Réformes du marché du travail

La loi d’habilitation visant à réformer le code du travail par voie d’ordonnances est présentée comme l’occasion pour la France de se remettre en cohérence avec les évolutions économiques des trente dernières années et de rattraper ses voisins européens : le pays s’engagerait enfin dans des réformes que d’autres pays ont eu le courage de conduire il y a plus de vingt ans. C’est oublier au passage que la France a conduit, entre 2000 et 2014, plus de 165 réformes relatives au marché du travail, comme l’a comptabilisé la Commission européenne. Mais de quelles réformes européennes parle-t-on, et que peut-on en attendre ?

Si l’on regarde les orientations de la loi aujourd’hui débattue et que l’on cherche à mesurer la concordance entre la direction que la France souhaite emprunter et ce qui a été entrepris par la plupart des pays européens (« Des réformes du marché du travail pour quelle performance ? », Chronique internationale de l’Ires, n° 155, septembre 2016), on ne peut qu’être frappé par la similitude des leviers des réformes mobilisés : réforme des relations individuelles de travail via des contrats de travail flexibles, création de nouvelles formes de contrat et assouplissement des recours à ces formes atypiques d’emploi (le texte esquisse la possibilité d’étendre les motifs et la durée du recours au CDD par accord d’entreprise) ; réformes du contrat de travail à durée indéterminée, en en modifiant les conditions d’entrée (contrat de projet) et de sortie (plafonnement des indemnités prud’homales et simplification de la procédure de licenciement) ; réforme de la négociation collective favorisant le dialogue social au niveau de l’entreprise (extension des possibilités de déroger à un accord de branche, primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail) et renforçant le pouvoir de l’employeur (référendum à son initiative) ; réformes des politiques actives du marché du travail (acte II de la loi d’habilitation, avec le renforcement des contrôles des demandeurs d’emploi).

Une baisse du taux de chômage en trompe-l’œil

Mais, à y regarder de plus près, ces éléments de comparaison mobilisés par les tenants de la réforme pour justifier les choix opérés en France le sont souvent à la hâte, sans évoquer le contexte des réformes conduites chez nos voisins. Le débat se focalise en effet uniquement sur les « réformes du marché du travail ».

Or la dynamique des réformes engagées dans la plupart des pays européens repose en réalité sur un éventail beaucoup plus large de leviers. Par exemple, le Danemark, « modèle » de la flexisécurité, a mené ses réformes du marché du travail en mobilisant également des politiques conjoncturelles de soutien à l’activité économique et une politique de sécurisation des revenus via leur socialisation.

Malgré les annonces de réformes de la formation professionnelle et de l’indemnisation chômage, le projet de loi d’habilitation ne semble pas s’inscrire dans une vision politique d’ensemble : comment s’articule-t-il avec une politique industrielle ? Quel système de production souhaite-t-on favoriser ? A quelle politique de croissance durable se raccroche-t-il ? Sans ces dimensions essentielles, on connaît déjà le résultat de cette nouvelle vague de réformes : plus de précarité et plus de déstabilisation du salariat. Autrement dit, ce n’est pas de la réforme du marché du travail que naîtra l’emploi stable.

De ce point de vue, « l’antériorité » de nos voisins dans les réformes menées nous permet justement de questionner leur efficacité sur la dynamique du chômage. Or les variations du niveau de chômage y ont été les résultats de deux effets : les variations de la conjoncture économique (on retombe alors sur la nécessité de penser ces réformes dans un cadre global) ; la réduction du temps de travail, que celle-ci soit subie ou choisie.

La baisse du taux de chômage qui s’opère par ce dernier canal est en effet en trompe-l’œil : elle s’obtient souvent par une réduction de la population active – avec des phénomènes de retrait d’activité et d’émigration – mais aussi par une forte croissance des temps partiels subis ou des contrats flexibles ne garantissant pas une activité sur l’ensemble de l’année.

Chômage caché et sous-emploi

Cela conduit à questionner les « performances » de nos voisins sur leur marché du travail, car les réformes conduites ont eu pour effet de rendre plus floues les frontières du chômage, en faisant passer une partie de la population du côté de l’activité (très réduite) ou de l’inactivité, si bien que l’indicateur du taux de chômage, censé traduire la « performance » des marchés du travail, perd de sa pertinence.

La Banque centrale européenne elle-même, dans une note récente (ECB, Economic Bulletin, Issue 3/2017), indique que, si le taux de chômage officiel de la zone euro est en moyenne de 9,5 %, le taux de chômage effectif serait plus proche de 15 % si l’on prend en considération toutes les formes de chômage cachées et de sous-emploi.

Face à la dualisation des emplois que les réformes ne font que renforcer, et à la croissance des inégalités qui en résultent, certains pays se sont engagés dans une nouvelle étape, visant à corriger les déséquilibres les plus visibles. Ainsi, aux Pays-Bas, les excès de la flexibilité ont donné lieu en 2013 à une re-réglementation des formes atypiques d’emploi ; l’Allemagne a instauré un smic en 2015 ; et le Royaume-Uni a décidé de revaloriser fortement le sien. La voie d’un rééquilibrage des excès de flexibilité sera-t-elle aussi empruntée par la France ?

Par Anne Fretel et Frédéric Lerais, chercheuses à l’Institut de recherches économiques et sociales.

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