« Quatre mousquetaires » pro-Gaza en croisade contre Israël

Cela s’appelle « l’échange inégal ». Eric Marty en avait impeccablement parlé dans le numéro 677 des Temps modernes. Pour récupérer et restituer aux siens un seul de leurs soldats, Gilad Shalit, otage du Hamas depuis plus de cinq ans, les Israéliens avaient rendu à la liberté 1 027 prisonniers palestiniens, purgeant de longues peines pour crimes de sang, la plus lourde étant la perpétuité, puisque la condamnation à mort n’existe pas là-bas : 1 027 contre un !

Et ce n’était pas le premier troc de ce type. Quatre ou cinq fois auparavant, la théorie de l’échange inégal avait déjà été mise en œuvre par des gouvernements successifs d’Israël – de droite comme de gauche. Nul alors, aussi bien parmi les parties qui s’étaient entendues sur l’échange que chez les vigilants et les sourcilleux, pointilleux comptables des méfaits d’Israël, ne s’était avisé de hurler à la disproportion, n’avait dénoncé le scandale ontologique de l’échange inégal, scandale parce qu’il impliquait au premier chef que les vies humaines n’ont pas le même prix !

La vérité est que, depuis la Shoah et la mort de six millions de juifs, qu’on a presque honte d’oser rappeler, les Israéliens accordent à la vie de chacun des leurs un prix sans mesure, une valeur telle que ce pays semble autoriser ses ennemis à exercer sur lui un chantage permanent, qui débouche sur des provocations de la pire espèce.

Ce n’est pas le lieu ici de disserter sur la relation unique entre le judaïsme et la vie qui, depuis la Shoah précisément, n’a cessé de croître et de s’approfondir. Mais les 64 jeunes recrues qui viennent de perdre la leur à Gaza ont eu à peine droit à une mention de compassion dans l’étonnante « sommation » à François Hollande, président de la République, publiée par Le Monde (daté mardi 5 août) et cosignée de MM. Rony Brauman, Régis Debray, Edgar Morin, accompagnés, pour faire bonne mesure et museler toute objection, d’une quatrième mousquetaire, épouse de feu l’indigné Stéphane Hessel, Christiane de son prénom.

Texte partisan, menteur, sans courage et racoleur, dont les esprits augustes qui l’ont rédigé ne pouvaient pas ne pas avoir conscience de sa fausseté, de sa faiblesse, en un mot, de son vide. On comprend que, au cœur du mois d’août et pour être certains qu’on prêterait à leur propos la gravité requise, ils aient imaginé d’appeler à la rescousse le président de la République, en l’enrôlant sous leur bannière pour se donner chair et poids, lui assénant qu’il était « comptable » (sic) d’une certaine idée de la France et le sommant d’agir, autrement dit de déclencher une croisade anti-israélienne et d’en prendre la tête. Ils n’ont pas osé recommander le déploiement d’une ou deux escadrilles de Rafale, qui réglerait la question à la libyenne et garantirait à la France qu’elle n’allait pas perdre son honneur.

Mais ne doutons pas que cette brillante idée ait été caressée par quelques-uns. Faisons confiance à François Hollande : « Pour qui se prennent-ils ? », pensera-t-il, à l’instar de François Mitterrand, qui savait répondre à toutes les formes de sommation : « Pour qui vous prenez-vous ? Pour qui me prenez-vous ? », avait-il coutume de dire à ceux qui prétendaient lui forcer la main.

« LES GENS NE MEURENT NI DE FAIM NI DE SOIF À GAZA »

A qui fera-t-on croire que le Hamas, ennemi numéro un d’Israël et de son existence – les programmes scolaires enseignés à Gaza aux filles comme aux garçons sont sur ce point d’une évidence et d’une unanimité sans espoir –, ait été pris par surprise par les bombardements israéliens ? Il les a voulus. Quelles que puissent être l’horreur et la colère inspirées par le nombre des morts et des blessés civils, c’est le Hamas qui en est le premier responsable. Il joue les vierges effarouchées avec un cynisme froid relayé par les quatre belles âmes de la « sommation ».

Ce n’est pas la première fois que l’armée d’Israël pénètre dans Gaza et, chaque fois, ses pertes sont si lourdes, au trébuchet de l’histoire de ce peuple, qu’on comprend ses réticences à envoyer ses enfants à une mort certaine.

Mais telle est cette bête méchante : quand on l’attaque, elle se défend. Elle attaque même sans s’attacher aux « disproportions » qui lui seront de toute façon reprochées. Nos mousquetaires s’enferment dans un argumentaire grotesque entre l’accident d’avion des Malaysia Airlines, imputé à Vladimir Poutine, et les morts palestiniens victimes « ciblées » et revendiquées d’Israël.

Le fait qu’Israël « cible » ses victimes doit être porté à son crédit, et à son honneur. Téléphones, tracts, SMS, préviennent les gens qu’ils vont être bombardés. On félicite risiblement le président de la République « de prendre en main le sort et le deuil des familles des victimes d’une catastrophe aérienne au Mali » – comme s’il n’avait pas mieux à faire ! –, mais on tait soigneusement les 10 000 missiles au garde-à-vous dans les tunnels de Gaza comme les statues des guerriers Xian du Shaanxi, attendant leur tour d’être lancés d’une façon, elle, indiscriminée sur les villes israéliennes, Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa pour la première fois à portée. Le Hamas savait que l’assassinat de trois adolescents israéliens kidnappés, couplé avec le déferlement des missiles sur les cités juives, entraînerait la riposte, et le voulait. Sa provocation a réussi, ce qui ne veut pas dire qu’elle a été capable de briser l’isolement grandissant du Hamas dans le monde arabe, qui était sans doute le but inavoué du déploiement des grandes orgues.

On parle de Gaza comme d’une prison à ciel ouvert, et les protestations du Hamas contre la fermeture par les Egyptiens du point de passage de Rafah et le démantèlement des tunnels qui passaient sous sa frontière sud sont prises pour argent comptant.

Leur propagande est bien faite, mais elle est menteuse comme toute propagande. Les gens ne meurent ni de faim ni de soif à Gaza, les magasins regorgent de marchandises, il suffit d’avoir de l’argent et la lutte des classes existe là-bas comme ailleurs. Les riches Gazaouis, qui vivent dans leurs grandes villas des hauteurs, ne font pas la charité aux réfugiés qu’ils entretiennent comme un cancer.

« Nous avons eu l’occasion de nous rendre à Gaza, où il existe un Institut culturel français ; et les SOS que nous recevons de nos amis sur place, qui voient les leurs mourir dans une terrible solitude, nous bouleversent », écrivent Rony, Edgar, Régis et Christiane. L’Institut culturel français à Gaza, parlons-en : c’est une pétaudière humanitaire, installée là comme un avant-poste de la propagande anti-israélienne relayée par mille haut-parleurs qui cherchent à faire passer une ville ennemie et pour cette raison soumise au blocus pour le ghetto de Varsovie.

Par Claude Lanzmann, Ecrivain et cinéaste.

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