Proposons à la Tunisie d'adhérer à l'Union européenne

Face au printemps des peuples arabes, les dirigeants européens sont à la peine. Leur incapacité à s'enthousiasmer pour ces batailles de la dignité et du courage aux portes de l'Union européenne (UE) crève les yeux. Invoquer, comme le président français depuis 2008, l'Union pour la Méditerranée (UPM), ajoute de la confusion à l'inaction. Unir des démocraties et des dictatures ne débouche sur aucun progrès. Et aujourd'hui, chaque pays arabe en révolution appelle une politique spécifique. La Tunisie est à ce moment le pays où la révolution démocratique est la première à s'accomplir. Pour l'Europe, comment soutenir la Tunisie ? Comment la conforter ? Comment s'engager aux côtés des tunisiens enfin libres ?

En prenant un engagement généreux, audacieux, durable et responsable : celui d'ouvrir l'UE à une adhésion de la Tunisie. Une telle politique serait la plus pertinente sur tous les plans : idéalisme, intérêt, géopolitique, réalisme.

L'idéalisme : la Tunisie, si proche et familière bascule dans la liberté : n'est-ce pas une extension des valeurs universelles qui animent en pratique l'Europe depuis la décolonisation et le Traité de Rome ?

L'intérêt bien compris : il y a une continuité démographique, territoriale, réticulaire, économique, sociale, universitaire, entrepreneuriale, commerciale, touristique, immobilière et linguistique entre les européens et les tunisiens. C'est en l'organisant ensemble que les uns et les autres en tireront le meilleur parti.

La géopolitique : l'élargissement est, l'expérience le démontre, la voie la plus efficace pour co-produire un intérêt général commun aux postulants et aux Etats déjà membres. Il permet de mutualiser la mobilité géographique et les circulations migratoires, des idées et des richesses.

Le réalisme : les négociations d'adhésion, bien plus que les politiques de coopération et d'assistance, sont un levier puissant pour la transition démocratique, la construction de l'état de droit et le développement.

UN PIED D'ÉGALITÉ

Les Français et les Espagnols évoquent un plan Marshall (la Tunisie serait-elle ruinée et menacée d'un retour de la guerre froide ?). L'Italie un don immédiat de 5 millions d'euros. La Commission, 258 millions sur trois ans, plus un statut de partenaire avancé, comme le Maroc et la Jordanie, ni plus ni moins. Pourtant, l'UE n'a pas attendu 2011 pour financer l'investissement en Tunisie et d'autres pays du monde arabe. Le partenariat euro-méditerranéen puis la politique de voisinage ont programmé 16 milliards d'euros depuis 1995.

Nos dirigeants européens sont en décalage avec leur propre histoire. Avec les grecs se libérant de la dictature des colonels et les portugais en révolution des œillets (1974), la Communauté économique ruopéenne (CEE) a très vite envisagé l'adhésion. Idem avec les espagnols s'affranchissant du franquisme (1975). La Tunisie actuelle n'est-elle pas comparable à la Grèce et au Portugal d'alors ? L'UE s'est ensuite ouverte aux européens de l'Est libérés des dictatures communistes en énonçant les critères d'adhésion de Copenhague (1993) : ils sont toujours en vigueur !

L'heure n'est plus aux dons et à la guerre anti-émigration. Avec les tunisiens, il s'agit de conforter l'Etat de droit naissant, le dynamisme de la population et une économie sociale de marché libérée du népotisme, de la corruption et des monopoles prédateurs. Que l'UE place la Tunisie démocratique sur un pied d'égalité. Qu'elle lui propose d'adhérer.

Par Sylvain Kahn, professeur d'histoire de l'intégration européenne à Sciences Po.

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