Quel nationalisme écossais ?

A l’occasion du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse qui se déroulera le 18 septembre, Le Monde a invité deux auteurs écossais à débattre de l’avenir de leur pays. Alison Louise Kennedy voit dans cette consultation un espoir pour relancer le dialogue démocratique. John Burnside se montre plus méfiant envers ce retour du nationalisme.

Alison Louise Kennedy, romancière britannique née à Dundee, en Ecosse. Elle débute sa carrière en 1990 avec son premier roman, « Night Geometry and the Garscadden Trains » (non traduit). « Tauromachie » a été publié en France par les éditions de L’Olivier (2010).

John Burnside, né en 1955 dans le Fife, en Ecosse, est un poète et romancier britannique. En 2011, il a obtenu deux des plus prestigieux prix de poésie pour son recueil « Black Cat Bone ». Il est également l’auteur de plusieurs romans, dont « L’Eté des noyés » (Métaillé, 320 p., 20 €). John Burnside enseigne l’écriture littéraire à l’université de St Andrews.

L’Ecosse devrait-elle être indépendante ?

Alison Louise Kennedy : Oui, mais je ne pourrai pas prendre part au vote, car j’habite Londres, et seules les personnes résidant en Ecosse pourront s’exprimer. Depuis mon installation en Angleterre en 2011, je suis frappée par l’apathie politique qui règne ici. Le discours économique libéral n’est plus contesté. En Ecosse, il y a une recherche active d’un autre modèle économique et politique. Le projet indépendantiste ne vient donc pas d’un rejet ni d’une haine des Anglais, mais plutôt de la volonté de rompre avec l’austérité, le mépris pour l’environnement et le régime profondément inégalitaire qui permet à un peu plus de 200 familles de posséder près de 90 % du territoire écossais.

Un vaste mouvement populaire s’est mis en branle pour soutenir l’indépendance, il a réussi à remettre au cœur du débat certaines questions fondamentales : dans quel pays voulons-nous vivre, quel système politique adopter, selon quelles valeurs ? J’y vois une grande source d’inspiration pour le monde entier, car l’Ecosse n’est pas seule à subir les affres du capitalisme. Le changement se prépare sans qu’un coup de feu ne soit tiré.

Cela étant dit, si le oui l’emporte, la mobilisation devra se poursuivre. L’indépendance ne mettra pas fin aux dérives politiciennes. La campagne référendaire en est malheureusement l’illustration. Les deux camps tentent de convaincre en affirmant ce que serait l’avenir économique de l’Ecosse si elle faisait sécession, le débat perd alors tout sérieux, puisque chacun se sent obligé de faire dans la surenchère. Ces gestes désespérés montrent bien que la classe politique est ébranlée. Elle se voit rappeler l’origine de son autorité, la volonté populaire et, en cela, le référendum est d’ores et déjà une victoire.

John Burnside : Je suis favorable à une Ecosse indépendante, mais je voudrais aller plus loin, vers une indépendance régionale et une démocratie directe. Mais revenons-en à l’Ecosse.

La question a été formulée de deux manières pour ce vote. Le texte qui a été retenu pour le 18 septembre reste dans un flou théorique : « L’Ecosse devrait-elle être un pays indépendant ? » Qui peut vraiment s’opposer à cette idée ? L’ambiguïté de cette question me paraît problématique. La première version était plus claire, elle demandait aux électeurs : « Etes-vous d’accord que l’Ecosse devrait être indépendante ? » On peut alors se demander êtes-vous d’accord avec qui ? Si le oui l’emporte, le premier ministre écossais Alex Salmond y verra un soutien en sa faveur, et je ne veux pas paraître l’appuyer. Il ne propose pas le type de changement dont parle Mme Kennedy. Au lendemain du référendum, peu importe le résultat, la classe politique qui voit au maintien des inégalités et des dérèglements de notre société sera toujours là. Alex Salmond ne propose rien de radical et ne se montre guère empressé de donner aux citoyens davantage de pouvoir. Son bilan en la matière est clair.

Il y a encore deux ans, il courtisait le milliardaire américain Donald Trump, afin qu’il construise un golf ans le nord-est de l’Ecosse dans des zones protégées. Le projet est allé de l’avant, en dépit d’une forte opposition locale et des dommages causés à l’environnement. Avant cette affaire, je me souciais peu du référendum. Mais céder ainsi des terres écossaises à un riche homme d’affaires fut pour moi un signe révélateur du type d’homme politique qu’est Alex Salmond : impossible de lui faire confiance.

