Réactions de l’ONU aux agressions sexuelles commises par les troupes de maintien de la paix: est-ce suffisant?

Le consensus est à peu près absolu sur la nécessité de prévenir les abus sexuels contre les enfants. Pour s’en convaincre, observons l’indignation et la colère populaires, lorsque des affaires de pédophilie éclatent avec une régularité métronomique en Suisse, comme dans les pays voisins.

En fait, la réaction sociale, que certains médias amplifient, est souvent bien moins un élan d’empathie envers les victimes qu’une fureur envers les diables modernes que sont les abuseurs d’enfants.

La prévention souffre d’un manque chronique de ressources humaines

Le soufflé retombe ensuite bien vite jusqu’à l’affaire de pédophilie suivante et c’est à peine si les spécialistes auront pu glisser dans le débat que la prévention souffre d’un manque chronique de ressources humaines et financières et, dès lors, peine à atteindre les nombreux enfants (une fille sur cinq et un garçon sur dix), qui continuent à être sexuellement abusés, dans un silence assourdissant, par des personnes de confiance, dans leur entourage familial proche ou élargi, dans leurs activités récréatives et sportives, et dans tous les lieux de vie que fréquentent les enfants.

Un phénomène similaire agite actuellement l’ONU qui est confrontée à des allégations d’abus sexuels nombreux et répétés, commis par des troupes de maintien de la paix déployées en République Centrafricaine ou dans d’autres zones où les conflits font rage. Dans un premier temps, de telles accusations ont été émises contre des membres des troupes Sangiris composées de soldats français.

Le système onusien n’a pas su intervenir rapidement

Ces dernières semaines, de nouvelles affaires éclatent, alléguant de sévices d’une rare cruauté par des forces de paix, provenant du Gabon et du Burundi, de la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des NU en République Centrafricaine (MINUSCA).

Les dernières révélations ne sont que de l’huile sur le feu après un rapport d’enquête accablant à l’égard du système onusien qui, non seulement, n’a pas su intervenir rapidement en faveur des victimes, mais a même, dans une certaine mesure, tenté d’étouffer le scandale.

Aujourd’hui, il faut reconnaître que M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU, s’est mobilisé avec une énergie authentique, ce qui tranche avec le ronronnement diplomatique habituel de l‘institution. On peut le comprendre à la lecture de l’introduction du Rapport d’enquête: «Lorsque des forces de maintien de la paix exploitent la vulnérabilité des personnes qu’ils ont pour mission de protéger, il s’agit d’une rupture fondamentale de la confiance. Lorsque la communauté internationale faillit dans la prise en charge des victimes ou que la mise en responsabilité des auteurs n’est pas réalisée, la trahison est aggravée». M. Ban Ki-Moon multiplie donc les initiatives pour redonner un minimum de crédibilité à l’ONU dans ses opérations de maintien de la paix.

Un «cancer» de l’organisation

Parmi ces mesures, le Secrétaire général a désigné une fonctionnaire chevronnée de l’ONU pour coordonner les efforts de l’organisation pour endiguer ce qu’il a nommé un «cancer». Il a aussi bousculé les mœurs onusiennes en autorisant une politique visant à «désigner et blâmer» (name and shame) les pays dont les troupes commettent des abus sexuels: ainsi, il peut cesser d’effectuer des payements en faveur des pays fournisseurs de troupes suspectées d’abus. Et tout récemment, le Conseil de sécurité des NU a approuvé le projet de renvoyer au pays – sans délai – des contingents nationaux entiers dont certains membres sont soupçonnés d’abus, si leurs autorités nationales ne mènent pas des investigations urgentes et sérieuses, à l’attention du Secrétaire général.

Ces premiers pas sont aussi importants que nécessaires. Ils devront être complétés par un ensemble d’actes concrets qui attesteront du sérieux de la prise de conscience onusienne sur le long terme.

Décennies perdues, en Suisse notamment

Il est, par exemple, proposé de mettre en place une équipe de spécialistes multidisciplinaires qui pourrait rapidement mener des investigations lorsque des abus sont allégués. Cette mesure fait écho aux décennies perdues, comme en Suisse, lorsque des investigations d’abus sexuels étaient réalisées par des professionnels non formés, avec la conséquence insoutenable de voir la justice incapable de traiter objectivement des affaires bâclées, voire, d’infliger des dommages psychologiques supplémentaires aux enfants victimes.

Mais l’essentiel sera plus difficile à mettre en marche. D’une part, la machine administrative énorme qu’est l’ONU doit s’extirper de l’application bornée des montagnes de règlements concernant l’exploitation sexuelle et les abus qui grippent le système du fait, par exemple, que certains règlements et procédures s’appliquent aux fonctionnaires et pas aux troupes de maintien de la paix.

Quasi-impunité des forces de maintien de la paix

La première recommandation du rapport d’enquête est donc de considérer que toute allégation d’abus sexuel, quel que soit le statut de la personne suspectée, est une violation des droits humains en zone de conflit et de la traiter avec les mécanismes légaux à disposition. La quasi-impunité des forces de maintien de la paix diminuerait.

D’autre part, et c’est plus délicat, les forces armées mises à disposition de l’ONU ne s’improvisent pas du jour au lendemain agents de maintien de la paix. La sélection et la formation de ces troupes doivent être renforcées dans tous les pays même lorsque ce type de préparation existe déjà (le mauvais exemple de la France le démontre).

Mais il faut aussi réaliser que la part des troupes occidentales à disposition de l’ONU, bénéficiant de moyens significatifs pour la formation, représente un pourcentage toujours plus faible de l’ensemble des forces de maintien de la paix. Actuellement, les pays de l’Union Européenne constituent environ 6% des 100 000 soldats mobilisés, contre 40% il y a 20 ans.

Droit des victimes à poursuivre leurs bourreaux

Ce sont les troupes provenant d’Ethiopie, d’Inde, du Bengladesh et du Pakistan qui sont les plus nombreuses et, dans leur très grande majorité, elles accomplissent leurs missions très correctement. Les difficultés sont plutôt à chercher parmi des contingents de pays plus petits qui n’assurent pas la sélection et la formation de base de leurs soldats et qui sont plutôt à la recherche de la manne financière que l’ONU leur octroie.

Surtout, n’oublions pas les enfants victimes. Ils devront bénéficier à l’avenir d’un soutien et d’une protection sans faille (dont la préservation de leur identité), le droit de poursuivre leurs bourreaux et le droit à une indemnisation significative de la part des responsables des troupes qui se comportent comme des sauvages, qu’elles proviennent d’Europe ou d’ailleurs, ou à défaut d’un fonds conséquent de l’ONU.

Le conflit et la guerre engendrent bien des violations, la Suisse en a fait depuis longtemps une cause humanitaire pour en corriger un certain nombre. Mais rien ne justifie les exactions réalisées par des troupes de maintien de la paix.

Philip D. Jaffé, professeur à l’Université de Genève.
Jean Zermatten, ancien président du Comité des droits de l’enfant à l’ONU.
Benoit Van Keirsbilck, président Défense des enfants – International

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