Revenir aux sources de la finance pour faire cesser les catastrophes

La finance soutient la création de richesse mais, en soi, ne crée pas de valeur. Elle ne devrait jamais être autorisée à prendre la direction des opérations: le rôle de la finance est de permettre la continuité des échanges économiques en mettant la monnaie épargnée par certains à la disposition de ceux qui inventent et produisent des biens.

La finance est une infrastructure, au même titre que les routes ou les égouts. Comme l’écrivait Adam Smith, l’argent est «la grande roue de la circulation… qui apporte au marché toute l’herbe et tout le grain du pays (mais) qui ne produit ni l’un ni l’autre». Même Marx reconnaissait que la valeur n’avait rien à voir avec la monnaie.

C’est pourquoi nous devons cesser de rechercher des solutions à la crise actuelle du côté des mesures qui sacrifient la propriété et la richesse des producteurs de biens et qui subventionnent les institutions financières qui ont été mises dans un état désastreux par les financiers d’aujourd’hui.

Une des raisons pour lesquelles tout est aujourd’hui sens dessus dessous est le volume des financements qui est sans rapport aucun avec la valeur des actifs. L’expansion du crédit utilisant des instruments dérivés a créé plus de monnaie que nécessaire. Un effondrement du crédit et des devises est inévitable si la finance n’est pas alignée avec les actifs et fonction de leur revalorisation. L’importance d’aligner la finance et les droits de propriété sur les actifs pour créer du crédit a été repérée très tôt par John Kenneth Galbraith; étudiant la crise de 1929, il concluait que les crises financières apparaissent quand le montant des dettes sécurisées ou créées à partir du nantissement d’actifs devient dangereusement «hors de proportion» avec les biens nécessaires pour rembourser la dette.

Comment peut-on mesurer la «proportion» dont parle Galbraith? En examinant si le financement mobilisé pour le développement d’un certain type d’actifs pourra effectivement générer de la valeur supplémentaire. La raison pour ce faire est aussi ancienne qu’Aristote qui expliquait déjà que le potentiel d’un actif est plus grand que cet actif lui-même. Ceci justifie l’effet de levier puisque découvrir et développer le potentiel d’un actif requiert du crédit supplémentaire «en proportion» avec une bonne estimation de la valeur supplémentaire pouvant être produite par cet actif. Le message est simplement que la croissance vient d’une revalorisation des actifs – processus dans lequel la finance ne joue qu’un rôle d’appoint.

Ce principe de «revalorisation» a été respecté dès les premiers temps de la République américaine: un titre de propriété était attribué aux pionniers, aux chemins de fers, aux universités qui pouvaient revaloriser les terres qu’ils réclamaient ou qui leur étaient confiées. Les lois déjà anciennes relatives au droit de propriété reposaient sur des principes selon lesquels le financier devait constamment garder un œil sur les actifs concernés pour continuer de se souvenir de ce que le but du financement est de créer de la richesse supplémentaire et non d’aller au-delà des possibilités de revalorisation de ces actifs: les actifs peuvent être nantis, transformés, combinés, recombinés, découpés, tranchés et repackagés, à condition toutefois que le processus augmente la valeur de l’actif original. Or, dans l’univers actuel des produits et de l’engineering financiers, il n’y a pas de mécanismes ou d’incitations qui assurent que la division permanente des titres de propriété et leur recombinaison en tranches ne soient liées, d’une façon ou d’une autre, aux actifs et à leur potentiel.

De plus, parce que nous n’avons aucune trace ou moyen de contrôler les instruments dérivés qui justifient le crédit, nous n’avons pas non plus les moyens de garder la trace de la taille, du prix réel, des implications et du parcours de ces dérivés.

Il en résulte que nous avons créé une crise se traduisant par une énorme création de crédit qui dépasse largement les besoins réels de la production et des personnes. Nous ne retrouverons la maîtrise de notre sort que lorsque nous aurons retrouvé le contrôle de toute la liquidité et de ces produits dérivés qui ont un fort contenu monétaire.

Je parlerai de cela à Zermatt.

Hernando de Soto sera l’un des économistes invités au premier Sommet de Zermatt consacré à la mondialisation, du 3 au 5 juin. Il défend le pincipe de proportion cher à John Galbraith.