Renouveler l’action humanitaire en Syrie et au Liban

 Un camp de déplacés syriens au nord-ouest de la province d’Idleb, en Syrie, le 11 juillet 2020. Photo d’archives AFP
Un camp de déplacés syriens au nord-ouest de la province d’Idleb, en Syrie, le 11 juillet 2020. Photo d’archives AFP

Le 28 mai dernier, la Syrie est devenue l’un des 34 membres du conseil exécutif de la 74e Assemblée mondiale de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Douze pays se sont présentés pour occuper les douze sièges (sur 34) disponibles, la Syrie ayant été nommée – avec l’Afghanistan – par le Bureau régional pour la Méditerranée orientale de cette organisation (EMRO). Cette procédure s’est déroulée sans vote et sans qu’aucun des membres donateurs siégeant déjà dans cette enceinte ne conteste ce choix, alors qu’ils en avaient la faculté.

L’admission de la Syrie n’est qu’une des nombreuses erreurs de jugement et de gestion dans les approches humanitaires et diplomatiques de la Syrie et du Liban. Au cours du mois écoulé, alors que le désastre humanitaire et économique – consécutif du chevauchement de plusieurs crises économiques, sociale, financière et sanitaires – s’est considérablement aggravé, les acteurs humanitaires au Liban semblent incapables de faire face à la situation et à leurs interlocuteurs politiques à Beyrouth. Pendant ce temps, les gens continuent de voir s’envoler leurs économies et les services publics essentiels cesser de fonctionner, avec ce que cela implique pour la santé publique, la sécurité nationale et régionale, sans parler de la stabilité nécessaire à la reprise économique.

Réponse défaillante

Dans ce contexte, les agences des Nations unies, telles que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), n’ont pas réussi à s’entendre sur la définition d’une urgence humanitaire, préférant parler de « crise de gouvernance ». La coordinatrice spéciale adjointe des Nations unies, Najat Rochdi, a même déclaré le 14 juin dernier, afin de mettre les politiciens libanais face à leurs responsabilités, que « le développement du Liban ne relève pas de la responsabilité de la communauté internationale ». Néanmoins, un accord interne semble avoir été trouvé pour mettre en place une réponse humanitaire appropriée.

Le Plan de réponse à la crise libanaise (LCRP en anglais), par le biais duquel l’aide humanitaire est fournie, a bien été prolongé d’un an (pour l’année 2021), mais les événements sur le terrain ont rapidement montré à quel point il était déconnecté de la réalité. Aujourd’hui, il existe une multitude de politiques et de programmes qui se chevauchent : le LCRP ; le cadre de réforme, de relèvement et de reconstruction (plan 3RF) ; les plans d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène, de gestion des déchets biomédicaux et de nettoyage (WASH) ; avec en arrière-plan un nouveau cadre stratégique des Nations unies. Il reste à voir comment ces plans seront financés, mis en œuvre et correctement coordonnés. Les réductions budgétaires opérées par certains des principaux bailleurs tels que le Royaume-Uni, l’indécision interne et le manque d’influence sur le système politique libanais sont autant de facteurs qui, compte tenu de l’ampleur de la situation, risquent de rendre cette réponse trop tardive pour avoir un impact significatif.

Depuis le début de la crise des réfugiés syriens au Liban en 2011, la coordination et la gestion de l’aide humanitaire se sont avérées défaillantes. De multiples incidents suggèrent déjà l’incapacité à traiter efficacement avec les systèmes politiques locaux et mettre en œuvre l’ensemble des évaluations ex post nécessaires pour permettre d’identifier la destination effective des fonds ou de mesurer leur impact réel. Plus récemment, les agences onusiennes et les bailleurs de fonds semblent avoir du mal à soutenir concrètement toute enquête potentielle sur les responsables de la fuite de millions de dollars de dépôts ou le siphonnage de centaines de millions de dollars d’aide humanitaire par les banques locales (via le différentiel de taux appliqué par ces dernières).

Fermeté

Pendant ce temps, l’EMRO donne l’impression que les décisions politiques et les actions militaires des gouvernements de la région n’ont pas d’impact sur la santé de la population. Un rapport publié en mars dernier par ce bureau et portant sur la manière de parvenir à l’équité en matière de santé mentionne à peine l’influence de la politique, des conflits militaires et des attaques contre les établissements de santé par ses États membres. Une plus grande attention est accordée à la manière dont les sanctions économiques imposées par les États membres donateurs extérieurs affectent la santé de la région plutôt qu’aux violations continues du droit international humanitaire par la Syrie et ses alliés, comme la Russie, qui prennent pour cible les établissements de santé et torturent ou assassinent des milliers de civils.

