Retraites : « La nécessité d’une réforme équitable, lisible et durable »

Après des décennies de réformes paramétriques, le gouvernement semble sur le point d’engager une réforme structurelle de notre système de retraite. Avec un taux de dépendance (le nombre des 65 ans et plus rapporté à celui des 15-64 ans) qui devrait passer de près de 25 % aujourd’hui à près de 45 % en 2070, les besoins de financement seraient en effet difficilement supportables si le poids des pensions dans le produit intérieur brut (PIB) augmentait dans les mêmes proportions.

Certes, les réformes menées jusqu’ici devraient limiter ce risque, comme le montre l’« Ageing Report » de la Commission européenne, qui en intègre les résultats escomptés. La part des pensions est aujourd’hui de 15,1 % du PIB, mais elle devrait baisser à 11,8 % en 2070, en raison de l’augmentation des taux d’activité aux âges élevés, mais surtout de la baisse des taux de remplacement, c’est-à-dire du rapport entre pensions et salaires d’activité. Car c’est en réalité à une baisse orchestrée du pouvoir d’achat relatif des retraités que l’on assiste depuis trente années !

En 1993, la réforme impose que les salaires servant au calcul de la première pension (soit les 25 meilleures années, au lieu des 10 préalablement) ne soient plus indexés comme le salaire moyen de l’économie, mais comme l’inflation. Autrement dit, les salaires passés voient leur valeur de calcul d’autant plus baisser qu’ils sont anciens. Les pensions suivantes étant également désindexées, celles-ci « décrochent » chaque année du salaire moyen. Autrement dit, chaque point de croissance économique vient baisser le pouvoir d’achat relatif des retraités.

Risque de paupérisation des retraités

Par la suite, la sous-indexation des retraites complémentaires à un point de moins que l’inflation, puis la décision, à partir de 2013 et jusqu’en 2019, de retarder leur revalorisation de sept mois chaque année, et enfin la mise en place d’un bonus-malus destiné à inciter à un recul de l’âge de la retraite à compter de 2019 sont autant de mesures mettant clairement les retraités à contribution, même si l’augmentation du prix d’achat du point Agirc et Arrco et l’augmentation du « taux d’appel » (coefficient multiplicateur du taux de cotisation) font peser une partie de ce fardeau sur les futurs retraités.

L’annonce faite durant l’été 2018 d’une nouvelle sous-indexation des salaires portés au compte retraite et des pensions de base en 2019 puis en 2020 vient enfoncer le clou de la baisse du pouvoir d’achat des retraites comparées aux salaires.

Ces trente années de désindexation ont forgé un mécanisme insidieux et opaque qui fait que le taux de remplacement observé à la liquidation (au moment du départ en retraite) ne reflète pas le pouvoir d’achat relatif de la pension tout au long de la durée de la retraite. En réalité, plus celle-ci est longue, plus le pouvoir d’achat des pensions se dégrade, et ce d’autant plus que la croissance économique est forte, alors même que les besoins additionnels en fin de vie sont, eux, indexés sur les salaires et non sur les prix, puisqu’il s’agit notamment d’achat de services d’aide à la personne.

Face à ces bricolages et au risque de paupérisation des retraités qu’ils induisent, la nécessité d’une véritable réforme, équitable, lisible et durable est manifeste.

Des gagnants et des perdants

Le passage à un régime unique par points supprimant les spécificités des quarante-deux régimes actuels (chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits à pension à chaque salarié) et reposant sur le principe de « neutralité actuarielle » (la somme actualisée des pensions versées ne peut excéder la somme actualisée des cotisations versées) répondrait à ces exigences.

Théoriquement, la neutralité actuarielle permet à chacun d’anticiper sa retraite (bien qu’il y ait un âge plancher) en arbitrant entre une retraite longue mais moins « payée » et une retraite courte mais bien « payée » – ce qui incite, sans contrainte, à un report de l’âge de départ à la retraite. Elle permet aussi de gérer les nouvelles trajectoires professionnelles en toute transparence et équité.

Cela dit, la mise en œuvre ne sera pas exempte de difficultés.

Quid du minimum vieillesse et des prestations qui ne sont pas issues des cotisations, comme les bonus par enfant ou les pensions de réversion, qui ne peuvent être prises en compte dans un régime par points « pur » ? Ces prestations, tout comme le montant du minimum vieillesse, constitueront un enjeu important et… une entorse au principe de neutralité actuarielle.

Quid de la durée de transition entre système actuel et système futur ? Une transition courte pourrait être mal vécue par les assurés s’ils considèrent qu’ils ne sont pas en mesure de s’adapter à un changement des règles d’acquisition et de calcul de leurs droits.

Quoi qu’il en soit, la réforme fera des gagnants et des perdants. Elle devrait concentrer les pensions tout comme la date du départ en retraite autour d’un âge en moyenne plus élevé qu’aujourd’hui. Les enquêtes montrent que, si la population est globalement favorable à une telle réforme, fonctionnaires et salariés des grandes entreprises publiques le sont moins car ils y voient, à juste titre, un risque de dégradation de leur situation.

Par Florence Legros, professeur d’économie, directrice générale d’ICN Business School.Il est également l’auteure, avec Jean-Louis Guérin, de « Neutralité actuarielle : un concept élégant mais délicat à mettre en œuvre », Revue d’économie financière, n° 3/2002.

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