Quand le Hezbollah conforte en Syrie ses positions au Liban

Des combattants du Hezbollah lors de la cérémonie funéraire du commandant Ali Fayyad, à Ansar, Sud-Liban, le 2 mars. PHOTO Mohammed Zaatari. AP
Des combattants du Hezbollah lors de la cérémonie funéraire du commandant Ali Fayyad, à Ansar, Sud-Liban, le 2 mars. PHOTO Mohammed Zaatari. AP

Il y a trois ans, en mai 2013, une première unité du Hezbollah libanais débarquait officiellement en territoire syrien. Aux côtés des forces de Bachar al-Assad, ses combattants participaient à la grande bataille d’AlQusayr, près de Homs (dans l’ouest du pays), permettant à l’armée régulière de reprendre la région en un temps record et mettant fin à une guerre d’usure de plusieurs mois dans laquelle les troupes de Bachar al-Assad s’étaient empêtrées sans résultat probant.

Au Liban, l’opinion s’était rapidement divisée. D’une part, la coalition du 14 Mars, pro-occidentale, pro-saoudienne et anti-Assad, avait fait connaître son mécontentement haut et fort. Par le choix d’intervenir directement dans le conflit voisin, le Hezbollah ne se contentait pas d’apporter son aide à un dictateur bourreau de son peuple, mais mettait en péril la sécurité même de son pays d’origine. En effet, dès l’été 2013, les premiers attentats frappaient les zones chiites du Liban, en particulier la banlieue sud de Beyrouth. Revendiqués par des groupes sunnites jihadistes actifs en Syrie et déterminés à punir le Hezbollah pour son assistance aux forces d’Assad, ils allaient être pointés du doigt par ceux qui souhaitaient voir cesser l’intervention dans le pays voisin.

D’autre part, la coalition du 8 Mars, pro-syrienne et pro-iranienne, voulait voir un mal nécessaire dans cette même intervention. Selon le Hezbollah, il s’agissait avant tout d’éloigner les groupes jihadistes sunnites des frontières libanaises. Cet argument allait en convaincre plus d’un, car, de l’autre côté du Qalamoun syrien [région montagneuse de l’ouest de la Syrie sur le versant oriental de la chaîne de l’Anti-Liban, ndlr] où se concentraient alors les combats, la Bekaa libanaise est habitée essentiellement par des chiites et des chrétiens, deux communautés directement menacées par la branche locale d’Al-Qaeda, Jabhat al-Nusra, et bientôt l’Etat islamique.

Mais, dans les deux camps, une même peur domine : la déstabilisation du pays et une nouvelle guerre civile. Après l’affrontement entre maronites de droite et sunnites progressistes (1975-1990), le risque est de voir s’opposer sunnites et chiites dans un contexte régional marqué par la communautarisation des conflits (Irak, Syrie, Yémen). Dans le nord du Liban, notamment à Tripoli, les accrochages récurrents entre sunnites et alaouites (chiites) apparaissent aux yeux de nombreux observateurs et d’une partie de la classe politique libanaise comme les prémices d’une nouvelle guerre civile libanaise.

Cependant, les succès militaires du Hezbollah (ajoutés à l’intervention russe et iranienne) ont permis la stabilisation du régime syrien dont la survie est assurée pour quelque temps encore. Les inquiétudes face à l’avancée de Jabhat al-Nusra et de l’Etat islamique ont, pour certains, légitimé a posteriori l’intervention du Hezbollah en Syrie. En particulier, l’attaque massive des deux organisations jihadistes contre la localité libanaise de Ersal, en août 2014, a amené beaucoup de Libanais à prendre conscience du danger que représentent ces deux groupes. Les chrétiens du 14 Mars ne sont plus aussi rassurés devant l’hypothèse d’un nouveau régime plus ou moins islamique qui prendrait le pouvoir à Damas. Dans les milieux politiques, médiatiques, universitaires, ils perdent en influence au profit de leurs coreligionnaires pro-Hezbollah. Le patriarche maronite Mgr Bechara al-Raï lui-même, pourtant initialement critique des aventures syriennes du Hezbollah, aurait confessé, en aparté, à l’automne 2014 : «Les chrétiens savent que sans le Hezbollah, l’Etat islamique serait arrivé jusqu’à [la ville côtière chrétienne de] Jounieh» (Al-Safir, 7 octobre 2014).

Mais les chrétiens favorables au Hezbollah ne sont pas les seuls gagnants de l’intervention de celui-ci en Syrie. Lorsque les attentats contre les régions chiites du Liban ont commencé, de nombreux observateurs ont annoncé un effondrement imminent de la popularité du parti : les chiites allaient bientôt réaliser que le seul moyen de se prémunir contre les représailles des groupes jihadistes sunnites était de se démarquer officiellement et publiquement du Hezbollah. La réalité allait mettre en avant un tout autre scénario : en l’absence d’un Etat fort, capable de protéger leurs territoires, les chiites allaient se regrouper autour du seul acteur capable d’assurer leur sécurité, le Hezbollah. A l’été 2015, un sondage, réalisé auprès de Libanais chiites, avançait que 78,7 % des personnes interrogées «soutenaient l’intervention du Hezbollah en Syrie», et 79,9 % estimaient que les actions du Hezbollah en Syrie «leur permettaient de se sentir davantage en sécurité» (Hayya Bina, «15 Questions For The Lebanese Shia Community», juillet 2015). Connaissant l’idéologie dogmatiquement antichiite des radicaux sunnites, les chiites du Liban ont majoritairement estimé que leur soutien au Hezbollah n’était qu’un prétexte au déchaînement de la violence jihadiste, qu’ils sont haïs pour ce qu’ils sont avant de l’être pour ce qu’ils font - le cas des Yézidis d’Irak étant régulièrement avancé pour appuyer l’argument.

Enfin, lorsque l’actuel gouvernement dirigé par Tammam Salam a été formé au début de 2014, le Hezbollah a préféré ne pas réclamer pour lui ou ses alliés les portefeuilles liés à la sécurité. Le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice ont été abandonnés aux sunnites de la coalition du 14 Mars, leur laissant assumer le coût de la politique de l’Etat contre les jihadistes sunnites. Trois ans après son entrée officielle en Syrie, le Hezbollah a donc réussi son pari. Non seulement sa capacité de mobilisation au sein des chiites est intacte, mais il a élargi son influence au sein des communautés chrétiennes. Les sunnites qui savent, par ailleurs, qu’une escalade, même verbale, peut dégénérer en guerre civile, restent prudents. Plus que jamais, le Hezbollah est au centre du jeu politique libanais.

Aurélie Daher, politologue et historienne arabophone. Spécialiste du Hezbollah. Dernier ouvrage paru : Le Hezbollah. Mobilisation et pouvoir (PUF, 2014).

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