Retraits africains de la justice internationale: un inquiétant signal

Le ministre de la justice sud-africain Michael Masutha, annonçant la décision de son pays de se retirer de la Cour pénale internationale, le 221 octobre 2016. © AP PHOTO
Le ministre de la justice sud-africain Michael Masutha, annonçant la décision de son pays de se retirer de la Cour pénale internationale, le 221 octobre 2016. © AP PHOTO

Quel retournement! Le 2 février 1999, un pays africain, le Sénégal, était le premier Etat au monde à ratifier les statuts de la Cour pénale internationale (CPI). Poussés par leur société civile et les ONG, une trentaine de pays africains allaient suivre son exemple au nom de la lutte contre l’impunité. Beaucoup l’ont oublié: cette vague d’adhésion à la CPI s’est produite en dépit de la virulente campagne diplomatique lancée par l’administration Bush, qui menaçait de représailles tout Etat hors de l’OTAN qui ratifierait les statuts de la CPI! Les Etats-Unis voulaient la mort de cette institution, et malgré tout, la majorité des pays africains avait adhéré, portés par leur opinion publique.

Seize ans plus tard, l’espoir que les sociétés civiles avaient investi dans la CPI est retombé. La Cour, par sa seule existence, a sans doute marginalement pu éviter des drames encore pires. Mais elle s’est trouvée incapable de répondre aux attentes – sans doute hors d’atteinte – des populations.

Les Etats agissent en fonction de leurs intérêts

De fait, les Etats n’ont jamais donné à la CPI les moyens de ses ambitions. Construire des actes d’accusation et procéder à des arrestations nécessitent la coopération des Etats. Ce sont eux qui fournissent des écoutes téléphoniques, et qui arrêtent – ou pas – les inculpés. Et ils le font en fonction de la lecture de leurs intérêts.

Tant que la CPI s’en prenait à des leaders d’opposition ou aux chefs de groupes rebelles, les gouvernements n’avaient nulle objection, et même se félicitaient de son action. Mais depuis que la CPI a inculpé le président soudanais, Omar el Bashir, certains gouvernements – comme celui du Burundi qui a aussi annoncé son retrait de la CPI – se sont détournés d’elles, craignant une Cour qui pourrait s’en prendre à eux aussi.

La Cour a provoqué des déceptions

La CPI a déçu aussi bien une large partie des sociétés civiles africaines pour qui la Cour n’était pas assez efficace que des gouvernements selon lesquels elle n’était pas suffisamment «contrôlable». En annonçant le retrait de son pays de la Cour, le président sud-africain Jacob Zuma s’est posé en champion de la solidarité avec ses pairs. Lui qui avait été critiqué par le système judiciaire de son pays pour ne pas avoir arrêté le président soudanais alors en visite, prend sa revanche. Et déclenche potentiellement une pluie d’autres retraits africains de la CPI dans les mois à venir.

Ceux-ci n’ont pas tardé à se manifester. Le gouvernement burundais, qui fait l’objet d’un examen préliminaire de la CPI pour les crimes présumés qui sont commis, avait d’ailleurs été le premier, avant même l’Afrique du Sud, à faire connaître son retrait de la Cour. Mais c’était un régime aux abois.

A la veille d’un nouveau cycle de violence?

L’Afrique du Sud, qui n’est nullement inquiétée par la CPI, donne une légitimité à tous les autres Etats africains pour se retirer. C’est ce qui s’est produit avec mardi l’annonce, la semaine dernière, du retrait de la Gambie, créant une situation inédite: le job le plus important de la Cour est détenu désormais par une procureure, Fatou Bensouda, dont le gouvernement a annoncé son retrait.

Ces retraits qui pourraient en anticiper bien d’autres sont une mauvaise nouvelle. Ils minent la légitimité et l’ambition d’universalité de la CPI, mais là, n’est pas le plus grave. Le plus préoccupant, c’est le fait que l’Afrique se trouve peut-être à la veille d’un nouveau cycle de violence. Or, toutes les digues, aussi profondément insatisfaisantes qu’elles soient – comme la CPI – sont nécessaires afin de limiter le risque de nouveaux affrontements et de déstabilisation régionale.

Situation d’extrême gravité au Burundi

Depuis la chute de Kadhafi, la Libye a implosé, contribuant à déstabiliser encore davantage les pays du Sahel. Certains Etats – comme le Mali – ne contrôlent plus qu’une partie de leur vaste territoire. La situation au Burundi est d’une gravité extrême. Le report à une date encore inconnue des élections en République démocratique du Congo, prévu initialement pour le mois prochain, crée une situation dangereuse. Le représentant de l’ONU, Maman Sambo Sidikou, a mis en garde le Conseil de sécurité il y a quelques jours sur le fait que «si l’impasse n’est pas résolument rapidement», la RDC pourrait basculer dans la violence.

Il y a une vingtaine d’années, la précédente crise dans le pays le plus vaste d’Afrique centrale s’était soldée par une guerre impliquant une demi-douzaine d’armées étrangères et un nombre impressionnant de groupes armés, provoquant la mort de plus de cinq millions de personnes, essentiellement de famine et de maladie.

L’année dernière, les présidents du Burundi, du Rwanda et du Congo-Brazzaville ont changé la Constitution de leur pays pour demeurer en place; et depuis une trentaine d’années, Yoweri Museveni en Ouganda, Robert Mugabe au Zimbabwe et José Eduardo dos Santos en Angola s’accrochent au pouvoir, en dépit de la frustration de leurs concitoyens et d’explosions de violence. Dans ce contexte, tout retrait de la Cour pénale internationale sonne comme un inquiétant signal d’alarme.

Pierre Hazan, conseiller éditorial de justiceinfo.net, professeur associé à l’Université de Neuchâtel et spécialiste de la justice pénale internationale.

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