Prostitution : Etat de droit ou Etat moral ?

Des policiers contrôlant une prostituée et un client au Bois de Boulogne, en mars 2012. Photo Thomas Samson. AFP
Des policiers contrôlant une prostituée et un client au Bois de Boulogne, en mars 2012. Photo Thomas Samson. AFP

La proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel s’articule autour de trois idées fausses et se fonde sur une idéologie moralisatrice inavouée. Si le renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, ainsi que l’abrogation du délit de racolage, me semblent constituer des progrès significatifs, en revanche, le reste du dispositif relève du paternalisme moral plutôt que du droit.

Première idée fausse : toutes les prostituées sont des femmes. L’exposé des motifs de la proposition de loi part d’une constatation sociologique selon laquelle 85% des personnes prostituées sont des femmes. A partir de cette donnée empirique, le législateur déduit que la question de la prostitution est non seulement une question de genre mais aussi de domination masculine puisque 99% des clients seraient des hommes. Or, la multiplication de sites d’escorting gay sur Internet montre que la prostitution est loin d’être féminine et hétérosexuelle. Des transsexuels, des hommes et des femmes bisexuels, des travestis… - de façon occasionnelle ou permanente - proposent tous leurs services sexuels à des clients qui ne sont pas nécessairement des hommes hétérosexuels.

Deuxième idée fausse : toutes les prostituées sont des victimes, à la fois in abstracto puisque tout rapport sexuel consenti et rémunéré est en lui-même une violence et in concreto puisque, selon les mêmes enquêtes, la prostitution est accompagnée d’agressions sexuelles, physiques et psychologiques. Or, plusieurs études scientifiques démontrent le contraire, à savoir qu’il existe aujourd’hui grâce à Internet un espace de sexualité négociée dans lequel femmes et hommes de toutes les classes sociales, et majoritairement de nationalité française, proposent librement leurs services sexuels.

Troisième idée fausse : les clients des prostituées sont complices des proxénètes, c’est pourquoi ils doivent à la fois être sanctionnés et rééduqués par des stages de sensibilisation. Or, le client n’a rien d’un proxénète puisqu’il ne tire aucun profit de la prostitution d’autrui. Des études sociologiques montrent qu’il s’agit des messieurs Tout-le-monde, de tous âges et de tous milieux. Certes, la violence, les agressions et la domination existent, toutefois, dans ces cas de figure, il ne s’agit nullement des services sexuels mais des crimes punis sévèrement par la loi pénale (viol, harcèlement, exhibition sexuelle…). Certes, l’exploitation économique et les trafics existent non seulement en matière sexuelle mais aussi dans les restaurants, les ateliers de couture et les échafaudages des bâtiments, personne ne songe pour autant à faire disparaître ces activités-là.

L’idéologie paternaliste qui traverse l’ensemble de la proposition de loi est celle qui consiste à croire que la prostitution est préjudiciable pour les femmes en particulier et pour la société en général. C’est pourquoi, nul ne peut choisir ce type d’activité sous peine de s’aliéner. La vision systémique de la prostitution permet ainsi d’occulter le consentement, même valide, d’une femme car la prostitution nie sa dignité et réifie sa personne. La sexualité est au féminisme paternaliste ce que le travail capitaliste est au marxisme. Seule la sexualité gratuite fondée sur les sentiments et l’affecte mérite la protection de l’Etat. La loi prévoit ainsi un «parcours de sortie de la prostitution» pour les victimes et des «stages de sensibilisation» permettant aux clients d’apprendre la bonne sexualité. Mais, chercher à faire le bien de l’individu contre son gré ne constitue-t-il pas le premier pas vers la tyrannie ?

Lutter contre toutes les formes d’exploitation, y compris celles dont sont victimes les prostituées, me semble une mission juste et nécessaire de l’Etat démocratique. Cependant, le projet de loi n’entend pas s’attaquer à la précarité et à l’exploitation : pas de syndicats pour les travailleurs et les travailleuses du sexe, pas de retraite, pas de vacances, pas d’horaires, pas de protection sociale, pas d’accès au logement… L’ennemi ce n’est pas la précarité mais le client. Pourtant, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait considéré en 2001 que l’activité de prostitution exercée en tant qu’indépendant peut être considérée comme étant un service fourni contre rémunération et relève, par conséquent, des dispositions du droit communautaire relatives à la libre prestation de service. La proposition de loi se garde bien d’utiliser le terme «service» et le remplace par celui d’achat d’acte sexuel, ce qui est complètement faux car il n’y a pas transfert de propriété.

Peu importe, comme le lit de Procuste, pour faire entrer la réalité dans le «système prostitutionnel», le législateur est prêt à sacrifier la liberté sans pour autant garantir un statut professionnel aux prestataires des services sexuels.

Daniel Borrillo. Juriste, CERSA/CNRS

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