Reconstruction de Notre-Dame : « La question de l’encadrement du mécénat des entreprises doit être posée »

Au-delà des polémiques sur le rapport que les grandes entreprises et fortunes françaises entretiennent avec la solidarité nationale, leur élan collectif de soutien à la reconstruction de Notre-Dame révèle au grand jour la spécificité du cadre fiscal du mécénat en France et les dérives qu’il autorise.

Le régime français pour le mécénat est le plus favorable d’Europe. Il permet à une entreprise de déduire son don, soit-il financier, en nature ou en compétences, à hauteur de 40 % à 90 % du montant de son impôt sur les sociétés. Au-delà des gains en termes d’image et de communication, le régime français offre de plus des possibilités de rétributions en nature à hauteur de 25 % du montant du don, par exemple la privatisation du lieu pour un événement privé. Très attractif pour les grands groupes français, ce cadre se révèle en revanche extrêmement coûteux pour le contribuable : en 2017, la facture s’est élevée à plus de 900 millions d’euros de manque à gagner fiscal.

Historiquement, le mécénat relevait de l’initiative de dirigeants d’entreprise qui, par goût ou par passion, soutenaient un patrimoine, un projet architectural ou artistique. Cette démarche devait rester désintéressée et être clairement dissociée de l’activité principale du mécène. Avec le temps et l’évolution apportée par la loi Aillagon en 2003, les pratiques de mécénat se sont structurées et rationalisées en s’étendant aux secteurs socio-éducatifs et à celui de la santé, au point qu’elles se distinguent difficilement des politiques dites de RSE (responsabilité sociale d’entreprise), comme le souligne le rapport de la Cour des comptes du 28 novembre 2018. L’enjeu de cette distinction est pourtant central, car la RSE relève du droit des sociétés, alors que le mécénat relève d’un dispositif fiscal dérogatoire.

Double effet de levier

Si la dimension communicationnelle est indéniable et cristallise une grande partie des critiques, notre étude menée au sein d’une grande entreprise spécialisée dans la gestion des services d’eau et d’assainissement montre que les retombées peuvent aller bien au-delà (« Business models de l’entreprise et ONG : contributions du portefeuille de partenariats », Raphaël Maucuer et Alexandre Renaud, Management international, à paraître). Elles peuvent représenter un véritable outil stratégique au service de l’innovation et de la croissance de l’entreprise.

A travers ce cas, nous montrons que, en parallèle de son activité traditionnelle, l’entreprise développe des modèles économiques dits « philanthropiques », dans lesquels elle mène des actions de mécénat (financier et-ou de compétences) cohérentes avec son cœur de métier. Par le biais de son fonds de dotation, elle contribue à l’établissement et à la mise en exploitation d’un service qui, dans un environnement d’affaires habituel, ne serait absolument pas rentable. Pour cela, elle se positionne comme pourvoyeuse de ressources dans le cadre de « partenariats multipartites », associant des ONG, des bailleurs de fonds institutionnels (bilatéraux ou multilatéraux) et des collectivités locales.

Le coût consenti de cette activité bénéficie d’un double effet de levier, car il est adossé d’une part à une déduction fiscale, et d’autre part à un abondement du bailleur de fonds permettant généralement de doubler la mise : pour un investissement de 100 000 euros, l’entreprise n’en débourse que 20 000, l’Etat prenant en charge les 80 000 restants (50 000 au titre de l’abondement s’il s’agit d’un bailleur de l’Etat, et 30 000 au titre de la dépense fiscale). Au-delà de ce double effet de levier, le coût est rentabilisé par les bénéfices escomptés en termes d’image, de structuration de l’environnement d’affaires et de compréhension de certains marchés porteurs. En effet, combinant son modèle économique traditionnel à une démarche de mécénat, l’entreprise étend son champ d’action pour inclure des marchés inexplorés.

Ressources immatérielles

En finançant par son activité habituelle son modèle économique philanthropique, elle contribue à la création de ressources immatérielles (connaissances des marchés et des populations locales, proximité avec les décideurs locaux, capacités d’innovation, ingénierie de projet, etc.), qui pourront être redéployées dans le cadre d’activités rentables ou à fort potentiel.

Au-delà de la polémique liée à l’effet d’aubaine fiscale que représenterait la souscription au bénéfice de la reconstruction de Notre-Dame, la question de l’encadrement du mécénat des entreprises doit être posée afin que l’esprit d’un tel dispositif demeure le soutien de l’intérêt collectif. En effet, nous ne saurions faire peser les investissements stratégiques de grands groupes internationaux sur le porte-monnaie des contribuables, et in fine sur les leviers d’action de l’Etat, y compris pour la préservation de son patrimoine.

Raphaël Maucuer est professeur associé en management stratégique à l’ESSCA. Alexandre Renaud est professeur associé en management stratégique à l’EM Normandie

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