Prenons un autre exemple, avant son arrivée au pouvoir en 2007, les commissions détenaient un certain pouvoir au Parlement écossais. Il les a affaiblies au point qu’il peut désormais les ignorer et faire ce qui lui plaît. Cette concentration du pouvoir m’inquiète au plus haut point. Pour faire oublier de telles turpitudes, on évoque donc des figures, tel Robert Ier d’Ecosse (1274-1329), en prétendant qu’il aurait lancé la résistance contre la couronne anglaise. Cela donne une justification historique au vote. Mais Robert d’Ecosse était un souverain comme les autres, régnant pour son seul profit, loin d’incarner l’émancipation populaire.

Plus triste encore, on a également embrigadé le grand poète écossais Robert Burns (1759-1796) dans ce combat. Les nationalistes revisitent notre passé pour le rendre conforme à leur idée de cette glorieuse nation se battant pour son indépendance depuis 700 ans, l’Ecosse.

La dévolution promise par les dirigeants des trois grands partis politiques britanniques peut-elle permettre de réconcilier l’Ecosse et l’Angleterre ?

J. B. : En 1979, lors du référendum qui portait sur la création d’un Parlement écossais, j’étais dans le camp du oui. J’ai cru à l’idée que l’on pouvait renforcer notre démocratie en investissant davantage l’espace politique écossais. J’espérais qu’un gouvernement travailliste soit ensuite élu. Mais le Parlement écossais s’est avéré aussi décevant que le Parlement britannique et les travaillistes écossais se sont convertis à la « troisième voie » de Tony Blair. Je n’attends donc rien d’un nouveau plan de décentralisation.

Je me méfie d’autant plus que ce projet ne ferait que renforcer le pouvoir d’Alex Salmond. Son grand projet économique est de remplacer la rente pétrolière tirée des gisements offshore de la mer du Nord par les revenus tirés des multiples champs d’éoliennes qu’il souhaite construire. L’Ecosse pourrait ainsi vendre de l’électricité à ses voisins. Mais cette idée est ridicule. Le vent ne souffle jamais de manière continue, l’éolien n’est pas une source d’énergie fiable et continue de dépendre des subventions qu’on lui verse.

A. L. K. : Les promesses de dévolution manquent de sincérité. Le premier ministre britannique David Cameron fera face aux urnes l’année prochaine et redoute les effets du oui sur sa candidature. Il joue donc son va-tout dans l’espoir que l’Ecosse ne quitte pas le giron du Royaume-Uni. Mais lors des élections britanniques, il fera sans doute alliance avec la droite radicale de l’United Kingdom Independence Party, hostile à la dévolution. Il est donc peu probable que M. Cameron réalise ce programme s’il est réélu.

Admettons tout de même que ce projet voie le jour, ce ne serait rien de plus qu’une séparation qui ne dit pas son nom. Les parlementaires anglais ne pourraient plus voter certaines lois qui toucheraient aux compétences de l’Ecosse et il en serait de même pour les parlementaires écossais concernant l’Angleterre. Un tel système serait d’une complexité inutile et alimenterait de part et d’autre un ressentiment qui n’existe pas encore.

Tout cela ressemble à de l’improvisation et constitue un aveu, les responsables politiques britanniques admettent ainsi ne pas connaître les attentes du public. La défiance à leur encontre est largement partagée en Grande-Bretagne et ne s’arrête pas aux frontières de l’Ecosse. Alex Salmond n’ignore d’ailleurs pas qu’il doit sa réélection en 2011 à un vote protestataire contre la politique conduite à Londres. Il y a peut-être malgré tout une toute petite chance pour que les dirigeants nationalistes valent un tout petit peu mieux que la moyenne et peut-être parviendrons-nous à les contraindre de s’améliorer.

J. B. : Je me souviens être allé à Brooklyn peu après l’élection de Barack Obama et de m’être arrêté devant un graffiti écrit sur le mur qui disait « Obama va nous sauver ». Je suis soudainement senti très triste, on a cru que les choses allaient changer parce que le président était noir. Hélas ! les événements ont montré qu’il n’en était rien.

La même chose est en train de se passer en Ecosse. Les Ecossais sont très attachés à leur pays et Alex Salmond joue de ce patriotisme émotionnel pour faire croire que l’indépendance va tout changer. Les promesses faites ne sont que du vent.

