Réparer la zone euro sans la casser

La zone euro dans sa forme actuelle est le résultat de décennies de métamorphoses. Tout a commencé avec une zone de libre-échange, promue plus tard au rang d’union douanière avant de devenir un marché commun et, enfin, d’aboutir à l’union monétaire telle que nous la connaissons. Jean Monnet a écrit en 1976 que « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ».

La prochaine étape logique dans le processus d’intégration est celle d’une union budgétaire venant compléter la politique monétaire unique. Cela suppose aussi une nouvelle forme de gouvernance, afin que les décisions budgétaires soient pourvues d’une légitimité démocratique.

Mais un tel changement ne peut être réalisé dans le dos des électeurs. Après d’épuisantes années d’austérité et de bricolage de crise, l’euroscepticisme a le vent en poupe. Toute perte de souveraineté qu’entraînerait une nouvelle vague d’intégration serait politiquement invendable. Comme Jean-Claude Juncker l’avait joliment résumé : « Nous savons tous ce qu’il faut faire, mais nous ne savons pas comment nous faire réélire une fois que nous l’avons fait ».

Restructuration de la dette

La zone euro est aujourd’hui à la croisée de quatre chemins : le démantèlement, la séparation, le surplace ou l’intégration. Un démantèlement ou une séparation en plusieurs blocs marqueraient le retour à une fragmentation économique avec la réapparition de monnaies nationales. Un choix discutable pour des économies européennes aussi interdépendantes commercialement que financièrement.

Le risque de voir les banques centrales profiter de leur indépendance retrouvée pour mener une guerre des devises continentale est non négligeable. Compte tenu de ses contradictions internes, la zone euro ne peut non plus rester dans sa forme actuelle si elle veut durer. Une coopération économique forte semble inévitable si ses membres veulent continuer à partager richesse et paix dans une économie mondialisée.

Trois mesures raisonnables et pratiques permettent de la renforcer sans toucher à la souveraineté de ses membres ni bouleverser ses institutions.

La restructuration de la dette n’est pas interdite par les traités mais reste néanmoins un sujet tabou. Elle est pourtant la meilleure réponse à la question existentielle, lourde de plusieurs milliers de milliards, de la zone euro : comment réduire des dettes publiques records alors que croissance et inflation sont vouées à la modération et que les efforts d’austérité atteignent leurs limites ?

Union européenne des marchés de capitaux

La restructuration offre une alternative à l’austérité poussive tout en permettant de lever l’ambiguïté qui a faussé l’évaluation du risque souverain avant la crise. L’astuce consiste à alléger le fardeau de la dette d’une manière ordonnée, en évitant les perturbations financières ou les phénomènes d’aléa moral. La palette d’instruments financiers à disposition est suffisamment large pour répondre à ces impératifs. Rappelons toutefois qu’il n’y a pas de solution miracle : une restructuration favorise toujours les débiteurs au détriment des créditeurs.

L’économie européenne est trop dépendante de ses banques puisque les prêts bancaires représentent environ 80 % de la dette du secteur privé. Le problème a éclaté au grand jour pendant la crise quand ces dernières ont fermé le robinet du crédit aux premières secousses, sans aucune alternative de taille pour y remédier.

L’idée est de créer cette alternative sous la forme d’une union des marchés de capitaux européenne venant compléter l’union bancaire. L’objectif est de réduire la fragmentation financière en encourageant les flux transfrontaliers. L’harmonisation des réglementations nationales est ici essentielle. L’enjeu est particulièrement important pour les PME, premier vivier d’emploi en Europe. Elles ne représentent qu’un dixième du marché de la titrisation européenne, lui-même étant cinq fois plus petit qu’aux Etats-Unis.

Le marché du travail de la zone euro est davantage une juxtaposition de dix-neuf marchés nationaux qu’un seul marché commun. Les formes d’État-providence ainsi que l’organisation du dialogue social varient fortement entre pays membres. Certaines conventions du marché du travail qui affaiblissent le lien entre productivité et rémunération peuvent encore alimenter des déséquilibres salariaux au sein de la zone euro, sans possibilité de correction par les taux de change.

Conseil de compétitivité

Les différences culturelles sont néanmoins trop fortes pour vouloir imposer un cadre commun. S’inspirant de la Belgique, l’économiste au think tank bruxellois Bruegel André Sapir propose une solution intermédiaire raisonnable sous la forme d’un conseil de compétitivité dans chaque état membre.

Celui-ci endosserait le rôle de surveiller (et de comparer avec les voisins) des indicateurs de compétitivité puis de formuler des propositions d’évolution salariales lors des négociations entre partenaires sociaux. Des recommandations qui seraient non-contraignantes mais fourniraient un curseur précieux pour le débat public.

Ces trois idées sont loin d’être des pansements. Leur mise en œuvre offrirait aux gouvernements une alternative à l’austérité, au secteur privé des nouvelles sources de financement, et à la compétitivité un nouvel œil bienveillant.

Il est certainement trop tôt pour rêver, avec Victor Hugo et Winston Churchill, des Etats-Unis d’Europe. Le défi immédiat est de rendre la zone euro suffisamment robuste pour éviter les erreurs existentielles du passé sans trahir ses citoyens. La reprise aidera probablement à calmer leur défiance mais il faudra des années, voire des décennies, pour les réconcilier avec l’idée originale d’une monnaie unique. Donnons du temps au temps.

Maxime Sbaihi, Economiste zone euro chez Bloomberg, à Londres.

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