Au-delà de la séquence, qui permet de parler d'une contagion de la contestation dans les pays arabes et musulmans (mais sont-ce des qualificatifs bien pertinents pour désigner ces sociétés plurielles ?), il faut bien constater que les réalités politiques, économiques, sociales, culturelles, bref humaines, rendent tous ces pays du sud et de l'est de la Méditerranée, et au-delà, extrêmement différents les uns des autres.
Si l'on fait, au pas de charge, le tour de la "région", on remarquera que le détonateur tunisien, où dominent les diplômés chômeurs de régions délaissés par l'Etat (plus que par le régime, comme on l'entend bien souvent) et où l'élite tunisoise travaille certainement à récupérer le train en marche, n'a que peu à voir avec le contexte égyptien, où la jeunesse cairote nantie et éduquée a réussi à fédérer une contestation qui a poussé ou aidé la colonne vertébrale du système politique, à savoir l'armée, à faire sauter un fusible devenu gênant. Que dire aussi de l'Irak, où la démocratie (si on limite ce mot l'existence d'élections libres et pluralistes) a été établie à la pointe de la baïonnette américaine.
Que dire du Yémen et de la Libye, où les clivages régionalistes, religieux et tribaux sont assurément plus prégnants que ne le sont les paradigmes de la démocratie. Que dire des monarchies du Golfe et, par exemple, de Bahreïn, où la contestation de la communauté chiite majoritaire est aussi ancienne que l'émirat-royaume, ou du Qatar, étrangement absent de la couverture d'Al-Jazira. Que dire de l'Iran, où la répression est assurément féroce, mais où les leaders de la contestation sont issus du sérail de la Révolution islamique. Que dire enfin de l'Algérie, où les années de guerre civile sont à coup sûr présentes à l'esprit de tous les protagonistes.
Il n'est donc ni raisonnable ni utile de penser que la contestation va s'étendre à l'ensemble de ces pays, de manière mécanique, au nom du fait qu'ils se ressembleraient tous, culturellement, religieusement et politiquement. Si contagion il y a, c'est principalement du fait des médias, d'une communauté de langue et d'une grande désespérance sociale. Au-delà, c'est le contexte propre à chaque pays qui s'impose et permet d'expliquer que la contestation y prend… ou n'y prend pas.
Au Maroc, un appel à manifester a été diffusé par différents mouvements de jeunes, via le réseau social Facebook entre autre. Ces appels n'ont pas été relayés par les partis politiques ou les syndicats, mais bien par différentes organisations de défense des droits humains. Le Parti pour la justice et le développement (PJD), islamo-conservateur, s'est dit non concerné par l'appel à la marche du 20 février. Le porte-parole du gouvernement s'est dit, pour sa part, serein, ajoutant que le gouvernement s'attachait à répondre aux revendications des jeunes. Comment analyser cette situation ?
A notre sens, il existe deux facteurs principaux à la stabilité actuelle du royaume. On pourrait parler de double désamorçage. D'un côté, le champ politique a fait, durant les années quatre-vingt-dix, l'objet d'une ouverture aussi indéniable que limitée, qui a vu les partis de l'ancienne opposition de gauche devenir des partis de gouvernement et des personnalité issues parfois de l'extrême gauche occuper des positions de pouvoir. Une véritable compétition électorale a été mise en place, dont témoignent notamment les élections de 2007 (ce qui ne veut pas dire que tout y soit transparent et exemplaire). En outre, la page des "années de plomb" a été tournée avec l'instauration d'un Conseil consultatif des droits de l'homme, dès le règne d'Hassan II, et la mise en place peu après de l'Instance équité et réconciliation. Le processus s'est prolongé dans le domaine de la presse, où le maintien de lignes rouges (notamment la personne du roi) et l'utilisation de procédés de pression indirects (l'assèchement publicitaire) n'empêchent pas l'adoption de positions très critiques.
L'autre désamorçage, on l'observe du côté social. Le Maroc est un pays de profondes inégalités économiques et sociales, avec des marges très largement délaissées. En se présentant comme le "roi des pauvres" et, plus encore, en multipliant les initiatives de type social (l'Initiative de développement humain, le Plan d'urgence pour l'enseignement supérieur, les divers chantiers urbains et de réforme), Mohammed VI réussi à se placer au-dessus de la mêlée, au point que l'hebdommadaire francophone le plus critique et son pendant arabophone pouvaient titrer, cet automne, "Faut-il qu'il fasse tout ?".
LE RÉGIME N'EST PAS MIS EN CAUSE EN LUI-MÊME
La question n'était pas dénuée de critique mais montrait que le problème principal ne résidait pas tant dans la personne du chef de l'Etat lui-même que dans la répartition des responsabilités. Autrement dit, la critique la plus forte porte sur ce que fait ou ne fait pas le gouvernement et, derrière lui, les partis politiques, plutôt que sur le leadership royal lui-même. Le régime n'est pas mis en cause en lui-même. On remarquera d'ailleurs que les revendications sur Facebook touchent plutôt à la justice sociale et que, lorsqu'elles s'étendent au domaine politique, elles revendiquent l'avènement d'une monarchie parlementaire.
Il reste que les réformes politiques et sociales ont marqué, ces derniers temps, un certain ralentissement. Ce n'est pas tant le manque de volonté qui est en cause que l'ampleur des défis et l'inertie d'une partie du système à se réformer, dès lors que rien ne semble l'y contraindre. Ainsi en va-t-il de la réforme de la justice, véritable serpent de mer des gouvernements successifs. Toujours sur le métier, jamais réellement entreprise, sinon sur des questions périphériques, elle risque de rythmer la vie politique du pays dans les prochaines années. De ce point de vue, la question n'est pas tant de savoir s'il faut craindre une contagion du printemps arabe au Maroc que celle de savoir s'il ne représente pas une opportunité pour le pouvoir : celle de reprendre son souffle dans l'élan réformiste, en s'appuyant sur la contestation observable ailleurs pour, premièrement, souligner le succès du double désamorçage, qui permet au Maroc d'échapper à la crise et, deuxièmement, éviter les affres du temps en réactivant d'anciens dossiers et en en mettant de nouveaux sur la table.
En effet, de nombreux Marocains sont descendus dans la rue pour manifester. A Rabat, nombreux étaient aussi les badauds venus assister au spectacle de la manifestation. On pouvait croiser des vendeurs de sucreries. Alors que quelques partisans monarchistes étaient regroupés devant la gare, un cortège composite remontait l'avenue Mohammed V. On ne percevait pas de coordination générale, mais une succession de groupes représentant le pluralisme marocain, de la gauche, majoritairement, aux islamistes, en passant par les défenseurs de la marocanité du Sahara. Beaucoup de jeunes, mais pas seulement. Les slogans ne visaient pas la personne du roi, même quand il s'agissait de condamner la tyrannie.
En revanche, on pouvait observer de multiples mises en cause du gouvernement et, plus encore, de l'injustice sociale : confusion du pouvoir et de l'argent, corruption, holdings privés, telles étaient les cibles principales. Incontestablement, le régime dispose d'une large marge de manœuvre fondée sur le pluralisme même du mouvement et sur son absence de polarisation. Il paraîtrait raisonnable d'en profiter.
Par Baudouin Dupret et Jean-Noël Ferrié, directeurs de recherche au CNRS.
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le souhait de tout Marocain,la démocratie à l'Anglaise ou à l'Espagnole,avec la démocratié moins de corruption est égal moins de pauvreté.