Jeudi prochain, le Royaume-Uni votera par référendum pour ou contre la sortie de l’Union européenne. Quel que soit le résultat du scrutin, le visage de l’Europe en sera profondément modifié. Si Londres choisit de demeurer au sein de l’Union, il bénéficiera d’une situation très particulière, avec un statut spécifique et une influence accrue. Londres aura à la fois moins d’obligations que les autres Etats membres et plus de poids. C’est son objectif depuis toujours : recevoir sans donner, modifier les règles à son avantage ou bien en être dispensé. La diplomatie britannique est la meilleure du monde et la faiblesse des continentaux face à l’Angleterre est infinie. Margaret Thatcher a gagné pour l’éternité et De Gaulle a perdu. Si le in est vainqueur, il faudra hisser à Bruxelles l’Union Jack au-dessus du drapeau européen.
Si le Brexit l’emporte, le choc sera plus rude encore. Les marchés en frémissent déjà. Ce serait pour l’Union européenne un gigantesque camouflet, la démonstration du désamour des peuples (même si le peuple britannique n’a jamais été amoureux de l’Europe, au mieux l’a-t-il traitée comme un flirt de vacances), le risque d’une contagion, l’amorce d’une déconstruction, l’inversion du mouvement, d’ailleurs irréfléchi, d’élargissement continu de l’Union. La Grande-Bretagne en paierait un prix plus lourd qu’elle ne l’imagine mais l’Union européenne subirait le plus gros échec de son histoire. A Londres, les partisans du maintien ont joué de la peur, les partisans de la sortie ont joué du mensonge. Une fois de plus, la démagogie populiste semblerait bien plus efficace que la propagande européenne.
Quelle que soit l’issue, la preuve aura donc été administrée que l’Union européenne a grand besoin de se réinventer. Ella a beau avoir représenté sans doute l’idée la plus neuve et la plus audacieuse de l’après-guerre - parier sur l’union volontaire de peuples si différents -, elle peut porter à son crédit la stabilité d’un continent jadis convulsif, le décollage économique des nouveaux arrivants, un gage de démocratie, rien n’y fait. L’Europe n’est pas parvenue à se faire aimer des peuples. Elle s’est laissée enfermer dans une caricature de forteresse technocratique et bureaucratique. On lui fait porter le poids de crises économiques importées d’ailleurs. On l’accuse d’entraver la démocratie : y a-t-il dans le monde un continent plus pacifique et plus respectueux des droits individuels ? On critique à bon droit la rigidité de sa politique budgétaire, en omettant de dire que ce sont les Etats membres qui l’ont choisie. On la diabolise sans cesse mais c’est un fait : on ne l’aime pas, on ne l’aime plus et c’est elle qui porte la responsabilité de ce rejet historique.
Elle doit donc se réinventer, se redéfinir, se réincarner. Elle doit le faire dès le lendemain du référendum britannique. Elle doit, chacun le reconnaît, se débarrasser de sa passion normative, rompre avec sa tentation intrusive permanente, cesser de s’occuper des détails et de multiplier les réglementations vaudevillesques. Elle doit aussi accepter plus de transparence et plus de démocratie. Le Parlement européen joue nettement mieux son rôle que le Parlement français mais ses pouvoirs sont incomplets. Le Conseil européen, le véritable centre de décision, demeure une institution opaque. La zone euro manque elle aussi d’un contrôle parlementaire et d’un débat à ciel ouvert. Tout cela constitue un bloc de défauts qu’il est possible de corriger mais dont la réforme ne saurait suffire.
En fait, l’Union européenne devrait se recentrer sur un petit nombre d’objectifs prioritaires qui lui font défaut et qu’elle pourrait valoriser et enfin expliquer. Elle est militairement vulnérable. Elle a besoin d’une défense commune, elle n’en a pas. Elle pourrait au minimum en jeter les bases industrielles et opérationnelles. Schengen ne suffit plus, on le voit bien, tant à propos des flux migratoires que de la sécurité. Il faut changer de système. La BCE fait de son mieux mais ses pouvoirs sont insuffisants. Elle devrait disposer des mêmes instruments que la Réserve fédérale américaine. L’Union européenne n’a qu’une politique sociale modeste, malgré les objurgations de Jacques Delors. Tant qu’elle n’en sera pas dotée, elle ne sera pas aimée. Elle n’a pas de politique énergétique commune, un handicap absurde. Par-dessus tout, elle n’est plus incarnée par personne depuis Helmut Kohl et François Mitterrand. Sans visages, sans leaders, elle ne guérira pas. Où sont-ils ?
Alain Duhamel, journaliste.