuis presque un an, les déplacements internationaux sont réduits à la portion congrue, avec des effets dévastateurs sur tous les acteurs du voyage. Compagnies aériennes, aéroports, sous-traitants, agences de voyages et entreprise du tourisme souffrent comme jamais.

Au cours des dernières semaines, alimentée par quelques images de touristes irresponsables qui ne respectaient pas les mesures d’hygiène pandémique les plus élémentaires, s’est développée toute une rhétorique contre le voyage en avion. Cette peur est à présent alimentée par l’existence de nouveaux variants, dont on craint qu’ils soient introduits par avion au Canada, malgré tous les efforts faits par l’industrie pour que le voyage soit sécuritaire et malgré le fait que les arrivées internationales sont aujourd’hui bien plus nombreuses à la frontière terrestre qu’aux aéroports. En conséquence, le gouvernement nous a demandé d’interrompre tous nos vols vers le Sud jusqu’au 30 avril, et nous avons accédé à sa demande, ce qui nous contraint à suspendre la totalité de nos opérations, qui ne peuvent être maintenues pour quelques vols par semaine.

La pandémie qui nous afflige demande à tous de nombreux sacrifices, et les compagnies aériennes en ont déjà pris plus que leur part. Mais je voudrais qu’on ne raye pas d’un trait de plume tout ce que le développement du voyage international depuis cinquante ans nous a apporté d’ouverture au monde et aux autres, d’enrichissement, de plaisir aussi. Il est trop facile de céder à la tentation de trouver un responsable à nos difficultés et d’imaginer que l’ennemi nous arrive de l’extérieur, de l’étranger — alors qu’il circule parmi nous depuis très longtemps.

L’écosystème aérien au Canada a mis des décennies à se bâtir. Notre pays considère tellement que ce secteur est stratégique qu’il interdit aux entreprises qui y opèrent d’être détenues majoritairement par des intérêts étrangers. En conserver la maîtrise, c’est s’assurer de la connexion avec le reste du monde et de la stabilité de celle-ci, même en cas de crise.

Le transport aérien ne peut pas juste être mis sur pause, puis redémarré sans effort au bout de quelques mois. Les investissements se perdent, les compétences se délitent. En témoignent les dizaines de milliers de travailleurs du secteur qui expriment leur détresse depuis des mois et qui, de plus en plus nombreux, doivent envisager une autre carrière. Les coûts et les efforts pour redémarrer et rebâtir ce qui a été perdu seront gigantesques.

C’est pourquoi il est urgent que le Canada cesse de mener une politique à courte vue. On ne peut pas se contenter d’empêcher les Canadiens de voyager ou de les exhorter à ne pas voyager sans se soucier des conséquences. Les mesures annoncées ont le mérite de clarifier la situation immédiate. Il est maintenant urgent de préparer un plan clair pour l’avenir.

Il faut définir la manière dont on va s’assurer que les entreprises du voyage, les compagnies aériennes, les aéroports, les voyagistes, les agences de voyages et tous les acteurs de la chaîne vont disposer des liquidités nécessaires pour survivre à la crise, rembourser leurs clients qui n’ont pas pu voyager, préserver leurs compétences, leurs ressources humaines et leurs capacités à opérer.

Et il faut déjà mettre en place les mesures qui, lorsque le temps sera venu, permettront de redémarrer au plus vite de manière sécuritaire. De ce point de vue, la mise en place de tests aux aéroports, que nous réclamions depuis des mois, est un pas dans la bonne direction.

Nous avons déjà beaucoup trop tardé. Ne nous replions pas sur nous-mêmes et assurons-nous de préserver notre lien avec le monde. Si le gouvernement semble enfin vouloir engager le dialogue, nous serons là pour le mener. C’est urgent, et c’est vital.

Jean-Marc Eustache, Président et chef de la direction de Transat.

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