Retour de la « titrisation » : « Les enseignements de la crise financière appellent à la prudence »

Quel sort réserver à la « titrisation », cette technique financière controversée qui permet de transformer des créances peu ou non liquides – crédits hypothécaires, prêts automobiles, encours de cartes de crédit – en titres négociables ? Les avis divergent au sein de nos instances réglementaires. Alors que certains réclament son retour, d’autres souhaitent retenir les enseignements de la crise financière et appellent à plus de prudence.

Les premiers soutiennent que la titrisation est un moyen efficace de refinancement au service de la croissance, du développement des entreprises et de la création d’emplois. Ce point de vue est partagé par la Commission européenne, qui a déposé en septembre 2015 deux propositions législatives visant à améliorer la profitabilité de certaines titrisations. Il s’agit même d’une priorité pour la Commission en termes de réglementation financière.

Les deux textes sont actuellement entre les mains du Parlement européen et des membres de la commission « affaires économiques et monétaires », qui peuvent les amender jusqu’au 20 et au 22 juillet. Un premier vote ne devrait pas intervenir avant novembre 2016.

Mais d’autres experts, dont plus de 80 universitaires signataires d’une « Lettre ouverte aux députés européens sur les risques d’une relance de la titrisation » (publiée en français dans La Tribune du 23 mai), tirent la sonnette d’alarme et demandent un retour à la raison. Un appel à l’opinion publique que partage Finance Watch avec de nombreux représentants de la société civile.

De sérieux effets négatifs

Car la question est la suivante : comment un essor de la titrisation va-t-il améliorer le quotidien des citoyens ? Soutiendra-t-il une croissance basée sur la création d’emplois ? Nous en doutons. A l’instar du monde académique, nous craignons que cette mesure rallume de nouveaux risques qui seront in fine supportés par les citoyens.

La titrisation permet d’optimiser la notation de crédit ou la cote de solvabilité de produits financiers. Elle modifie le rôle traditionnel des intermédiaires financiers, puisqu’elle vise à remplacer un système reposant sur des intérêts perçus par des intermédiaires financiers par un système de commissions touchées par des distributeurs.

Contrairement au prêt bancaire traditionnel, où toutes les fonctions sont assurées par une seule entité – la banque –, les différentes étapes de la titrisation (origination, financement, gestion des recouvrements, surveillance des risques) sont réalisées par une succession d’entités spécialisées. Ce qui peut provoquer de sérieux effets négatifs si l’un des maillons de la chaîne se brise.

Les opportunités de profits qu’offre la proposition de la Commission sont nombreuses. En particulier pour les grandes banques. Et bien que la titrisation permette de faciliter certains prêts, comme les crédits hypothécaires, il n’est certainement pas établi que c’est de ce genre de dette dont l’Union européenne a besoin.

Conflits d’intérêts

Etant donné qu’il n’y a actuellement en Europe pas de pénurie réelle de crédit (comme l’indiquent les taux d’intérêt historiquement bas), nous remettons en cause l’idée qu’un essor de la titrisation puisse avoir un impact significativement positif sur la croissance. De plus, cette mesure ne permettra pas vraiment de stimuler ce dont l’Europe a le plus besoin : des investissements à long terme et durables, ainsi qu’une croissance reposant sur la création d’emplois.

La Commission souhaite rendre certains titres adossés à des actifs titrisés plus attrayants pour les investisseurs, en réduisant le capital qu’ils doivent mobiliser dans la catégorie dénommée « simple, transparente et standardisée » (STS). Le cadre STS s’entend donc comme un label de qualité, qui bénéficie d’une réglementation plus favorable. Dès lors que la très grande majorité des récentes titrisations répond aux critères STS, on est en droit de penser que cette mesure vise plus à redorer l’image d’un secteur terni par la crise qu’à proposer une réelle innovation…

Bien réel en revanche est le risque qu’un intense lobbying rende cette proposition législative encore plus favorable au secteur financier, échouant ainsi à intégrer les leçons de la crise. N’oublions pas que la titrisation a amplifié l’impact de la crise des subprimes, en facilitant le modèle dit « originate to distribute », qui consiste à consentir des crédits puis à les revendre sur les marchés financiers, aux dépens du métier bancaire classique (dit « originate to hold »), mais aussi en augmentant l’interconnectivité, en favorisant les conflits d’intérêts et en dissuadant les investisseurs d’analyser les véritables risques en raison d’une complexité excessive.

Le secteur financier dit craindre un cadre législatif trop strict, qui nuise au succès commercial de la titrisation STS. Nous pensons, tout au contraire, que mieux encadrer les pratiques du secteur, c’est lui assurer le retour de la confiance des investisseurs. Mais à nos yeux, le plus important reste encore que les institutions européennes adoptent la meilleure approche réglementaire dans l’intérêt de l’ensemble de ses citoyens, et pas uniquement dans l’intérêt du seul secteur financier.

Par Christophe Nijdam, secrétaire général de l’ONG Finance Watch.

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