Que truies et porcs s’importunent réciproquement !

La semaine dernière cent femmes ont exigé dans une tribune publiée dans le Monde qu’on protège leur liberté d’être sexuellement importunées. Outrées par le mouvement #BalanceTonPorc - qui constituerait à leurs yeux une véritable menace à cette liberté -, elles se sont donné la peine d’en dénoncer le danger. Or, loin d’être politique ou critique, ce texte semble l’expression d’un fantasme sexuel construit à l’époque où Catherine Deneuve, la signataire emblématique de cette tribune, tournait Belle de Jour (1967). En effet, la scène sexuelle qui hante ce pamphlet est née à l’époque où les femmes investirent en masse les universités et le monde du travail tandis que dans leur vie sexuelle et familiale, elles continuaient à être dominées par les hommes. Les femmes émancipées de l’époque fantasmaient un érotisme «ancillaire» qui leur servait de compensation à leur nouveau pouvoir social. Paradoxalement, rien ne semblait plus excitant aux femmes de cette génération que cette position sexuelle d’objet. La différence des sexes était assurée. C’est pourquoi cette tribune, qui parle néanmoins de «liberté sexuelle», décrit une fois encore la scène de séduction comme étant menée par des mâles aux pulsions bestiales et incontrôlables que les femmes acceptent, refusent ou «comprennent».

Les signataires n’imaginent même pas une seconde que ce soient les femmes aux pulsions bestiales et incontrôlables qui importunent les hommes de leurs assauts. Ce sont toujours elles les objets que l’on convoite. On dira que c’est juste un tout petit détail qui n’entame en rien la revendication de la liberté d’importuner, le cœur de la liberté sexuelle que les signataires revendiquent avec tant d’ardeur.

Pourtant, c’est cette inégalité supposée naturelle dans la position sexuelle des hommes et des femmes que rend cette tribune si réactionnaire, si terriblement ringarde. En effet, si les hommes et les femmes s’importunaient réciproquement, à égalité, il n’y aurait plus de domination de genre dans la scène érotique. Bien sûr, il y aurait toujours des abus sexuels liés à des situations de pouvoir, mais ils ne seraient plus du tout le reflet d’une domination structurelle exercée par les hommes sur les femmes, comme c’est le cas aujourd’hui. Les signataires de cette tribune n’arrivent pas à concevoir que la liberté d’importuner ne soit plus le monopole absolu du mâle dominateur. En cela elles sont paradoxalement d’accord avec le féminisme victimaire qu’elles dénoncent. Ce dernier ne cherche pas non plus à changer les positions des hommes et des femmes dans la scène érotique mais tout simplement à «protéger» les secondes de la brutalité des premiers. Pourtant, le mouvement #BalanceTonPorc n’a rien à voir avec ce féminisme-là, comme le prétendent les signataires de la tribune. Il s’agit d’une révolte contre l’inégalité sexuelle qui n’avait jamais été exprimée avec tant de force et de radicalité. Une révolte contre la permanence de la scène érotique dans laquelle la femme accepte ou refuse les élans masculins en jouissant de son rôle d’objet ou en étant traumatisée à vie par une agression. #BalanceTonPorc est l’expression d’un féminisme nouveau qui vise désormais à atteindre l’égalité, non seulement dans la sphère professionnelle, mais aussi sexuelle et familiale. Les femmes qui dénoncent leur porc ne visent pas seulement à vivre sans être violées, harcelées ou humiliées. Leur but est aussi de faire en sorte que ces brutes n’écrasent pas la truie joyeuse qui sommeille en elles.

Que ces beaufs satisfaits comprennent une fois pour toutes que la scène érotique ne devrait plus être une affaire des porcs s’attaquant à des petites princesses mais un capharnaüm dans lequel les premiers devront se confronter à des truies aussi avides et impérieuses qu’eux. A des truies exigeantes et égoïstes, à de véritables reines. C’est seulement ce jour-là que la liberté sexuelle ne pourra se concevoir sans celle d’importuner son prochain.

Marcela Iacub.

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