Qui menace le «mode de vie européen» ?

«Quand vous commencez à abandonner votre propre vocabulaire pour celui des autres, vous dites adieu à un réel débat sur les valeurs fondamentales de la République.» Ces mots sont de László Rajk, un homme libre dans un pays qui l’est de moins en moins. Un infatigable combattant de la liberté qui s’est éteint, la semaine dernière. Ses paroles, comme les textes de Václav Havel ou du philosophe Patocka et de nombreux dissidents, sont des miracles de réflexion sur la politique et le langage, des trésors pour époques sombres, lorsque les libertés se rétrécissent et les combats culturels semblent perdus.

A l’heure des compromissions politiques, idéologiques et linguistiques avec l’extrême droite, gardons tous en tête l’alerte de László Rajk. Les mots ont une importance capitale dans le combat politique. Alors qu’on nous propose un commissaire à la «Protection du mode de vie européen» en charge de la question migratoire, l’impression grandit dans les travées du Parlement européen d’une capitulation linguistique en rase campagne devant les nationalistes et les identitaires.

«Qui menace nos démocraties ?»

Laissons place aux arguments des défenseurs éclairés d’un tel poste. Prenons-les aux mots. Si nous entendons – comme l’affirme désormais la Présidente élue de la Commission européenne – par «mode de vie européen» le respect de l’Etat de droit, des libertés publiques, des principes démocratiques et humanistes et l’égalité entre les sexes, alors, oui, il faut le défendre. Sans relâche. Le défendre contre ceux qui le mettent réellement en péril.

Car la question à laquelle nous devons répondre est simple : qui menace nos démocraties ? Contre qui devons-nous protéger ce «mode de vie européen» ? Contre les exilés qui cherchent refuge et hospitalité sur notre sol comme le sous-entend le portefeuille du commissaire si décrié ou contre les forces nationales populistes qui progressent partout sur le continent ?

La réponse que nous apportons à cette question définit notre identité politique. Nous avons donc l’obligation de la clarté. Défendre le mode de vie européen tel que le comprend Mme von der Leyen commence par ne plus laisser l’idée d’humanité périr, jour après jour, au fond de la Méditerranée. Défendre ce mode de vie exige d’être aux côtés des dominés, des déclassés et des minorités. Défendre ce mode de vie exige d’écouter cette jeunesse qui demande un avenir social et écologique. Défendre ce mode de vie exige de remettre en cause ces accords de libre-échange qui détruisent le climat et mettent sur la paille nos paysans et nos producteurs. Sur cela, les engagements demeurent vagues et la détermination chancelante.

Défendre le mode de vie européen, c’est aussi, c’est d’abord faire preuve de courage et de fermeté à l’égard des ennemis intimes – et de toujours – du projet européen et de nos institutions, de nos principes, de notre éthos démocratiques. Nous le savons : la précédente mandature du Parlement européen a été marquée par une série de scandales politiques qui montrent à quel point notre vie démocratique est perméable aux ingérences extérieures les plus hostiles.

Financement de l’extrême droite

Notre devoir est de revenir sur ce problème systémique et de l’affronter. L’affaire Strache en Autriche, l’affaire des liens présumés entre l’AfD et la Russie ou encore entre l’UKIP et la Russie, l’affaire du financement de la Ligue en Italie, l’affaire Cambridge Analytica, l’affaire des banques russes du Front national en France, etc. : toutes ces affaires relient l’internationale nationale populiste au régime de Vladimir Poutine. Elles rappellent que l’extrême droite européenne entretient des liens financiers et des rapports de vassalité avec Moscou.

La défense de nos modes de vie démocratiques exige de faire la lumière sur ces liens et de prendre les mesures adéquates pour contrer ces ingérences, y compris en revoyant les règles de financement de la vie politique en Europe. J’ai proposé en juillet dernier au Parlement européen de créer une commission spéciale enquêtant sur ce sujet. Le groupe social-démocrate (S&D) a cette semaine officiellement repris cette proposition et un débat aura lieu aujourd’hui, mardi 17 septembre 2019, en session plénière à Strasbourg. On soumettra ensuite au vote, d’ici trois semaines, une résolution qui nous conduira vers la naissance de cette commission spéciale.

Barrer la route de ces nationalistes qui travaillent pour une puissance étrangère hostile suppose de combattre leurs idées sans faiblesse. Cela exige aussi de les frapper là où cela leur fera le plus mal : au portefeuille. Il est temps de ne plus reculer. Sur rien.

Par Raphael Glucksmann, député européen Place publique.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *