RD Congo : dangereuse guerre d’influence dans l’ex-Katanga

Riot police hold their position as they attempt to disperse supporters of Democratic Republic of Congo's opposition Presidential candidate Moise Katumbi, on 13 May 2016. REUTERS/Kenny Katombe
Riot police hold their position as they attempt to disperse supporters of Democratic Republic of Congo's opposition Presidential candidate Moise Katumbi, on 13 May 2016. REUTERS/Kenny Katombe

L’ex-province du Katanga, en République démocratique du Congo (RDC), découpée en quatre nouvelles provinces en 2015 (Haut-Katanga, Tanganyika, Haut-Lomami et Lualaba), est depuis cette même année en proie à des querelles entre le camp du président Joseph Kabila et celui de ses adversaires, presque tous ses anciens alliés. Figures centrales de cette opposition récente : Moïse Katumbi, homme d’affaires et ancien gouverneur du Katanga (aujourd’hui en exil), et Gabriel Kyungu wa Kumwanza, président de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec). Depuis la dernière publication de Crisis Group sur la région du Katanga en 2016, cette guerre d’influence s’est encore envenimée. Dans la mesure où des hommes politiques ont par le passé manipulé des foules violentes ou des groupes armés pour servir leurs propres intérêts, et où les forces de sécurité gardent l’habitude de faire usage de la force envers des civils, le risque de dérapage est réel.

Les enjeux nationaux et provinciaux s’entremêlent. D’une part, le mécontentement envers Kinshasa gagne du terrain, face aux manœuvres politiques et à la détérioration de la situation économique. D’autre part, pour un président déterminé à se maintenir au pouvoir, l’ex-Katanga, dont il est originaire, reste un enjeu majeur sur la scène nationale. En effet, la région est source de 71 pour cent des exportations du pays, et a été son principal bastion électoral.

Ayant imposé son choix de Premier ministre en avril 2017 et gagné la bataille sur l’application de l’accord de la saint-Sylvestre signé le 31 décembre 2016, Kabila se sent en position de force. Il a réussi à exploiter le manque de cohésion de l’opposition ainsi que sa faible capacité de mobilisation populaire. Mais le président a besoin de soutien et d’argent, et il doit démontrer qu’il contrôle des zones stratégiques du territoire national, sujet de préoccupation particulier pour ses voisins, ses homologues africains et les investisseurs dans le secteur minier. Pas question pour lui, donc, de perdre le contrôle de l’ex-Katanga, surtout en faveur de son ancien allié Katumbi, auquel il essaie de faire barrage par tous les moyens.

Le Katanga au cœur de l’histoire nationale

L’ex-province est au cœur de l’histoire tumultueuse de la RDC. Ayant connu un mouvement de sécession en 1960, lors de l’accession du pays à l’indépendance, elle est ensuite un champ de bataille durant la guerre civile (1997-2003) et le bastion des régimes Kabila, père et fils, depuis 1997.

Depuis son accession au pouvoir en 2001, Joseph Kabila a travaillé sans relâche pour garder le Katanga sous son influence. En partie grâce à l’aide de son allié de l’époque, Katumbi, il a pu protéger les intérêts économiques de sa famille et de ses proches dans les secteurs bancaire, agricole, et surtout minier ; lui et sa famille détiendraient ainsi des permis d’extraction de cuivre et cobalt au Katanga.

En même temps, les « Katangais » ont bénéficié d’un nombre très important de postes clés dans le gouvernement et la haute administration à Kinshasa. Mais après les élections de 2011, le mécontentement se fait sentir parmi plusieurs de ses alliés qui dénoncent son intention devenue de plus en plus claire de se maintenir au pouvoir au-delà de la fin de son deuxième et, selon la Constitution, dernier mandat, en décembre 2016.

L’hostilité croissante entre Kabila et ses anciens camarades devient manifeste en 2015, lorsqu’il prend la décision surprise d’appliquer les dispositions de la Constitution concernant la création de nouvelles provinces. Résultat : en juillet, le Katanga est scindé en quatre. Certes, le découpage crée de nouvelles perspectives politiques, dont plusieurs membres de l’élite se réjouissent. Mais en général, et surtout dans l’ancienne capitale Lubumbashi, le projet est vécu comme une tentative illégitime de diviser la province, et donc de l’affaiblir. Il est en effet fort possible que le découpage ait été motivé par un désir de réduire le pouvoir des élites de Lubumbashi, et de Katumbi en particulier.

La réaction ne tarde pas. Le 17 septembre 2015, sept partis politiques, dont un nombre significatif de formations katangaises, évincés préalablement de la majorité présidentielle (« la majorité »), alliance de partis politiques en soutien du président, forment le Groupe des sept partis politiques (G7) et rejoignent l’opposition. Le 29 septembre, Katumbi quitte la majorité et démissionne de son poste de gouverneur. Lorsque, le 4 mai 2016, il annonce sa candidature à l’élection présidentielle, il reçoit le soutien inconditionnel du G7. En juin 2016, Katumbi et le G7 rejoignent la plate-forme de l’opposition devenue « le Rassemblement », dirigée par Etienne Tshisekedi, membre de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) jusqu’à sa mort le 1er février 2017.

Un paysage politique dangereusement divisé 

Contre la menace d’une consolidation d’un bloc populaire rassemblant ces groupes d’opposition – et bénéficiant d’une certaine indépendance grâce aux moyens financiers de Katumbi – la majorité a d’abord choisi d’instrumentaliser la justice. En mai 2016, des poursuites judiciaires ont ainsi été lancées contre Katumbi, et conduit à sa condamnation à trois ans de prison pour spoliation de biens. Ce procès – dont la crédibilité a été mise à mal par le départ en exil de la juge du tribunal de paix de Lubumbashi au motif qu'elle était menacée – l’a contraint à l’exil. Plusieurs alliés de Katumbi ont également été incarcérés à l’issue d’autres procès.

Gabriel Kyungu, membre du G7 et personnage influent de la vie politique katangaise, est la dernière cible de la majorité. A plusieurs reprises, depuis janvier 2015, cette dernière a ainsi tenté de pousser son parti, l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec), qui dispose d’un mouvement de jeunes très organisé, vers la confrontation violente avec la police. Une stratégie de criminalisation qui n’a pas mené à des violences ouvertes, mais la tension demeure. Globalement, les forces politiques visées ont réagi avec une grande prudence. Les manœuvres de la majorité perturbent et déstabilisent, mais fournissent aussi une certaine crédibilité politique aux transfuges.

Avec le découpage, de nouveaux gouverneurs sont entrés en jeu, élus par les assemblées provinciales à partir de mars 2016. La majorité n’a pas ménagé ses efforts pour maintenir un contrôle direct sur les gouvernorats. Ces changements se sont accompagnés d’âpres luttes politiques, et, par ricochet, communautaires. Le Haut-Katanga, en particulier, a connu dans les années 1990, notamment, des tensions entre communautés autochtones et communautés venues de la région du Kasaï depuis l’époque coloniale. En tant que gouverneur, Katumbi a travaillé en étroite collaboration avec les Kasaïens. Mais son successeur, Jean-Claude Kazembe, qui figure sur la liste des personnalités visées par des sanctions européennes depuis mai 2017, qui bénéficiait d’un fort soutien de la majorité, a mis en œuvre une stratégie de division communautaire, en essayant d’évincer ceux qui avaient travaillé avec Katumbi parmi les communautés luba, rund et kasaïenne. Une approche visant à mieux asseoir une légitimité autrement contestée, en marginalisant les Kasaïens, qui avaient  pris fait et cause pour l’opposition, dans la perspective des prochaines élections, et finalement démanteler les réseaux et l’influence de son prédécesseur.

Cette stratégie, hautement dangereuse dans un contexte déjà tendu, s’est retournée contre Kazembe, devenu très impopulaire et rappelé à Kinshasa pour consultations en mars 2017. Faisant face à des accusations de mauvaise gestion, ce qui semblerait aussi avoir attisé des rivalités au sein de la majorité, il a été démis de ses fonctions en avril 2017 par un vote unanime de l’assemblée provinciale, dominée par la majorité. Une décision qu’a depuis annulée la Cour constitutionnelle, et dont les suites judiciaires et politiques restent obscures. Le 22 avril, l’assemblée a choisi Célestin Pande Kapopo, ex-ministre provincial de l’économie, comme gouverneur intérimaire. Contrairement à son prédécesseur, Pande a mis l’accent sur la réduction des tensions avec la communauté kasaïenne. Ceci pourrait indiquer que la majorité, qui contrôle l’assemblée provinciale, est consciente que des violences communautaires pourraient aussi la décrédibiliser et donc profiter à Katumbi. Dans la province voisine de Lualaba, le gouverneur Mujey, un poids lourd de la majorité, avait d’ailleurs d’entrée de jeu pris une position plus consensuelle vis-à-vis des différentes communautés.

Malgré son exil prolongé, Katumbi conserve plusieurs avantages. D’abord, ayant gouverné tout le Katanga, il incarne, aux yeux d’une partie importante de la population, l’unité de la région. Par ailleurs, il peut désormais se présenter comme victime du gouvernement de Kinshasa, d’autant plus qu’un récent rapport de l’Eglise catholique (Cenco) a qualifié le procès contre lui de « mascarade ». Enfin, il peut toujours utiliser ses ressources personnelles pour se maintenir dans le jeu politique.

La locomotive économique au ralenti

Le cuivre et le cobalt produits dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba représentent en valeur 71 pour cent des exportations congolaises et contribuent de façon cruciale au budget de l’Etat. Entre 2007 et 2015, la demande et l’investissement chinois ont conduit à une forte expansion de la production industrielle et artisanale, dont a profité Katumbi, alors gouverneur.

En 2015, la soudaine baisse des prix des matières premières a eu pour conséquence la fermeture de plusieurs sites de production et une diminution des exportations de cuivre (de 1,03 million de tonnes en 2014 à 995 815 tonnes en 2015). La légère reprise des exportations en 2016 (avoisinant 1,02 million de tonnes) est largement due au lancement de la production de la Sicomines, une co-entreprise (joint-venture) établie dans le cadre de l’accord Chine-RDC de 2009 qui prévoit un investissement chinois de 3,2 milliards de dollars dans l’infrastructure, remboursé par le cuivre produit par la Sicomines. Cette production ne représente donc pas de nouveaux revenus pour l’Etat congolais. La production annuelle de cobalt a chuté de 7,7 pour cent entre 2015 et 2016. Cette évolution dans le secteur minier intervient en même temps que l’intensification des tensions politiques depuis le départ de Katumbi.

Dans les deux provinces méridionales de l’ex-Katanga, le Haut-Katanga et le Lualaba, plus urbanisées et dépendantes des importations et du système de transport, cette crise du secteur minier s’est accompagnée d’une augmentation, plus forte qu’ailleurs en RDC, du coût de la vie. Le prix du sac de 25 kilogrammes de farine de maïs, denrée de base pour la population katangaise, a ainsi augmenté de 14 107 (10 dollars) à 42 321 (30 dollars), voire même 56 428 francs congolais (40 dollars) entre octobre et décembre 2016. La production en Afrique australe, d’où l’ex-Katanga importe jusqu’à 75 pour cent de sa consommation, est fortement réduite à cause de la sécheresse et de l’attaque des chenilles légionnaires. Entre avril 2016 et mai 2017, le gouvernement zambien avait d’ailleurs suspendu ses exportations vers la RDC afin de contenir le prix sur son propre marché. Les chenilles légionnaires affectent aussi directement la production en RDC. Entre décembre et février derniers, elles y auraient détruit quelques 63 000 hectares.

Sous son gouvernorat, Katumbi avait élaboré une politique agricole dite du « cuivre vert ». Cette politique avait pour objectif l’augmentation de la production agricole locale, notamment par les sociétés minières et brassicoles. Sous son gouvernorat, la province mettait également l’accent sur la stabilité des prix sur le marché en prévoyant des importations en cas de besoin. Par hasard, le départ de Katumbi a coïncidé avec une double crise : celle du secteur minier et donc de l’emploi et celle de l’approvisionnement en maïs à cause de la sècheresse. Ces deux éléments ont augmenté la frustration au sein de la population. Les nouveaux gouvernements provinciaux n’avaient ni les connections régionales ni la stratégie adéquate pour faire face à ce problème. Conscients des enjeux, de hauts responsables congolais ont effectué plusieurs missions dans des pays voisins pour tenter de sécuriser l’approvisionnement en maïs. En mars, le gouverneur de l’époque, Kazembe, et son homologue de la province de Lualaba, Muyej, ont pu en importer d’Afrique du Sud pour un prix compris entre 20 000 (14,5 dollars) et 25 000 francs congolais (18 dollars) le sac de 25 kilogrammes. Ce prix reste élevé pour les familles en comparaison avec le prix d’avant-crise de 14 107 francs congolais (10 dollars), comme en témoignent aussi les statistiques de la Cellule d’analyses des indicateurs de développement (CAID) en RDC.

