Quel avenir pour le Congo ?

Que ce soit la publication du dernier rapport de l'ONU ou les viols de guerres qui s'y déroulent, l'actualité de ces derniers jours nous rappelle la situation dramatique de la République démocratique du Congo (RDC). Celle-ci n'a rien de neuf. La RDC continue, discrètement mais sûrement, à être rongée par le conflit alors que l'ONU (avec la Monusco) y a toujours son plus gros contingent militaire et que la guerre est officiellement finie depuis 2002. Parmi les causes de la persistence du conflit, il y a évidemment des enjeux stratégico-économiques comme les ressources naturelles. Mais il y a surtout la cohésion et l'identité nationale de ce pays fragile. Entre l'actualité pressante, l'efficacité questionnable des Nations unies et les élections de 2011 à venir, comment penser utilement et à long terme la construction politique du pays ?

La RDC est dans le haut du classement Failed States Index des Etats en échec, dits "faillis". Le constat est identique depuis au moins dix ans dans la majorité des classements des Think-tanks, ONG ou organisations internationales. Pour de nombreux observateurs, les ressources naturelles sont au cœur de cette situation. Qu'en est-il réellement ?

Les ressources jouent un rôle très particulier dans les conflits. Celui-ci semble d'autant plus fort lorsque l'on connaît les richesses minières du pays et leurs enjeux stratégico-économiques. Cet "eldorado minier" possède effectivement la moitié des réserves mondiales de cobalt (métal hautement prisé en aéronautique), il est l'un des quatre plus gros producteurs de diamants bruts au monde, et est également très riche en cuivre, en zinc, en étain, en or, en coltan-cassitérite et en uranium.

A l'époque coloniale, les ressources naturelles ont tout d'abord servi à alimenter les conflits car les ressources naturelles étaient la finalité principale de l'oppression et de l'exploitation. Puis il y eut la période de la guerre froide. Protégé par l'affrontement des grands blocs, Mobutu put tranquillement piller le pays et se servir des ressources naturelles pour s'enrichir et conforter son pouvoir. Le résultat fut un régime dictatorial mêlant délitement et désorganisation totale de l'Etat et de l'économie ainsi que la création d'une forte instabilité interne. La fin de son régime se termina d'ailleurs par un conflit. D'un côté les ressources naturelles ont été un enjeu capital motivant les intérêts des grands blocs et permettant la domination et la pression. Avec la fin de la guerre froide et la fin de Mobutu, les années 1990 ont laissé un vide. Ce vide politique et économique a été propice au développement de la prédation et à l'aboutissement de la désorganisation totale du pays menant à la chute de ce dernier. L'absence des pressions liées à la guerre froide et au pouvoir politique central s'est mêlée au manque de structure étatique.

En 1998 commença une nouvelle ère marquée par une guerre meurtrière. L'économie, par le biais des ressources naturelles, s'est infiltrée partout avec une facilité déconcertante. Les trafics de ressources naturelles ont augmenté, se caractérisant par l'afflux de groupes mafieux, de groupes armés et des groupes rebelles, ce qui fut une source d'instabilité et contribua à alimenter la présence et la violence de ces groupes. A cela s'ajoute de nombreuses entreprises minières du monde entier qui, défendant leurs intérêts, deviennent des acteurs politiques indirects. Les ressources naturelles exacerbent toujours les tensions de la région. Le contrôle de l'exploitation, de la gestion et de la commercialisation des ressources naturelles est donc un enjeu capital pour la stabilité du pays.

UN PROBLÈME POLITIQUE, SOCIAL ET HUMAIN

Néanmoins, c'est une erreur de voir dans les ressources naturelles la clé des conflits. D'autres facteurs s'y mêlent : l'histoire, la géographie, les cultures, les ethnies, les personnes et leurs ambitions, le contexte politique international, la situation économique mondiale, les acteurs transnationaux, la finance internationale, la situation des pays voisins… Les ressources naturelles ne sont finalement qu'un outil du conflit. Le problème est avant tout politique, social et humain ; pour résoudre les conflits, il ne faut donc pas s'arrêter à la question des ressources naturelles.

Mal comprendre les raisons des conflits conduit à mal penser l'avenir. La régénérescence du Congo se trouve notamment dans un paramètre rarement soulevé car justement difficilement mesurable et saisissable. Il s'agit de l'énergie et du sens que le pays et ses citoyens se donnent à eux-mêmes, on peut parler ici du sens profond, historique, sociologique et humain de sa situation. C'est là que se joue le cœur politique de la vie d'un Etat. Pour Ernest Renan, "une nation est une âme, un principe spirituel ".

Un pays doit avoir un sens, plus précisément il doit trouver la raison de son "vivre-ensemble". Un Etat est une construction. Quoique puissent croire les promoteurs des solutions "prêt-à-porter" de démocratisation, de peace-building ou nation-building, la construction d'un Etat et la résolution de ses conflits internes et externes sont des processus irréguliers et chaotiques qui se construisent avec les caprices des hommes et du temps. Le colonialisme, l'exploitation abusive des ressources, les trafics ou les régimes autoritaires qu'ont pu connaître la RDC sont autant de composantes que l'on peut considérer comme négatives dans l'absolu. Les critiquer pour mieux construire le futur peut être utile, toutefois la recherche de boucs émissaires est une erreur de méthode et de fond. Ces événements, au départ extrinsèques, se sont transformés et ont été réinterprétés puis réintégrés dans le temps pour faire ce qu'est le pays et ce qu'il sera, pour faire sa réalité. Un pays n'est pas uniforme, bien au contraire, il se fait de mélanges et de superpositions.

Ne considérons pas comme inutile toutes les initiatives de reconstruction, d'aide, de transformation de conflits et de développement initiées par l'ONU, la Banque mondiale, des Etats ou des ONG. Mais comprenons leur aspect relatif et insuffisant ; elles peuvent au plus être considérées comme supplétives.

Que faire ? Premièrement, la RDC doit trouver un sens à sa reconstruction pour elle-même et par elle-même. Le pays doit se créer autant que s'approprier sa "chose" politique, c'est-à-dire : sa raison d'être, son orientation, sa structure et son mode de légitimation. Et ne nous trompons pas, ces processus sont longs et irréguliers. Cet enjeu est plus que politique, il est humain et social. Seul les congolais peuvent l'entreprendre. Une fois cette voie engagée, les contributions de l'ONU, de la communauté internationale et les aides extérieures auront bien plus de sens. Deuxièmement, la régulation et le contrôle de certains facteurs qui participent au conflit, à l'exemple des ressources naturelles, sont capitaux. Si les puissances occidentales ou d'autres souhaitent réellement une amélioration de la situation, elles doivent s'imposer une discipline forte de régulation de l'exploitation des ressources, même si cela est plus facile à dire qu'à faire. Enfin, les Nations unies doivent cesser de se voiler la face sur leurs interventions ; les actions autant que les méthodes onusiennes doivent être questionnées en profondeur pour leur redonner de l'efficacité et de la crédibilité. Cela vaut tout autant pour la Banque mondiale avec ses projets sans fin et sa bureaucratie pesante, qui en font un interlocuteur peu convaincant au yeux des congolais.

Samuel Solvit, analyste en politique internationale.