Quelle assurance chômage européenne ?

La question de la mise en place d’un fédéralisme budgétaire pour pallier les insuffisances de l’union monétaire est particulièrement présente dans les débats relatifs à l’intégration européenne, au moins depuis la crise de l’euro. L’idée qu’un budget européen serait nécessaire pour stabiliser la conjoncture économique au sein d’un groupe de pays liés par la monnaie unique amène à s’interroger sur ce que pourrait bien être ce budget européen destiné à combattre les effets des «chocs asymétriques», c’est-à-dire affectant les pays de l’union monétaire de façon différenciée. Quel type de dépense pourrait être concerné par cet instrument ?

Reprenant une idée déjà exprimée dans les années 70, des contributions récentes ont exploré la possibilité de création d’une assurance chômage européenne. Les promoteurs de cette idée y voient de nombreux avantages : la pertinence des dépenses, qui bénéficieraient aux personnes les plus immédiatement affectées par les fameux chocs asymétriques, la rapidité de l’action budgétaire, supérieure à ce qu’on obtiendrait avec des dépenses de type «grands travaux», et l’efficacité de la dépense pour relancer l’activité économique, la propension à consommer des chômeurs étant certainement supérieure à celle de la moyenne des ménages.

Au-delà du principe, quelles pourraient être les modalités d’une indemnisation du chômage à l’échelle européenne ? Les propositions les plus saillantes sont révélatrices des contraintes qui pèsent sur la définition des politiques publiques dans l’Union européenne (UE). L’assurance chômage européenne est le plus fréquemment présentée comme un socle sur lequel viendrait éventuellement se greffer un complément spécifiquement national. L’assurance européenne pourrait prendre en charge l’indemnisation pendant les premiers mois, ou n’assurer qu’une partie de l’indemnisation pendant toute la durée prévue, ou encore combiner les deux mécanismes précédents.

La plupart des propositions tiennent pour acquis que le chômage de longue durée (de plus d’un an) ne devrait pas être concerné par le mécanisme européen, qui ne couvrirait que le chômage conjoncturel.Il y a, derrière cette position de principe, une vision du chômage de longue durée comme étant de la responsabilité des Etats nationaux et la conviction que seules des politiques «structurelles» pourraient y remédier, pas des politiques conjoncturelles du ressort du fédéralisme budgétaire. Toutefois, il existe une corrélation assez forte entre chômage de courte durée et celui de longue durée dans de nombreux pays européens. La séparation des deux phénomènes est donc en partie artificielle. Par ailleurs, compte tenu de l’orientation actuelle des politiques économiques en Europe, on peut se faire une idée de ce que la Commission européenne préconiserait en matière de «réformes structurelles».

Les propositions françaises (1) s’articulent autour d’une réassurance européenne : le financement européen se déclencherait à partir d’un seuil de taux de chômage défini en référence à la moyenne du taux national au cours des dix années précédant la récession. Les seuils d’activation du transfert seraient donc différents selon les pays, d’autant plus élevés que le chômage moyen l’est aussi. Ce système contribuerait à la stabilisation macroéconomique sans bouleverser, tout du moins à court terme, les systèmes nationaux d’indemnisation.

Mais la condition, sine qua non semble-t-il, est que le financement de la mesure ne devrait pas entraîner de transferts permanents entre les Etats. C’est là une limite assez stricte à l’idée d’intégration européenne, qui souligne bien les ambiguïtés de cette dernière. Même dans un cadre fédéral, une telle limite n’est pas automatique. Qui imaginerait qu’il ne puisse y avoir de transferts permanents entre les Länder allemands, entre la Bavière (taux de chômage : 2,9 %) et le Land de Brandebourg (8,5 %) ou Brême (9,9 %) ? D’autant plus que la dynamique économique de l’intégration pousse à la spécialisation géographique et la concentration des activités, ce qui peut évidemment causer des différences permanentes dans les taux de chômage. Mais des transferts permanents ne sont probablement envisageables que dans un cadre institutionnel, un véritable modèle social, unifié à l’échelle européenne, ce qui est certainement hors de portée compte tenu des antagonismes entre nations et entre groupes sociaux sur ce point crucial.

Bruno Amable, professeur à l’université de Genève.


(1) Voir Léo Aparisi de Lannoy et Xavier Ragot, «Une (ré) assurance chômage européenne», OFCE Policy Brief 28, 30 novembre.

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