Rejeter le traité transatlantique par dogmatisme serait une erreur

Les négociations en vue d'un traité transatlantique s'invitent de façon plus en plus pressante dans les débats pour les élections européennes et figurent, légitimement, parmi les préoccupations des citoyens.

L'absence de débat national et le double discours de la gauche sur ce sujet ont facilité l'émergence d'une opposition forte et malheureusement trop souvent déraisonnée, basée sur des présupposés ou des procès d'intention qui nourrissent l'europhobie. Le Front de Gauche, les Verts et le Front National tentent de façon opportuniste de cristalliser leurs positions autour d'un accord dont ni le contenu, ni même les contours n'ont pour le moment été mis sur le papier et nourrissent ainsi la résurgence d'un certain anti-américanisme, clairement perceptible dans l'affaire Alstom/GE.

Les opposants à l'accord pointent régulièrement l'empressement et la discrétion avec lesquels la Commission s'est lancée dans ces négociations. Il est ici nécessaire de rappeler qu'elles sont en réalité le fruit de demandes répétées du Parlement européen et surtout du Conseil, et donc de nos gouvernements successifs. Les Verts français du Parlement européen, qui eux-mêmes demandaient encore en mars 2009 à la Commission européenne la création effective d'un marché transatlantique unifié pour 2015, sont aujourd'hui vent debout contre le principe même d'engager les négociations et blâment sans relâche la Commission pour avoir suivi leurs propres recommandations !

Ces mêmes opposants pointent également l'absence de transparence et de contrôle démocratique sur ces négociations. Suite au rejet d'ACTA (l'accord commercial anti-contrefaçon) et anticipant les critiques à venir, la Commission s'efforce pourtant de faire montre de la plus grande transparence possible pour des négociations de ce type (qui exigent, pour des raisons d'efficacité, une certaine discrétion). Ainsi, elle a décidé de publier dès le début des négociations ses orientations et objectifs sur tous les sujets majeurs et de s'adosser à un groupe d'experts représentant les principaux domaines concernés (environnement, agriculture, santé, travailleurs, consommateurs ....), lesquels experts pourront accéder aux documents de négociation. Elle a également décidé d'organiser des rencontres avec les représentants de la société civile et l'ensemble des parties prenantes préalablement à chaque session de négociation.

Certes, tout dans ce processus n'est pas parfait, et la Commission a probablement commis des erreurs, dont le fait, sous la pression du Conseil (c'est-à-dire les Etats), de ne pas avoir rendu public son mandat de négociation. Les efforts réalisés sont néanmoins réels et les citoyens pourront compter sur le Parlement européen, pendant les négociations, pour qu'il exerce pour leur compte, le droit à être « immédiatement et pleinement informé, à toutes les étapes de la procédure » dont l'a doté le traité de Lisbonne.

Les opposants de circonstance qui semblent découvrir, à l'approche des élections européennes, que le processus de négociation de l'accord transatlantique serait opaque et scandaleux, alors même qu'ils n'ont jamais fait entendre leur voix lors des sept nouvelles négociations commerciales lancées depuis 2010 dans les mêmes conditions, agitent de nombreux épouvantails et attisent la peur sur le contenu de cet accord. En accusant la Commission de vouloir brader nos standards environnementaux et sociaux ou nous déposséder de notre souveraineté aux profits des fameuses « multinationales », ils commettent une grave erreur de jugement et attisent, de manière irresponsable, les discours de haine délivrés depuis des années à l'égard de l'Europe.
Or, la réalité est bien différente.

Qui oserait en effet, aujourd'hui, défendre un accord nous obligeant à consommer du bœuf aux hormones, à cultiver des OGM ou à autoriser le clonage animal ? Qui défendrait un accord pouvant permettre à une entreprise américaine de remettre en cause notre souveraineté et notre droit à légiférer (mécanisme d'arbitrage investisseur/Etat) ? Qui encore défendrait un accord qui remettrait en cause la liberté syndicale ou les règles de temps de travail ? Aucune compromission ne sera acceptée quant à nos principes et acquis communautaires. Et c'est bien parce que nous avons pleinement conscience de ces craintes légitimes, que nous avons donné un mandat clair sur nos lignes rouges à la Commission. Cependant, malgré les assurances des principales parties prenantes et des négociateurs de l'UE, répétant à l'envi que les acquis communautaires, nos préférences collectives, ne seront pas sacrifiés par un éventuel accord, les adversaires du traité entretiennent cyniquement cette défiance.

