Réchauffement climatique : « N’y a-t-il pas un risque à vouloir trop attendre du secteur financier ? »

Alors que l’accord de Paris n’a toujours pas été ratifié et que les dernières températures relevées sont inquiétantes (selon la NASA, août 2016 serait le mois d’août le plus chaud en 136 ans), la ministre de l’environnement Ségolène Royal a exhorté le monde de la finance, lors d’une conférence du TCFD – une organisation destinée à promouvoir l’intégration du risque carbone – à passer à la vitesse supérieure.

La prise en compte de l’empreinte carbone dans la gestion des actifs financiers est malheureusement loin d’être réglée. Ce qui pousse d’ailleurs BlackRock, un gestionnaire d’actifs avec plus de 4 900 milliards de dollars sous gestion, à clamer que tous les investisseurs devraient désormais intégrer le réchauffement climatique.

Mais n’y a-t-il pas un risque à vouloir trop attendre du secteur financier ?

D’abord celui-ci est confronté à une pression court-termiste ce qui ne l’encourage pas à tenir compte des problèmes qui éclateront dans 10 ou 15 ans, phénomène analysé dans une étude de Generation Foundation et 2°i Investing Initiative, « La Tragédie de l’horizon ».

Ensuite, la gestion de fonds s’astreint à la diversification sectorielle pour offrir un risque raisonnable à ses clients. Ainsi les grands fonds investissent dans presque tous les secteurs, y compris dans ceux à forte intensité carbone (même si le charbon est maintenant persona non grata pour certains gérants comme le fonds souverain Norvégien).

Pratique du « Best-In-Class »

En revanche, les financiers peuvent ne retenir dans un secteur donné que les entreprises les moins polluantes à l’instar de l’ERAFP, un fonds de pension français, 100 % ISR (investissement socialement responsable). Mais cette pratique dite du « Best-In-Class » suffira-t-elle à « décarboner » l’économie ? En 2015, Oxfam et les Amis de la Terre affirmaient que les banques françaises finançaient sept fois plus les énergies fossiles que les renouvelables.

Dans ce contexte, les régulateurs américains, comme le révèle un article du Wall Street Journal, réfléchissent à intervenir en instaurant des règles de reporting obligeant les entreprises cotées à rendre compte sur le risque climatique.

Ne faut-il pas aussi miser sur le couple acheteur-fournisseur ?

C’est dans les chaînes d’approvisionnement que résident les plus grands gisements de progrès. Celles-ci représentent jusqu’à quatre fois les émissions directes de gaz à effet de serre (GES) des multinationales donneuses d’ordre.

De plus les acheteurs tendent à travailler sur le long terme avec leurs fournisseurs stratégiques. Or, si ceux-ci sont impactés par le réchauffement, leurs clients le seront aussi : quand une usine est implantée dans une zone à risque, elle peut virtuellement bloquer l’ensemble de ses clients. Les acheteurs ont beaucoup à perdre. Selon le Carbon Disclosure Project et BSR, 72 % pensent que le climat représente un risque significatif pour leurs opérations.

L’Oréal : neutralité carbone d’ici 2020

Tirons aussi profit de la proximité entre acheteurs et fournisseurs, les premiers peuvent inciter les seconds à s’engager. « Le client est roi » peut ainsi jouer pour convaincre les fabricants à réduire leur empreinte.

A titre d’exemple, L’Oréal a identifié le filon important que constituait sa chaîne d’approvisionnement en ciblant la neutralité carbone d’ici 2020 ; pour ce faire elle déploie un programme de « sourcing durable » consistant à sélectionner les fournisseurs les plus vertueux.

Les enjeux sont tels qu’il ne faut pas hésiter pas à cumuler le levier des « Achats responsables » avec celui de la « Finance responsable ».

Acheteurs et fournisseurs collaborent déjà au sein de places de marché électroniques. Il suffirait d’équiper ces plates-formes d’applications permettant de suivre les engagements et les résultats en matière de réduction des GES, et faciliter la collaboration pour profiter – grâce à l’effet réseau – d’une dissémination des bonnes pratiques à travers toutes les strates de l’économie.

Sylvain Guyoton, Vice-président d’EcoVadis.

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