Quand les Suisses montrent la voie

Le 9 février, les citoyens suisses ont été appelés, comme ils le sont régulièrement, à se prononcer par votation sur trois questions. Le résultat de leur vote à fait le tour de la planète : les Suisses se sont prononcés par 50,3% pour le retour à un contrôle de l’immigration par un système de quotas. Rien de bien neuf par rapport à ce qui a cours aux Etats-Unis, au Canada, au Japon ou en France. Ce qui a déchaîné la réprobation, c’est que ce contrôle devrait s’appliquer non seulement aux ressortissants des pays pauvres, mais aussi aux citoyens européens (ce qui suscite la crainte des 300 000 Allemands installés en Suisse comme celle des dizaines de milliers de frontaliers français ou italiens). C’est cela qui soulève les commentaires scandalisés des éditorialistes qui dénoncent le populisme, la démagogie, la xénophobie, l’isolationnisme. Bref, la Suisse - pas les Suisses, alors que ce sont tout de même eux qui ont voté - se retrouve au banc des accusés pour avoir «démocratiquement» décidé d’aller contre le vent de l’histoire en érigeant des barrières surannées alors qu’elle participe pleinement de la mondialisation des économies. Et les menaces pleuvent : renégociation des traités et des conventions, limitation de la libre circulation des citoyens suisses, exclusion de l’espace européen, mesures de rétorsion financière et commerciale. D’autres voix, un peu incrédules, assurent que cette décision n’entrera jamais en application et que le gouvernement fédéral saura la noyer dans des textes réglementaires et dérogatoires.

Cette votation a fait resurgir toute la panoplie des arguments antidémocratiques. On a pu lire qu’il ne faut pas laisser entre les mains du peuple des questions dont il ne comprend pas les enjeux ; que la responsabilité de ce vote incombe aux démagogues qui se servent de la question de l’immigration en jouant de la peur de l’étranger et en flattant les plus bas instincts de l’électeur ; que les citoyens se trompent toujours et qu’il faut corriger la mauvaise perception qu’ils ont de la réalité ; que la démocratie se décrédibilise lorsqu’une décision acquise à une infime majorité (d’ailleurs très disparate : quoi de semblable dans les motivations des villageois du canton de Schwyz et des milieux urbains de Zurich, ou des habitants du Tessin et ceux du canton de Vaud ou de Genève ?) oblige le gouvernement fédéral à prendre des décisions dont les conséquences sont incalculables ; que cette victoire de la xénophobie met l’Europe en danger puisqu’elle va renforcer le camp des populistes et des eurosceptiques lors des élections de mai prochain. Ce qui vaut aux Suisses - en tant que peuple cette fois - les félicitations des forces qui œuvrent à dénoncer le carcan européen et plaident, contre le souhait d’«élites mondialisées», pour la restauration de la pleine souveraineté des nations aujourd’hui laminée par la construction européenne. L’avenir nous dira ce qu’il en sera. Fermons le ban !

Le 9 février, les citoyens suisses ont été appelés, comme ils le sont régulièrement, à se prononcer par votation sur trois questions. L’initiative «contre l’immigration de masse» n’en était qu’une. Quelles étaient donc les deux autres ? La première consistait à approuver un «plan de financement de l’infrastructure ferroviaire», et 60% des votants ont accepté de consacrer 6 milliards de francs à la rénovation des lignes. La seconde initiative était intitulée : «Financer l’avortement est une affaire privée.» Cette proposition, portée par la même Union des démocrates du centre qui est à l’origine de la votation sur l’immigration (comme elle avait été à celle de la votation remportée contre la construction des minarets en 2009), visait à supprimer la prise en charge des avortements par l’assurance maladie, au double prétexte que leur remboursement coûtait plus de 8 millions de francs par an et que la mission de l’assurance maladie est de sauver des vies, pas d’y mettre fin. Qui a su que, comme en Espagne ou en France et ailleurs, l’offensive contre le droit des femmes a également frappé en Suisse ? Pour la coprésidente du comité d’initiative et coprésidente du Parti évangélique genevois, il ne s’agissait pas de revenir sur la dépénalisation de l’avortement, obtenu par votation en 2002, mais «plutôt de responsabiliser le couple et de redonner la parole aux hommes». En dépit de cet argument inédit, l’initiative a été repoussée par 70% des votants. Qu’est donc devenue cette information dans la panique médiatique qui s’est développée autour du succès de la votation sur l’immigration ? Disparue ! C’est dommage, car ce résultat a conforté l’idée que le refus de soumettre à nouveau les femmes aux affres de l’interruption de grossesse est une cause populaire. Le 9 février, les Suisses ont montré la voie, mais nous n’en avons pas eu connaissance. Si cette nouvelle avait fait la une, peut-être aurait-on entendu ceux qui ont affirmé que le «peuple suisse» a fait preuve de bon sens en votant contre l’immigration dire la même chose du même peuple suisse qui a massivement rappelé que l’avortement est devenu un droit que peu de gens veulent supprimer.

Albert Ogien, sociologue.

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