« Redistribuer mieux et plus équitablement la richesse » avec un revenu de base

C’est l’une des innovations sociales majeures de ce XXIe siècle. C’est aussi l’un des rêves de Martin Luther King qui prend forme. L’idée du revenu universel de base n’est, à vrai dire, pas nouvelle. Elle daterait,pour certains, du XVIIIe siècle. Elle est, en tout cas, porteuse d’avenir et d’espoir.

A l’occasion des auditions que j’ai menées pour élaborer mon rapport sur l’économie collaborative, j’ai pu me rendre compte que la disruption de l’économie traditionnelle allait entraîner des bouleversements importants dans notre société. A commencer par notre travail, nos emplois et notre protection sociale.

La transition numérique n’est plus une utopie. Elle est à notre porte. Beaucoup d’emplois vont être détruits avec la robotisation et avec la numérisation des procédés industriels. Le travail et le salariat se feront plus rares. On estime qu’en Europe un travailleur sur quatre sera en dehors du salariat ou indépendant en 2020. Un pic de chômage n’est pas à exclure dans les années à venir.

Expérimentation aux Pays-Bas

Le robot fera, demain, ce que l’homme fait aujourd’hui. Et cela, avec toujours les mêmes bénéfices pour les entreprises. L’enjeu sera donc de redistribuer mieux et plus équitablement la richesse produite. C’est pour cette raison que je milite pour la création d’un revenu universel de base.

Notre système de protection sociale, qui date de 1945, n’est pas adapté au monde d’aujourd’hui. L’Etat-providence, tel que nous le connaissons, s’est construit dans un contexte de plein-emploi. Ce n’est malheureusement plus le cas. Nous avons fait, en France, le choix du travail bien rémunéré et du chômage de masse. Il est temps de rompre avec cette vision, grâce à la mise en place d’un revenu inconditionnel.

Regardons ce qui se fait chez nos voisins européens les plus avancés sur ce sujet. Aux Pays-Bas, la ville d’Utrecht a lancé une expérimentation depuis le 1er janvier : 300 personnes, au chômage et bénéficiaires de minima sociaux, reçoivent un revenu de base compris entre 900 euros pour une personne seule et 1 300 euros pour un couple. En Suisse, le débat est vif, puisqu’un référendum d’initiative populaire sur l’instauration d’un revenu de base inconditionnel aura lieu le 5 juin. En Finlande, un projet pilote verra le jour en 2017.

À l’état de projet trop longtemps

En France, des initiatives existent aussi. Le conseil régional d’Aquitaine a voté, en juillet 2015, une motion qui vise à expérimenter un RSA inconditionnel. Le Conseil national du numérique préconise, dans un rapport de janvier, le lancement d’une étude de faisabilité et l’expérimentation d’une allocation universelle sur des territoires pilotes volontaires. C’est l’une des propositions du rapport que j’ai rendu au premier ministre, Manuel Valls, en février  : imaginer des «  territoires collaboratifs expérimentaux  ».

Les planètes sont donc alignées pour réfléchir sérieusement à la mise en place d’un revenu universel de base au niveau national. Cette innovation sociale ne peut plus être ignorée du politique. Jeremy Rifkin, essayiste américain spécialiste de l’économie du partage, disait, d’ailleurs, à ce sujet que «  la tâche politique urgente du prochain ­demi-siècle va être de revoir le modèle social et le modèle du marché, pour les adapter à une troisième révolution industrielle distribuée et coopérative  ».

Nous sommes à l’aube d’une troisième révolution industrielle. Et nous n’avons pas encore tout essayé pour nous préparer à ce changement et lutter contre la précarité et la pauvreté. Le concept du revenu de base est resté à l’état de projet pendant trop longtemps. Il fait aujourd’hui son retour en force, à l’heure de l’économie collaborative et de l’avènement de la «  société des communs  ». La principale différence est que, contrairement aux années 1960 de Martin Luther King, la société est aujourd’hui prête à faire cette révolution.

Son caractère universel serait source d’apaisement

La question de l’utilité sociale n’a jamais été aussi prégnante qu’aujourd’hui. A quoi sert réellement mon travail  ? Suis-je utile à la société dans laquelle je vis  ? Voilà des questions que chacun se pose. La création d’un revenu universel de base permettrait d’y répondre. Dégagés de ces considérations, les individus pourraient alors se concentrer sur de nouvelles formes de création de valeur ou de sens, comme le bénévolat, le volontariat ou l’économie sociale et solidaire.

Notre modèle d’allocations est, depuis le début de la crise de 2008, sans cesse mis en cause. En diminuer la complexité par le biais d’un regroupement en une prestation unique permettrait de gagner en lisibilité. Son caractère universel serait également source d’apaisement, dans une société où l’on croit trop rapidement que l’herbe est plus verte chez son voisin. Le revenu universel de base ­deviendrait ainsi un droit inaliénable à chaque individu, du jour de sa naissance jusqu’à celui de sa mort.

Reste à savoir quel modèle de répartition et de financement adopter. La question du montant de l’allocation universelle est, bien sûr, centrale. Elle dépendra de notre capacité à agglomérer toutes les formes d’aides, de prestations et de pensions en un seul dispositif. La France a prouvé qu’elle pouvait mettre en place un système de retraites par répartition, fondé sur la solidarité intergénérationnelle. Pourquoi ne serait-ce pas possible pour le revenu de base ?

C’est ce même esprit audacieux, issu du Conseil national de la Résistance, qui doit nous animer pour penser l’avenir. Tôt ou tard, le revenu universel de base s’imposera. Les « communs  » ne seront alors plus une simple approche conceptuelle et utopique du monde, mais une réalité dans laquelle la richesse et le bien commun seront partagés sans conditions.

Pascal Terrasse est l’auteur du «  Rapport sur le développement de l’économie collaborative  », remis le 8 février au premier ministre Manuel Valls.

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