Le but de cet accord est avant tout la réduction des barrières dites « non-tarifaires » qui limitent l'accès des entreprises à un nouveau marché ou enchérissent lourdement le coût des importations.

Une des barrières les plus souvent citée est celle des marchés publics américains. Les dispositions américaines telles que l'American Recovery and Reinvestment Act (2009) ou, le Buy American Act limitent considérablement l'accès des entreprises européennes à leurs marchés publics. Un accord commercial devrait notamment permettre la reconnaissance d'une vraie réciprocité bilatérale dans ce domaine, bien plus difficile à obtenir au niveau multilatéral (OMC).

La définition de normes communes ou leur reconnaissance mutuelle est également un enjeu majeur pour les entreprises françaises. Dans la plupart des cas, les exigences de sécurité et de sûreté sont équivalentes de part et d'autre de l'Atlantique mais les moyens d'y parvenir diffèrent considérablement. Dans de nombreux secteurs (électronique, automobile, produits pharmaceutiques, dispositifs médicaux ou chimie), une entreprise qui veut vendre un même produit aux États-Unis et en Europe doit aujourd'hui le concevoir de deux manières différentes puis le fabriquer sur deux lignes de production séparées. On évalue ainsi le surcoût lié à ces normes à près de 10 % du prix final d'un produit (20 % pour certains produits). La reconnaissance mutuelle des normes que permettrait un éventuel accord rendrait donc nos produits plus compétitifs sur le marché américain.
Outre, une fluidification des échanges, la définition de normes communes au niveau bilatéral permettrait également de peser sur la définition des normes multilatérales qui présideront au commerce mondial dans un avenir proche. Dans le mouvement continu de globalisation des échanges, les normes et standards auront en effet vocation à s'universaliser et nous avons tout intérêt à ce que les normes Union Européenne/États-Unis soient la référence : si un bloc représentant 800 millions de consommateurs et un tiers des échanges mondiaux définit des normes communes, les producteurs issus de pays tiers ont intérêt à s'y plier s'ils veulent conserver des parts de marché.

A la lumière de ces perspectives, rejeter par principe ou par dogmatisme ce traité serait une erreur qui risquerait de priver l'Europe d'un puissant levier économique.

Soyons donc pragmatiques et attendons de connaitre le contenu de cet accord avant de nous prononcer. Les relations commerciales entre l'UE et les États-Unis représentent un tiers du commerce mondial. Chaque jour, européens et américains échangent pour 2 milliards d'euros de biens et de services. Dans la situation économique qui est la nôtre et face à des déficits commerciaux endémiques, négocier un accord de commerce pouvant accroître et faciliter ces échanges ne peut être condamné a priori et faire l'objet de critiques infondées. Chacun mesure combien il est aussi dangereux que facile d'exploiter les peurs et les appréhensions légitimes des Français et des Européens à des fins politiciennes.

Alors, au lieu de polémiquer, privilégions un débat constructif sur les véritables enjeux de cet accord et sur les opportunités qu'il présente. Si nos points de vue devaient diverger quant aux niveaux adéquats d'exigence dans un certain nombre de domaines, il nous suffira de prendre acte de nos désaccords et de laisser les choses en l'état. Là où il sera possible de travailler main dans la main, dans notre intérêt mutuel, nous devrions, en revanche, avancer avec détermination. De toute façon, le processus sera encore long et il n'y aura finalement accord sur rien, tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout.

La responsabilité du prochain Parlement européen sera donc de veiller au déroulement de ces négociations afin qu'elles s'inscrivent dans le mandat qui a été initialement fixé, et qu'elles tiennent compte des préoccupations et sensibilités qui se seront exprimées à l'occasion des élections. Si ces négociations aboutissent, il lui reviendra, conformément au traité de Lisbonne, de donner ou non son approbation à la conclusion d'un accord, comme il reviendra ensuite aux parlements nationaux de le ratifier. Ce ne sera qu'à ce moment, une fois le texte mis sur le papier, que l'on pourra évaluer sa véritable portée et prendre définitivement position.

C'est de l'économie, de la croissance, de l'emploi de nos concitoyens qu'il s'agit ici. J'appelle François Hollande à clarifier sa position sur ce sujet crucial pour la France. Notre pays doit peser de tout son poids au sein du Conseil pour préserver les intérêts des Français et des Européens. La voix de la France, qui s'est exprimée jusqu'à présent par ses députés au Parlement européen, doit maintenant trouver un appui et un soutien, celui du Président de la République.

Par Nora Berra, Député européen sortant et ancien ministre.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *