Refusons la méthode de Riyad et ouvrons un dialogue avec toutes les composantes yéménites

Avant d’aborder les raisons de l’effondrement du Yémen, attardons-nous sur deux facteurs issus du contexte géopolitique de la région, et de son extrême pauvreté. Le premier facteur est l’arrogante intervention américaine en Irak, et son humiliante méthodologie de gouvernance : elle a réactivé le confessionnalisme, a fait resurgir le fondamentalisme islamiste, puis a attisé la tentation djihadiste déjà présente dans la région.
S’y ajoute un réveil chiite agressif et d’ambition impériale, animé par l’Iran, dont la rivalité politique fratricide avec des régimes arabes, en majorité d’obédience sunnite, ouvre de vieilles plaies d’un clivage doctrinal ancestral jamais résolu. La mise du Yémen à feu et à sang par la milice chiite Ansar Allah (issue de la branche du houthisme) et la contre-offensive de l’Arabie saoudite et d’autres pays de confession majoritairement sunnite en est un exemple frappant.

Rappelons que le chaos du Yémen est le fruit des trente-quatre années du pouvoir de l’indéboulonnable président Saleh, déchu lors du « printemps yéménite » en 2011, mais protégé ensuite par l’immunité judiciaire du plan de transition conçu par les pays du Conseil de coopération du Golfe. Président du parti qui contrôle les pouvoirs de l’Etat et animé par une farouche volonté vindicative, « le déchu », comme on le surnomme, est resté au cœur du jeu politique yéménite. Soutenu par l’essentiel des troupes de l’armée, dont la majorité est d’obédience zaïdite – une confession à tendance chiite, regroupant 30 % de la population –, il détient une fortune colossale, évaluée entre 30 et 60 milliards de dollars, et cela dans un des pays les plus pauvres du monde.

Indéniablement, Saleh a toujours choisi une stratégie du chaos pour briser toute opposition :
En 1994, après avoir lancé l’hostilité contre les troupes de l’ex-Yémen du Sud (ex-communiste), il a mené une guerre dévastatrice, avec pour alliés les tribus, le parti islamiste Al-Islah et ses foyers djihadistes. Résultat : le Yémen du Sud devint, depuis lors, un butin de guerre. Entre 2004 et 2009, il a conduit six guerres contre la région de Saada, au sud-ouest du pays. Et, en 2014, il s’est lancé dans une agression tous azimuts visant le contrôle de la totalité du Yémen : Sanaa, la capitale, est tombée le 21 septembre, sans résistance. Ses milices prirent le palais présidentiel et mirent le président élu Hadi en résidence surveillée, avant qu’il ne puisse s’enfuir vers Aden. En face des chars de l’armée, une résistance populaire mal et peu armée est conduite sans relâche par la population yéménite, dans les autres régions d’obédience sunnite : tout l’ex-Yémen du Sud majoritairement en faveur de la séparation et les autres villes de l’ex-Yémen du Nord, telles Taiz et Mareb. Cette résistance est soutenue par les raids aériens de l’alliance arabe, dont les dégâts si catastrophiques multiplient les ruines au Yémen.

La situation actuelle est extrêmement chaotique : la destruction du Yémen, par cette guerre multiple, interne et externe, est particulièrement tragique : famine, exode, fleuves de sang, manque quasi total d’électricité et de pétrole, pays coupé du monde… Les villes du Sud, et notamment Aden, sont aujourd’hui des villes martyres. Parallèlement, une conférence de dialogue national a eu lieu, depuis le 17 mai, à Riyad. Elle est vouée à l’échec, car elle se déroule entre les mêmes « momies » politiques souvent incompétentes et corrompues qui sont à l’origine de ce processus politique dévastateur, issu du plan du Conseil de coopération du Golfe. De plus, leur conférence exclut les forces militaires opposées de Saleh, les partisans de l’autodétermination du Sud, ainsi que toutes les forces jeunes et nouvelles de la société.

Le deuxième facteur de l’autodestruction yéménite est composite : l’extrême sous-développement, mêlé à une culture dominante basée sur une interprétation religieuse de nature moyenâgeuse, reproduite de génération en génération. Orchestrée et nourrie par plusieurs centres obscurantistes – dont l’université Al-Imane, à Sanaa, qui a été le point d’ancrage de plusieurs djihadistes internationaux –, cette culture fondamentaliste a envahi tout le Yémen, après la guerre de 1994.
Tout le système scolaire yéménite – à l’image de l’essentiel du système scolaire du monde arabe – est contrôlé par des salafistes, dont le mot d’ordre est : « Celui qui domine l’école, domine la vie ». Ils y dispensent un ensemble de métaconnaissances religieuses qui assurent la permanence et la reproduction de schémas de pensée ancestraux, conservant la vie dans un « point fixe » civilisationnel.

Aussi, pour stopper cette descente aux enfers du Yémen, il est aujourd’hui urgent que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution afin d’arrêter l’agression interne et externe. En parallèle, toutes les forces politiques du pays devraient se réunir afin de proposer un autre dialogue différent de celui de Riyad. Cette initiative viserait à englober tous les acteurs de la société. L’idée est en l’air puisqu’une conférence à Genève est prévue à cet effet dans les semaines à venir. Mais, au-delà de ce processus de paix aléatoire, il est nécessaire de monter un projet civilisationnel qui favoriserait l’accès de tous à une culture moderne, par l’éducation. C’est sans doute le plus important des combats à remporter pour sortir du chaos, et le seul espoir d’une éradication de la racine de l’autodestruction du monde arabe, notamment au Yémen.

Habib Abdulrab est un écrivain yéménite et professeur des universités à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Rouen.

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