Si l’indépendance est aujourd’hui vue comme une solution par beaucoup, c’est que la colère couvait depuis les années 1980. La politique menée par Margaret Thatcher lorsqu’elle était premier ministre de la Grande-Bretagne a brisé l’économie de plusieurs régions partout dans le pays. J’habitais à l’époque dans ce que l’on appelait la petite Ecosse, à Corby, une ville au centre de l’Angleterre où 77 % de la population était écossaise. Les aciéries fournissaient du travail à un grand nombre de gens. Mais peu après son élection en 1979, Margaret Thatcher a ordonné la fermeture d’usines qui avaient été nationalisées. Les anciennes régions industrielles de Grande-Bretagne, en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord, ne sont toujours pas remises de ce choc.

Faut-il craindre le retour d’une politique identitaire ?

A. L. K. : La presse a beaucoup insisté sur cette idée, mais les Ecossais n’en sont plus là. J’ai assisté à plusieurs réunions publiques et j’y ai plutôt entendu l’expression d’un nationalisme progressiste et inclusif. Certes le SNP était à l’origine, dans les années 1930, une formation xénophobe, antisémite, mais le parti et le pays ont tourné le dos à ces idées. Il y a eu dans les années 1980 un regain d’intérêt pour l’histoire de l’Ecosse qui a permis d’en assumer les réussites, mais aussi les errances. Puis l’identité écossaise a cessé d’être définie par des origines, mais par le simple fait d’habiter ce pays. Les différents déplacements de population en Ecosse décidés par Londres entre le XVIIIe et le début du XXe siècle ont diffusé le sentiment qu’habiter un lieu suffit à vous en faire un résident légitime sans que l’on puisse vous en contester le droit.

Le Parlement écossais s’est montré actif pour combattre les préjugés, et l’Ecosse se montre généralement ouverte à la diversité et connaît l’apport de l’immigration à son économie.

Les « nouveaux Ecossais » se sentent concernés par le débat référendaire. Ils pourraient même décider de l’issue du vote tant les sondages sont serrés.

J. B. : Un nationalisme beaucoup moins bénin sévit hélas ! en Ecosse. J’ai passé une partie de mon enfance en Angleterre, ma femme est anglaise, j’y suis donc particulièrement sensible. Ma femme et moi avons vu le nationalisme s’emparer de l’Ecosse. On a ainsi vu apparaître sur les voitures des autocollants disant « Je suis un vrai Ecossais ». A l’école fréquentée par mon fils, soudainement, tout est devenu écossais. Si on demandait aux enfants de faire une recherche sur un scientifique, ce devait être un scientifique écossais. Idem dans tous les domaines.

Qu’est-ce que ce référendum signifie pour le Royaume-Uni et l’Europe ?

J. B. : Deux risques menacent la Grande-Bretagne si l’Ecosse fait sécession. D’autres régions du Royaume-Uni seront tentées d’en faire autant, notamment le Yorkshire, les Cornouailles et le Pays de Galles. Ce chacun pour soi va pousser l’Angleterre dans ses retranchements et l’amener à durcir ses positions, alors qu’il s’agit déjà d’une terre conservatrice.

L’Europe a aussi à craindre les effets négatifs du oui. L’euroscepticisme anglais ne sera plus tempéré par l’Ecosse, où l’on est généralement attaché à l’Union européenne. David Cameron sera davantage enclin à écouter la droite radicale et la Grande-Bretagne pourrait bientôt quitter l’Union.

Bien qu’elle ait beaucoup de défauts, une politique monétaire stupide et l’habitude d’accorder des subventions à ceux qui en ont le moins besoin, l’Europe représente le type de projet pour lequel il faut se battre. Elle peut offrir un autre modèle que celui provenant des Etats-Unis.

A. L. K. : Les Britanniques en arrivent à une prise de conscience tardive. Il y a encore peu, l’indépendance de l’Ecosse nourrissait simplement la crainte de voir l’Angleterre basculer durablement à droite, la gauche britannique perdant l’un de ses fiefs, l’Ecosse. Aujourd’hui, cette peur est dépassée par une interrogation qui s’est lentement installée : peut-être ce vote est-il le moment de se poser la question de ce que nous voulons faire, de ce que nous voulons pour notre pays, que l’Ecosse en fasse partie ou non.

C’est peut-être aussi le moment qui permettra d’en terminer avec la nostalgie de l’empire qui persiste au sein de nos élites. Nos responsables politiques ont du mal à cacher leurs préjugés et se sont montrés condescendants pendant la campagne. De vieilles rengaines sont réapparues : les Ecossais seraient arriérés, incapables de s’en sortir sans l’Angleterre, etc.

Quant à l’Europe, la peur suscitée par ce référendum a fait prendre conscience de l’urgence qu’il y avait à la défendre en Angleterre. La gauche ne peut plus simplement se reposer sur l’Ecosse.

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