Repenser les liens Israël-diaspora

Le manifeste JCall (European Jewish Call for Reason) a entraîné de nombreuses réactions dans la communauté juive de France, réaction modérée comme celle du président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Richard Prasquier, dans Le Figaro du 30 avril, ou brutale comme celle des signataires d'un contre-appel, "Raison garder". JCall a, à l'évidence, ému une partie de la diaspora et c'est donc déjà une réussite, puisque le débat est enfin lancé, mais on ne saurait s'arrêter là !

La question est maintenant posée de la relation entre les juifs de la diaspora et Israël. Il faut ne pas savoir lire, ou surtout ne pas vouloir lire, pour oublier que les signataires de cet appel, avant toute chose, rappellent leurs liens indéfectibles avec cet Etat dont l'existence ne saurait être remise en cause. Les tentatives de délégitimation de cet Etat nous apparaissent comme étant une expression moderne d'un antisémitisme avançant masqué, mais bien réel.

Néanmoins, les signataires de cet appel ne veulent plus de cette chape de plomb qui les contraint à opposer le bien (Israël) au mal (tous les autres). Il est évident que nous savons que les menaces extérieures sont légion et que les actes commis contre cet Etat, contre sa population, sont un drame sans cesse renouvelé. Oui, le Hamas, le Hezbollah ou l'Iran veulent la disparition pure et simple d'Israël. Oui, les juifs, depuis deux mille ans ont subi massacres et pogroms dont le point d'orgue fut la Shoah.

Mais est-ce au nom de ces douleurs infinies et au nom de la fragilité de cet Etat que les juifs de la diaspora doivent se taire ? Ne leur incombe-t-il pas justement de parler quand le danger leur semble imminent, quand une politique d'immobilisme est menée ou quand ce pays croit que le temps joue pour lui ? Est-ce au nom de cette histoire qu'Israël, auquel la diaspora est si naturellement et légitimement attachée, peut justifier tous ses actes ?

Beaucoup de juifs de la diaspora ont une vision complexe et tourmentée de ce pays dès lors qu'a été répété, durant des siècles, "l'an prochain à Jérusalem" : pour certains, cet Etat reste celui du peuple du Livre, sur une terre où furent énoncées des règles morales qui subsistent jusqu'à nos jours. Dans ce cas, le pays doit d'autant plus faire attention à ses actes. Il ne saurait y avoir d'implantations ou de colonies sauvages. A cet égard, parler de "faute morale" est à la hauteur de ce que l'on pouvait attendre d'un pays "hors normes" et qui a toujours voulu affirmer ses positions éthiques. Pour les autres, Israël est simplement une démocratie. Dans ce cas, il est également comptable des actes qu'il peut être amené à commettre. Les juifs de la diaspora doivent alors légitimement pouvoir émettre un jugement. Les signataires ont conscience de l'exploitation qui ne manquera pas d'être faite de leur prise de position, mais ce n'est pas au nom de cette exploitation possible qu'ils doivent se taire et donc être regardés comme des "suivistes" invétérés.

On s'est beaucoup étonné de l'expression "faire pression", en parlant de l'Union européenne et des Etats-Unis d'Amérique. Mais c'est justement à cause de la folie destructrice de ses voisins et d'un terrorisme qui a fait tant de victimes qu'on peut attendre d'Israël qu'il ne donne pas prise à la provocation. Devant ces gouvernements qui espèrent gagner du temps en donnant raison aux colons brandissant d'une main une mitraillette Uzi et de l'autre la Torah, la diaspora ne saurait faire silence.

Puisque ce pays n'a pas pu par lui-même trouver une solution permettant à chacun de vivre, puisque son voisin reste divisé entre l'Autorité palestinienne et un Hamas qui ne rêve que d'en découdre par des actions terroristes, alors la solution internationale doit être tentée.

Israël souffre d'un mal endémique, celui d'un système électoral aux ravages sans cesse répétés. La proportionnelle intégrale autorise des marchandages qui sont contraires à ses intérêts. Et nous ne parlons même pas de la corruption galopante qui gangrène certains de ses dirigeants. Et pourtant ce pays demeure en dépit de tout une démocratie. Et c'est parce que nous continuons à lui faire confiance que nous l'interpellons de cette manière.

Aussi, à ceux qui nous demandent : qui êtes-vous donc pour vous mêler de sa politique et pour vouloir peser sur son destin ? Nous répondons : tout simplement des Français juifs qui au nom de leur attachement fervent mais lucide pour Israël n'entendent pas abandonner leur faculté de juger.

Michel Zaoui et Patrick Klugman, membres de la direction de JCall, avocats au barreau de Paris.