Réforme des retraites : « Un quart de siècle de révisions partielles »

La France est, avec l’Italie et la Grèce, l’un des pays d’Europe qui consacre le plus de dépenses publiques aux retraites (plus de 14 % de son produit intérieur brut, PIB), ce qui garantit un niveau de vie moyen des retraités équivalent à celui des actifs, voire supérieur si l’on intègre le patrimoine.

L’Hexagone est aussi l’un des pays où l’on dénombre le plus de régimes différents, selon les professions (secteur privé, public, professions indépendantes, agriculteurs…), et d’étages : minimum vieillesse, régimes de base, régimes complémentaires obligatoires et retraites supplémentaires facultatives.

Le système est financé en répartition (les actifs actuels financent les retraités actuels) mais, complexité supplémentaire, il ne fonctionne pas de la même façon pour les régimes de base, – où l’on définit à l’avance les règles qui donnent le droit à une retraite à taux plein (50 % des vingt-cinq meilleures années après quarante-trois ans de cotisations pour les personnes nées après 1972) –, et pour les régimes complémentaires, qui fonctionnent par points – les salariés obtiennent des points contre le versement des cotisations au cours de leur carrière, et ils apprennent à leur départ en retraite la valeur des points accumulés et donc le montant réel de leur pension.

La France rencontre depuis longtemps des difficultés pour financer ses retraites. La caisse d’assurance vieillesse du régime général a été presque constamment déficitaire entre 1973 et 1998. Le déficit est réapparu en 2005, s’est aggravé avec la crise économique de 2008, jusqu’à une amélioration des comptes, redevenus positifs depuis 2016.

Mesures dites « paramétriques »

Pendant vingt ans, entre 1973 et 1993, les gouvernements ont procrastiné devant les déséquilibres démographiques et budgétaires. Plutôt que de lancer une réforme qui ferait tomber plus d’un gouvernement, d’après les mots de Michel Rocard en 1988, ils ont préféré augmenter les cotisations retraite.

Ainsi les cotisations vieillesse sous plafond (39 732 euros par an en 2018) payées par les salariés sont passées de 3 % du salaire brut en 1960 à 6,5 % en 1980 et 9,5 % en 1999. Les cotisations patronales sous plafond, nulles en 1960, sont passées à 10,8 % en 1980 et 14,3 % en 1999. Il faut dire que les retraites et les préretraites ont longtemps servi d’arme contre le chômage avec la mise en place de la retraite à 60 ans et la multiplication des mesures de préretraites à l’heure des plans de restructuration industrielle qui ont marqué les années 1980. Il y avait 84 000 préretraités en 1975 et 705 000 en 1983. La tendance était alors aux départs de plus en plus précoce et à l’amélioration constante du niveau des retraites.

C’est sous la pression européenne, et notamment de la préparation de la monnaie unique, qui impose de réduire les déficits publics, que les premières réformes apparaissent.

La première date de 1993. Il s’agit alors de réduire le déficit de la branche retraite et d’inciter les Français à travailler plus longtemps. Le gouvernement Balladur fait passer un ensemble de mesures dites « paramétriques » visant à modifier les règles de calcul : allongement progressif de 37,5 à 40 ans de la durée de cotisation nécessaire pour acquérir les droits à la retraite à taux plein, modification du calcul du salaire de référence (des dix aux vingt-cinq meilleures années) et revalorisation des pensions sur l’évolution des prix plutôt que sur celle des salaires.

Le gouvernement Jospin n’a proposé aucune réforme

Cette réforme ne concernera que le secteur privé, Edouard Balladur souhaitant éviter de toucher aux régimes des fonctionnaires et aux régimes spéciaux (notamment des entreprises publiques). C’est à ceux-ci qu’Alain Juppé souhaitait s’attaquer dans son plan de 1995, ce qui a suscité de telles manifestations (notamment des cheminots) qu’il a dû retirer ces mesures. L’enjeu des réformes suivantes sera d’aligner les régimes du public sur les règles qui prévalent dans le privé.

Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin n’a proposé aucune réforme. Il a cependant créé le Conseil d’orientation des retraites (COR) rassemblant partenaires sociaux et experts, qui présente régulièrement la situation des retraités, la situation démographique des différents régimes et les projections des dépenses à venir, permettant ainsi de partager les diagnostics sur la situation des retraites.

En 2003, le gouvernement Raffarin a fait adopter une réforme (dite « Fillon ») qui aligne les règles du secteur public sur celles du privé, sauf en ce qui concerne le salaire de référence, qui reste les six derniers mois pour les fonctionnaires. Très contestée, la réforme a été adoptée grâce au soutien des syndicats dits réformistes, qui ont obtenu des garanties sur des taux de remplacement minimum et les carrières longues. Elle a aussi promu les retraites facultatives financées en capitalisation (PERP et Perco). En 2007, à peine élu, Nicolas Sarkozy a chargé Xavier Bertrand d’une réforme des régimes des entreprises publiques, qui ne seront cependant pas complètement alignés sur le régime général.

François Hollande n’est pas revenu sur l’âge légal à 62 ans

Après la crise de 2008, et suite aux pressions des marchés financiers et de la Commission européenne, une nouvelle réforme est adoptée en 2010, malgré les oppositions syndicales. Il est décidé de repousser progressivement l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, d’allonger encore la durée de cotisation pour une retraite à taux plein (jusqu’à 43 ans) et d’empêcher les départs précoces, y compris pour ceux qui avaient une carrière longue.

Malgré ses promesses de campagne, François Hollande, avec la réforme de 2013, n’est pas revenu sur l’âge légal à 62 ans, mais a assoupli les conditions de départ précoce et prévu la mise en place d’un compte pénibilité à partir de 2015, dont la mise en œuvre laisse à désirer.

Malgré toutes ces réformes, aucun gouvernement n’a réussi à augmenter significativement le taux d’emploi des seniors, ni à réduire les inégalités entre retraités, notamment entre hommes et femmes (elles touchent deux fois moins de retraite de droit direct).

Ils auront en revanche tous progressé vers l’alignement des différents régimes, rendant envisageable une réforme plus systémique visant à les fusionner, comme le propose aujourd’hui le gouvernement.

Bruno Palier est directeur de recherche au CNRS et du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp, Sciences Po), auteur du « Que sais-je ? » sur « La réforme des retraites », Paris, PUF, 2014 (5e édition actualisée)

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