Quand le Japon s'impose en nouveau leader responsable

Après plus d’une décennie de négociations, l’Accord de partenariat transpacifique (TPP selon son acronyme anglais) entrera en vigueur à la fin de l’année, et ce, malgré le désengagement en 2017 de sa principale force motrice, les Etats-Unis. La survie de l’accord est un triomphe pour la diplomatie japonaise, à qui il est largement donné crédit pour avoir rallié les autres participants après ce revers. Ce développement pourrait surprendre: le Japon s’est joint tard aux négociations, et le sujet fut longtemps très controversé à l’intérieur du pays (l’accord fait encore l’objet de critiques à la gauche de l’échiquier politique). Et pourtant, le gouvernement nippon apparaît aujourd’hui comme le leader du libre-échange dans la zone Pacifique. Comment expliquer cela?

Contrepoids à la Chine

Les bénéfices économiques du TPP pour le Japon sont bien entendu non négligeables. L’accord, qui inclut notamment d’importantes réductions tarifaires et des mesures de protection de la propriété intellectuelle, de l’environnement et des droits du travail, devrait stimuler la croissance en encourageant les investissements étrangers dans l’Archipel et en offrant de nouvelles opportunités commerciales pour les compagnies japonaises outre-mer. Son importance stratégique pèse cependant plus dans les calculs de Tokyo. Celui-ci était initialement un moyen de renforcer l’alliance avec les Etats-Unis, qui continue d’être la base de la politique de sécurité nippone. Avec le retrait américain, l’accord change de sens et devient un moyen de contrer les pressions de l’administration de Donald Trump. Le gouvernement japonais peut en effet désormais se référer au TPP et refuser toute concession qui dépasse ce cadre, tout en encourageant la Maison-Blanche à reconsidérer sa décision de désengagement.

Le retrait américain ne change par ailleurs rien à la grande utilité du TPP face à la Chine montante. Il définit, avant que celle-ci ne puisse le faire elle-même, les standards internationaux en matière de commerce et d’investissements à un niveau que celle-ci n’est pour l’instant pas prête à satisfaire. Si cette situation change, les entreprises japonaises, fortement implantées sur le continent, seront les premières à en profiter. Dans le cas contraire, le TPP pourrait former la base d’un bloc économique capable de faire contrepoids à une Chine en passe de devenir un cœur de l’économie mondiale. Individuellement, tous ses voisins risquent de développer une relation de dépendance dommageable pour leur autonomie. Ensemble, ils ont plus de chance d’obtenir des conditions d’engagement équitables. Leurs liens transpacifiques (avec le Canada, le Mexique, le Chili) renforcent encore leur position de négociation. Il est donc peu surprenant que plusieurs pays asiatiques (la Corée du Sud, Taïwan, l’Indonésie, la Thaïlande) aient déclaré leur intérêt à devenir membres.

Le Japon en faiseur de ponts

La conclusion du TPP offre également un modèle pour un autre accord régional en cours de négociation, le Partenariat économique régional global (RCEP selon son acronyme anglais) qui réunit cette fois tous les pays d’Asie de l’Est (Chine comprise) et l’Inde. Celui-ci vise des standards d’ouverture bien moins ambitieux, mais le Japon, qui a récemment assumé un plus grand rôle de meneur de discussions, se trouve désormais en meilleure position pour tenter de tirer ces standards vers le haut.

Ensemble, le TPP et le RCEP offrent au Japon un moyen de réaliser un rêve de longue date: être reconnu comme grande puissance qui sert de pont entre l’Asie et le reste du monde, encourage la coopération économique et promet de veiller au maintien de l’ordre international. Le virage des Etats-Unis vers l’isolationnisme offre ici l’opportunité d’assumer plus vigoureusement ce rôle de leader responsable, auquel Shinzo Abe, le premier ministre actuel, aspire particulièrement. L’activisme d’une Chine accusée d’utiliser son poids économique pour assurer un avantage indu à ses entreprises ne fait que raffermir la conviction du Japon qu’il se doit de prendre les devants. En 2018, il a su se montrer à la hauteur des enjeux.

Antoine Roth, doctorant en politique internationale à l'Université de Tokyo.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *