Réformes, dernier appel

Les demandes de changement qui traversent le monde arabe sont symptomatiques d’un malaise qui s’est envenimé pendant de nombreuses années. Les régimes en place n’ont que deux possibilités: prendre d’en haut l’initiative de réformes ou assister à leur réalisation en bas, dans la rue.

Jusqu’à maintenant, les réactions des leaders arabes ont été très décevantes. Le président Moubarak a accepté de démissionner à l’issue des prochaines élections, mais cette concession est trop mince et intervient trop tard. En Jordanie, il est difficile de dire si le changement de premier ministre va vraiment donner un coup d’accélérateur aux réformes. On a trop tendance à considérer les mouvements de protestation en termes purement économiques, à attribuer les troubles aux conditions de vie des manifestants et donc à offrir des remèdes tels que des augmentations de salaire et la réduction des prix des biens de première nécessité. De telles recettes ont marché dans le passé, mais cette fois, il est impossible de ne pas s’attaquer aux problèmes de gouvernance. Ajourner les réformes nécessaires ne peut conduire qu’à de nouvelles manifestations.

Quand j’étais vice-premier ministre de Jordanie, j’ai initié un large effort national pour mettre au point un plan de réformes politiques, économiques et sociales sur dix ans. Cet agenda national jordanien contenait des propositions pour faire avancer les choses de manière graduelle et sérieuse. Ecartant la rhétorique, j’ai proposé des mesures spécifiques avec des délais clairs, en gardant à l’esprit les contraintes budgétaires et en veillant à ce que les résultats puissent être mesurés.

Selon ce plan, les lois jordaniennes devaient être changées dans le but d’ouvrir les élections, de rendre la presse plus libre et de réduire les préjugés à l’encontre des femmes. En d’autres termes, je voulais créer une méritocratie. Sans surprise, l’élite politique en place a descendu ce projet en flammes.

Aujourd’hui, des réformes de pure forme ne seront pas suffisantes. Les Arabes n’ont plus confiance dans leurs gouvernements pour gérer l’économie et les questions politiques. De vraies actions sont nécessaires pour apaiser une population de plus en plus sceptique. Les gouvernements arabes devraient commencer par prendre acte de la réalité et mettre leurs pays sur la voie des réformes politiques.

Le monde arabe souffre d’une élite politique très solidement établie. Cette classe sociale a été créée par les dirigeants afin d’étayer leur pouvoir. Ceux-ci ont ainsi créé un système de rentiers en achetant, par des faveurs, la loyauté de ces élites qui se sont calcifiées et en entendent bien préserver leur mode de vie privilégié en s’opposant aux réformes politiques, qu’elles viennent d’en bas, mais aussi des dirigeants qui les ont enrichis. La pire chose qui puisse se passer pour les Arabes et leurs dirigeants serait que ces élites continuent à rassurer leurs maîtres, à leur dire que la Tunisie est un cas à part, et que quelques réformes cosmétiques et des distributions de vivres suffiront à calmer les esprits.

S’ils veulent se maintenir au pouvoir, les dirigeants arabes doivent s’engager dans un processus de réforme politique réel, à un rythme soutenu mais graduel, car la démocratie ne surgit pas d’un jour à l’autre. Il faut donc éviter d’attaquer frontalement le système.

Les pays arabes, incluant l’Egypte et la Jordanie, doivent d’abord se doter de parlements plus puissants. Cela nécessite des changements dans les lois électorales afin de rendre les élections plus régulières et de conduire à des parlements plus représentatifs. Aujourd’hui, la plupart des parlements arabes se contentent de fournir des services. Ils doivent progressivement commencer à exercer leur rôle de surveillance et de contrôle des actes gouvernementaux.

Ensuite, il faut introduire plus d’équilibre entre les pouvoirs. Aucun organisme ni aucun individu ne doit disposer de pouvoirs excessifs. En développant le pouvoir législatif et établissant un pouvoir judiciaire indépendant, la surveillance mutuelle sera plus forte et aidera à lutter contre la corruption.

L’éducation est un autre secteur en manque effroyable de réforme, du point de vue de la qualité plutôt que de celui de la quantité. Actuellement, on n’apprend pas aux enfants arabes à se poser des questions ou à prendre en compte divers points de vue. Des générations entières ont ainsi été éduquées dans la croyance qu’un bon citoyen est celui qui est loyal au gouvernement et que la critique est une traîtrise. Désormais, l’éducation doit promouvoir les valeurs de tolérance et de pensée critique.

Ces réformes politiques sont nécessaires pour produire une croissance économique équilibrée. Sans elles, la libéralisation prive les citoyens ordinaires des effets de la croissance, confisqués par l’élite économique. Pour cette raison, les Arabes ont une vision très négative de la globalisation et de la libéralisation. Nous sommes dans une situation où une croissance soutenable ne peut pas naître sans changements politiques.

Les Arabes ne sont peut-être pas en quête d’une démocratie telle qu’on la connaît à l’Ouest. Mais ils exigent une sécurité du droit, une égalité de traitement et beaucoup moins de corruption. Les dirigeants arabes doivent comprendre que s’ils veulent se maintenir au pouvoir, ils doivent le partager. Autrement dit, ce qui se passe en Egypte n’aura pas lieu qu’en Egypte.

Par Marwan al Muasher, ancien vice-premier ministre jordanien et actuellement vice-président des affaires extérieures de la Banque mondiale. Traduction-adaptation: Xavier Pellegrini/textes.ch.

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