Qu’y a-t-il dans la tête d’un terroriste? L’avis d’un psychanalyste

La culpabilité et les maltraitances infligées à soi-même préexistent à la faute. Prenons une situation significative. L’enfant à qui l’on fait du mal se met à faire mal, tant à lui-même qu’à ses proches. S’il perçoit qu’il n’est ni aimé ni désiré, il se sent en surplus. Non sans juste mobile, il tombe malade, criminalise ses actes, voire se donne la mort ou se suicide de manière inconsciente.

Parmi les criminels, il faut distinguer ceux qui commettent des crimes, sans éprouver de culpabilité, de ceux qui livrent bataille à une société au nom d’une idéologie guerrière. Cet argument, plus descriptif qu’explicatif, reste superficiel si l’on n’approfondit pas les actes des malfaiteurs qui avilissent la vie.

En analysant les bas-fonds de l’humain, la psychanalyse a prouvé combien les conflits qui font rage en lui sont attelés à deux principaux désirs: l’un vise à tuer le père, l’autre à avoir des relations sexuelles avec la mère. Ce sont deux crimes, les seuls à en croire Freud, qui sont poursuivis et exécrés depuis la nuit des temps. Leurs avatars continuent de se manifester en notre mauvaise conscience, notre morale, sous la pression des forces libidinales et destructives du complexe d’Œdipe et de la culpabilité retorse.

Comprendre que cette mauvaise conscience est l’envers du crime, c’est la difficulté majeure à laquelle les résistances de chacun se heurtent. Mieux: comprendre que le crime est d’abord un châtiment vécu en soi et qu’il n’existe pas en dehors des revendications qui en sont le moteur, c’est le point névralgique, difficile à élucider, qui dans tous les cas mènent aux meurtres tant individuels que d’Etat.

Les criminels, quels qu’ils soient, ne plongent jamais dans le cœur des innocents qu’ils éliminent. Je vois en eux des personnages impitoyables à la botte d’un maître cruel. Leurs actes sont précédés d’une folie qui les ensorcelle. Leur être réclame du sang et du corps mort. Il a soif du «bonheur du couteau» comme l’a dit si bien Nietzsche.

Qui que nous soyons, le fait que nous ne nous faufilions pas dans l’intime de l’humain nous exclut de la connaissance des mobiles comportementaux. Une réalité est patente: nombre de ceux qui sont maladivement persécutés annulent la capacité de discerner leurs défauts; beaucoup s’éprouvent persécutés en même temps qu’ils commettent des crimes. C’est le drame d’une obscure culpabilité qui les pousse à la faute et lui préexiste.

On ne guérira jamais le terrorisme au moyen d’un autre terrorisme, fût-il celui d’un Etat présumé raisonnable. Faire la belle âme serait encore moins bienfaisant. On s’illusionne si l’on pense pouvoir éradiquer une fois pour toutes la pulsion sacrificielle des hommes. Chacun le sait peu ou prou. Il y a plus d’un état de terreur dans les affres de la psychopathologie quotidienne. J’affirmerai qu’il n’est de terrorisme qui ne dépende d’un désir terrible, inféodé par la haine et la volonté de puissance.

Le terrorisme est une torture qui habite l’être du dedans avant de rejaillir sur l’extérieur. Il est la conséquence d’une ancienne, mais toujours actuelle maltraitance, logée en soi. Il est le symptôme d’une violence, subie et agie, qui renaît de ses cendres. Il commence depuis le plus jeune âge. Or de cela quasi personne ne parle.

Nous devons être conscients que l’individu terrorisé, vivant en son être le mal torturant, est doublement en conflit avec lui-même et le monde extérieur. De son état psychique, la recherche psychanalytique fournit un éclairage: il s’agit, dira-t-elle, d’une catastrophe affective, voire d’un assassinat d’âme dont le mobile est à la fois actif et occulté. Il s’agit d’une présence à soi et aux autres conditionnée par une situation, faite de culpabilité punitive, qui n’accède jamais à la conscience.

Mais encore, nous devons être conscients que l’individu terrorisé et terrorisant cherche, jusque dans la mort, une solution à la menace qui le persécute, une solution qui le délivre de sa souffrance. Pour ce faire, il réactualise, et de diverses manières passionnelles, le péril initial qui l’aliène. De cette dynamique psychique, les commentateurs des massacres de janvier en France et d’avant-hier à Tunis font trop peu cas. Ils préfèrent gloser à tout va en fonction d’un vocabulaire politique.

En un mot comme en cent, le criminel terroriste répète la catastrophe qui le subjugue, en même temps qu’il aspire au salut, fût-ce sous couvert d’une obéissance ou d’une idéalisation religieuse, voire de la promesse d’un avenir meilleur. C’est, dirai-je, le naufragé qui appelle le retour du naufrage en reproduisant la situation d’origine dont il est le rescapé. Ainsi, il espère être délivré et bénéficier des faveurs du grand Autre, Dieu ou prophète, au nom duquel il agit.

Serait-ce lui, le naufragé, le terroriste terrorisé prêt au sacrifice suprême et en proie à une terreur qui lui vient des bas-fonds? Sans doute.

Un fait est sûr. Au chapitre des influences psychiques qui pèsent de tout leur poids, il importe de relever qu’il n’est de religion patriarcale qui ne se fonde sur la persécution d’une malédiction originelle et le sacrifice expiatoire. A croire qu’il n’y a rien en elle que le crime n’épargne du fait d’une sourde haine et de la culpabilité qui l’accompagne, cela bien avant que l’amour miséricordieux n’entre en scène pour remédier à ses méfaits.

Au regard d’une telle situation, l’aveuglement des politiques, qui font l’impasse sur les forces de l’inconscient, m’apparaît affligeant. Comprendre qu’il s’agit de la compulsion de répétition démoniaque, inscrite au cœur de la pulsion sacrificielle, les conduirait à l’essentiel à partir duquel une conception plus juste de la réalité pourrait émerger.

Encore faut-il, à cet effet, s’engager sur la route tortueuse d’une recherche de la vérité; sachant qu’il n’est de symptôme qui ne renferme sa cause, et que, dès lors que l’on ignore celle-ci, le tragique tant de l’humain que de l’inhumain triomphe.

Mario Cifali, psychanalyste à Genève.

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