L’indécision et la gestion politique peu transparente de l’ONU en Syrie ne sont pas nouvelles. En 2013, la gestion de l’épidémie de polio par le bureau syrien de l’OMS et l’EMRO a été lente, inefficace, et les données du Système d’alerte, d’alarme et de réaction rapide de l’OMS (Ewars) n’ont pas été correctement communiquées. Les zones contrôlées par l’opposition n’ont donc bénéficié que d’une couverture vaccinale minimale au cours des deux années précédant la flambée. Cette situation est sur le point de se répéter avec des taux de vaccination manifestement faibles dans les zones non gouvernementales du nord-est de la Syrie, en particulier à Alep-Est. Par ailleurs, les relations entre le bureau de l’OMS à Damas et les autorités locales peuvent parfois être sujettes à caution : par exemple, en 2016, Shukria Moqdad, femme de l’ancien vice-ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Moqdad, avait été embauchée comme consultante sur un projet relatif à la santé mentale. Malheureusement, ce type de relations a sans doute affecté la capacité du bureau local et de l’EMRO à répondre efficacement aux incidents sanitaires en Syrie – de la famine à Madaya en 2016 au détournement continu des convois d’aide par l’armée syrienne. Il peut aussi avoir contribué à l’absence de condamnation publique des attaques contre les installations médicales par l’armée syrienne et ses alliés – sachant que 266 d’entre elles (sur plus de 600) ont été enregistrées par le système de surveillance de l’OMS depuis son entrée en fonction en 2018.

En outre, le processus de « déconfliction humanitaire » devant permettre la protection des installations sanitaires en Syrie a soulevé des questions quant à l’éventualité de fuites potentielles d’informations sensibles. Dans le cadre de ce processus, des données de géolocalisation ont en effet été partagées avec les États, afin de s’assurer que les établissements de santé ne soient pas touchés par des frappes aériennes. Or de nombreux hôpitaux ont continué à être bombardés par la Russie et les forces syriennes malgré le partage de ces données, renforçant l’hésitation et la méfiance de certaines ONG syriennes à l’égard de ce système. Plus récemment, le retard pris par l’ONU et les bailleurs de fonds dans la réponse à la pandémie de Covid-19 dans les zones contrôlées par l’opposition ainsi que la fermeture potentielle de points de passage frontaliers nécessaires à l’acheminement de l’aide pour plus d’un million de personnes déplacées à l’intérieur du pays ont souligné encore davantage la nécessité de changer d’approche.

Les agences de l’ONU, leurs dirigeants et leurs bailleurs de fonds doivent renouveler leur obligation morale d’établir des normes de responsabilité et de transparence qui s’avèrent un minimum compatibles avec un certain sens de la justice et de l’éthique politique. Si l’ONU veut conserver sa crédibilité, ses États membres doivent adopter une position cohérente et ferme contre les régimes répressifs et corrompus qui siègent à leurs côtés à Genève et à New York. Élire des États parias et fermer les yeux sur leurs agissements ne doit pas devenir la norme. Ce renouvellement pourrait commencer par certains actes forts et nécessaires, tels que : le vote de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant le maintien du seul point de passage humanitaire encore ouvert en Syrie (le poste-frontière de Bab al-Hawa, avec la Turquie) ; le retrait de la Syrie du comité exécutif de l’OMS ; et un véritable effort pour soutenir les programmes de lutte contre la corruption du PNUD et de la société civile libanaise. Surtout, ils doivent démontrer et faire respecter, par la contrainte diplomatique ou financière ou par des outils de « soft power », le fait que les actes commis par les « mauvais acteurs » étatiques pour leur profit personnel et leur survie politique – qu’il s’agisse du meurtre de civils ou de la destruction de systèmes économiques et sanitaires – ne peuvent plus rester impunis.

Par Adam P. Couts, chercheur principal au Magdalene College de l’université de Cambridge.
Richard Sullivan, coprésident du groupe de recherche sur les conflits et la santé du King’s College de Londres.
Abdulkarim Ekzayez, chercheur principal au laboratoire de recherche sur le renforcement des système de santé au nord de la Syrie (R4HSSS) du King’s College.
Hamish de Bretton Gordon, chercheur invité au Magdalene College.
Saleyha Ahsan, médecin et enseignante à l’université de Cambridge.
Andres Barkil-Oteo, médecin et enseignant à l’école de médecine de l’université de Georgetown (Washington DC).
Gustavo Fernandez, directeur de Bridge Aid Tech et ancien représentant humanitaire de Médecins sans frontières à Genève.

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