Cette semaine, le monde espère que des progrès seront réalisés au sommet de Copenhague. Le processus international dans lequel il s'inscrit constitue, je crois, l'une des démarches les plus importantes de notre époque, car faute de limiter notre impact sur l'atmosphère de la planète, il faut s'attendre aux conséquences les plus terribles. Le défi à relever n'est pas simplement politique et technologique. Il s'adresse tout autant à notre volonté de coopérer et à notre aptitude à penser différemment.
A ce propos, j'ai été très impressionné par l'initiative prise il y a quelques mois par le président Sarkozy, lorsqu'il a créé la commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social. Après tout, les milliards de tonnes d'émissions de gaz à effet de serre que nous envoyons chaque année dans l'atmosphère sont liés à des activités économiques que nous croyons capables d'améliorer le bien-être de l'espèce humaine. Peut-être une nouvelle définition du progrès économique nous permettrait-elle de faire davantage pour les réduire ?
Actuellement, nous estimons devoir choisir entre le développement économique d'une part, et la protection des écosystèmes de notre fragile planète, d'autre part. Le réchauffement climatique est l'exemple même de la façon erronée dont nous appréhendons le problème, car il ne constitue pas en priorité une alternative au développement économique ; il s'agit en fait d'un "multiplicateur de risques", un facteur qui diminuera notre capacité à améliorer le bien-être de l'humanité, si nous n'agissons pas immédiatement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Par exemple, mettre fin à la pauvreté pour que chacun puisse avoir la possibilité de mener une vie décente constitue déjà un défi ambitieux que la rapidité du réchauffement climatique rendra plus difficile encore. Diverses études ont mis en lumière les menaces que font peser les changements climatiques sur le développement économique, en particulier dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. Ce qui affectera du coup les programmes visant à réduire la pauvreté.
La sécurité alimentaire est déjà menacée par l'érosion des sols et la flambée des prix du pétrole et du gaz qui alimentent l'agriculture industrielle, alors que la demande augmente en raison de la croissance de la population et de l'évolution des habitudes alimentaires. Le réchauffement climatique ne fera qu'exacerber cette situation intenable. Selon les prévisions du programme des Nations unies pour l'environnement, la chute de la productivité agricole pourrait atteindre 50 % dans de nombreux pays en voie de développement à l'horizon 2080, en particulier à cause des changements affectant la pluviosité.
C'est pourquoi il me semble que nous devons adopter une nouvelle approche, dont le point de départ doit être de voir le monde tel qu'il est réellement, et peut-être aussi d'accepter que l'économie est dépendante de la nature, et non pas l'inverse. Après tout, la nature constitue le capital sur lequel se fonde le capitalisme. Les forêts vierges tropicales en témoignent.
Ces écosystèmes incroyables abritent plus de la moitié de la biodiversité terrestre de la planète dont dépend notre survie, que cela nous plaise ou non. Ce sont ces forêts qui génèrent la pluie. Elles constituent l'habitat de nombreux peuples autochtones et permettent de répondre aux besoins de centaines de millions d'êtres humains. Elles retiennent en outre d'énormes quantités de carbone. Cependant, elles voient chaque année disparaître près de six millions d'hectares qui partent en rondins et en fumée. En plus d'accélérer l'extinction massive d'espèces susceptibles d'aider tant au traitement de maladies humaines qu'à l'élaboration de nouvelles technologies s'appuyant sur l'imitation du génie de la nature, cette déforestation provoque des émissions massives de gaz à effet de serre, représentant environ un cinquième du total des émissions de la planète.
C'est pourquoi mon projet "Rainforests" ("forêts tropicales") a consenti tant d'efforts au cours ces deux dernières années en vue de faciliter un consensus sur la coopération internationale pour réduire la déforestation. En avril, j'ai convié les chefs d'Etat et de gouvernement au palais de St James, en marge du G20 de Londres. Au cours de cette réunion, il a été décidé de créer un nouveau groupe informel chargé d'étudier les moyens de ralentir cette déforestation. Ce groupe a formulé des recommandations, il y a quelques semaines à peine, et il est très encourageant d'observer l'importance des liens tissés entre les pays, les entreprises et les groupes environnementaux décidés à travailler ensemble pour mettre en oeuvre les mesures proposées destinées à s'attaquer aux racines économiques de la déforestation.
En récompensant financièrement les pays qui ont réussi à faire reculer la déforestation (ou qui n'y ont pas recours), nous ferions en sorte que les pays abritant des forêts primaires mettent en place des stratégies de développement durable, sans avoir à dépendre des activités économiques qui en profitent. En recourant - en plus des financements publics - à des instruments financiers innovants et à des investissements à long terme, soutenus par les banques multilatérales de développement, de grandes superficies, déjà dégradées, pourraient être restaurées et accroître la production alimentaire.
Parallèlement, des fonds seraient dégagés pour financer de nouveaux programmes de santé et d'éducation, ainsi que des modèles de développement rural intégré. En retour, le monde financerait les services vitaux rendus par les écosystèmes sur lesquels nous comptons tous pour assurer notre survie économique, matérielle et spirituelle.
L'idée que le monde devrait payer d'une façon quelconque les services rendus au public par les forêts tropicales (puisque, après tout, nous payons déjà l'eau, le gaz et l'électricité) n'est pas nouvelle. Il semble cependant qu'enfin beaucoup soient d'accord pour estimer que ce serait une façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de gagner ainsi un temps précieux dans notre bataille contre la catastrophe que constitue le réchauffement climatique. Grâce à ce processus constructif, les différents pays ont pu trouver une approche sur laquelle ils ont réussi à s'entendre et qui, je l'espère, conduira à une coopération internationale susceptible de faire toute la différence.
Il faut que des initiatives de ce genre soient prises, mais elles ne sont qu'une partie de la solution et ne sauraient suffire à elles seules. Au fur et à mesure de notre éloignement de la nature en faveur d'un recours aux inventions technologiques pour résoudre nos problèmes, nous voyons de moins en moins nos difficultés telles qu'elles sont, c'est-à-dire comme résultant de la perte de la notion d'équilibre et d'harmonie avec les rythmes de la nature, ses cycles et ses ressources limitées. Le fait que nous envisagions l'économie comme séparée de la nature n'est que l'un des signes de ce déséquilibre.
Renouer des liens avec la nature, réaligner nos sociétés et nos économies sur ses possibilités, voilà, à mon avis, le véritable défi qu'il nous faut relever. Le sommet de Copenhague contribuera, je l'espère, à un changement profond, ainsi qu'à l'établissement d'un plan de transition vers une économie propre avec des objectifs officiels, des politiques et des technologies bien définies. En l'état actuel des choses, le monde n'en manque pas, mais ce qui lui fait défaut, c'est l'état d'esprit nécessaire pour faire face à cette situation.
Si le temps n'agit pas en notre faveur, il nous reste notre capacité à coopérer et à innover pour trouver des solutions. Nous avons été confrontés dans le passé à d'immenses défis, que nous avons relevés. Cette fois-ci, le défi semble plus grand que jamais, mais j'espère, de tout mon coeur, qu'à Copenhague nous saurons montrer tout ce dont nous sommes capables. C'est bien le moins que nous puissions faire pour les générations futures.
Charles d'Angleterre, Prince de Galles.