Réforme de la pêche européenne : le Parlement et la Commission noient le poisson

En tant que politique alimentaire de l'Union européenne et petite sœur historique de la politique agricole commune (PAC), la politique commune des pêches (PCP) se doit de répondre aux objectifs de durabilité: préserver la ressource, assurer l'autosuffisance alimentaire de l'Union et maintenir l'activité économique et l'emploi.

Certes la PCP en vigueur n'a pas répondu à tous les enjeux de durabilité de la pêche, ni sur le plan social, ni sur le plan environnemental. Mais cette réforme telle que proposée par la Commission européenne et votée par le Parlement européen reste par bien des aspects une parodie de développement durable.

Cette parodie s'illustre par l'obligation du débarquement des captures accessoires. De quoi s'agit-il ? Lorsqu'un pêcheur prend dans ses filets des poissons juvéniles ou hors quotas, la règlementation européenne lui interdit à juste titre leur commercialisation.

C'est pourquoi les pêcheurs rejettent en mer ces captures dites "accessoires". Le projet de réforme vise à faire disparaître ces rejets en mer par la magie du débarquement obligatoire.

TRANSFORMATION DES REJETS EN FARINES

Pourtant le problème ne sera que déplacé à quai, car une fois débarqués, ces poissons ne ressusciteront pas pour autant. Pompon sur le bonnet, le texte prévoit que ces captures soient transformées en farines animales, sans doute pour répondre à la demande insistante des éleveurs notamment de saumons.

Les récentes déclarations de la Commission européenne autorisant l'utilisation des farines de volaille et de porc pour nourrir les poissons d'élevage confortent cette hypothèse.

Pour notre part, nous pensons qu'il existe d'autres solutions au développement durable que celle de la transformation des rejets en farines. Il aurait été plus pertinent de développer les technologies modernes de sélectivité, d'adapter les pratiques par la régionalisation et les plans de gestion. Les solutions sont moins spectaculaires mais ô-combien plus efficaces.

D'autres mesures fonctionnent en trompe l'œil. Les socialistes ont soutenu le Rendement maximal durable (RMD) – quantité de poisson que l'on peut pêcher sans affecter le processus de reconstitution des stocks – parce qu'il constituait un indice rationnel pour la préservation de la ressource.

Mais sa mise en œuvre telle que votée peut s'avérer désastreuse. Outre la formulation du texte qui préfère se noyer dans l'approximation et la surenchère plutôt que de s'en tenir au calcul, l'absence de données scientifiques interroge et inquiète.

Alors que le projet de réforme emploie tant de ferveur à imposer des calendriers drastiques pour les pêcheurs, nulle échéance contraignante n'est même envisagée pour résorber les abîmes de données chiffrées pourtant indispensables au RMD.

UN ENFER PAVE DE BONNES INTENTION

Quant au renouvellement de la flotte, c'est le grand tabou de cette réforme. N'est-il pas étrange de refuser de parler modernisation de la flotte quand on veut radicalement changer les modes de production? La pêche serait elle la seule à pouvoir muter vers la durabilité sans évolutions technologiques? Demande-t-on la même chose à la révolution énergétique?

Ces décisions auront bien sûr des conséquences socio-économiques que la Commission européenne a chichement estimées entre 10 et 15 % de suppressions d'emplois.

Qui peut prédire un avenir radieux aux pêcheurs si cette logique court-termiste les décime? Le risque existe de voir disparaître les criées, les flottilles, les métiers, les formations des lycées maritimes et les marchés.

Ainsi, comme pour d'autres industries, nous regarderions disparaitre cette activité multimillénaire de nos littoraux et de nos îles.

Ainsi, comme pour la sidérurgie ou le textile, nous aurons délocalisé. Et que l'on ne vienne pas nous dire que la bonne conscience du développement durable est sauve.

Quand nous importerons en Europe, non pas 60% mais 95%  de notre consommation des produits de la mer, il est probable que ces aliments soient produits dans des conditions sociales et écologiques bien moins durables.

Les socialistes français au Parlement européen sont convaincus qu'une autre PCP est possible, exigeante sur la préservation de la ressource et pourvoyeuse d'emplois. C'est pourquoi nous avons rejeté en conscience cet enfer pavé – comme chacun sait – de bonnes intentions.

Isabelle Thomas, eurodéputée (SD) et membre de la commission pêche et Catherine Trautmann, présidente de la délégation française au Parlement européen

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