Katumbi a alors annoncé qu’il importerait 100 000 tonnes de maïs et les revendrait à un meilleur prix que celui proposé par les deux gouverneurs. Au-delà des problématiques communautaires et de la question de l’alternance politique, les conditions de vie et le contraste entre les difficultés actuelles et la prospérité relative sous Katumbi sont d’une grande importance politique. Une partie de la population a d’ailleurs préféré attendre le maïs de Katumbi en refusant d’acheter celui importé par les deux gouverneurs, et certains ont même brûlé une importante cargaison importée par ces derniers.

Un problème de sécurité majeur

L’insécurité qui sévit dans la région des Kasaïs, et dans d’autres provinces où une population de plus en plus mécontente défie un régime sclérotique, concerne aussi plusieurs zones de l’ex-Katanga. Ainsi, dans le Haut-Katanga, l’insécurité est en hausse dans des villes telles que Likasi et Lubumbashi. L’accueil en octobre 2016 du seigneur de guerre et chef de la milice Bakata-Katanga, Gédéon Kyungu, condamné pour crimes contre l’humanité par le tribunal militaire du Haut-Katanga en 2009, a consterné la population. Cet individu, auparavant en armes contre Kinshasa, a été logé par le gouvernement provincial dans un des quartiers chics de Lubumbashi avec la bénédiction de Kinshasa. Des habitants du Haut-Katanga, rencontrés par Crisis Group à Lubumbashi en février 2017, ont exprimé leur crainte que Gédéon soit utilisé par les autorités pour remobiliser ses milices si la situation sécuritaire venait à se détériorer dans le Katanga. Des rapports ont signalé la présence de miliciens de Gédéon dans la région des Kasaïs, en soutien au gouvernement, raison pour laquelle il est apparu sur la liste des sanctions de l’UE en mai 2017.

Dans le Tanganyika, le conflit opposant les communautés batwa (Pygmées) et baluba (Bantou) s’est fortement intensifié entre juillet et décembre 2016. Pour y mettre fin, le gouvernement central a organisé des pourparlers avec les deux communautés, conduisant à la signature d’un pacte de non-agression le 24 février. Mais au vu de la précarité de la situation politique et économique, le risque de débordements subsiste.

Les organisations humanitaires parlent aujourd’hui de près de 600 000 déplacés internes en raison des attaques et des conflits communautaires dans l’ex-Katanga, principalement dans le Tanganyika et le Haut-Katanga. S’y ajoute une vague récente de plus de 20 000 déplacés originaires du Kasaï vers le Lualaba. Cette situation montre à quel point la stabilité dans l’ex-province est précaire – ce qui sert les intérêts objectifs d’un régime déterminé à créer des obstacles à l’organisation d’élections afin de conserver le pouvoir. En même temps, comme le démontre l’attitude plus conciliante du gouverneur intérimaire du Haut-Katanga, membre de la majorité, le régime s’efforce de limiter les retombées conflictuelles de sa propre politique, surtout dans cette zone hautement stratégique. Un exercice d'équilibriste à haut risque.

Conclusion

Depuis fin 2016, les négociations entre opposition et majorité se sont embourbées et Kabila reste ainsi maitre du jeu politique à Kinshasa. Cependant, et malgré sa détermination, son habileté politique et le contrôle qu'il exerce sur les ressources étatiques, il n’arrive à acquérir ni popularité ni légitimité auprès de sa population. Dans l’ex-Katanga, le mécontentement populaire s’adosse à des figures emblématiques qui agissent au sein d'une nouvelle opposition relativement puissante et cohérente. La confrontation, déjà entamée au niveau judiciaire et économique, risque d’être très rude.

Richard Moncrieff, Project Director, Central Africa. Nairobi, Kenya. Philippe Kadima Cintu, Fellow, Central Africa. Nairobi, Kenya.

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