Revenu universel : « En France, il s’agit avant tout d’une nécessaire réforme de l’impôt sur le revenu »

Après trois années d’agitation médiatique, le gouvernement finlandais a annoncé qu’il ne donnera pas suite à l’expérimentation d’un prétendu « revenu de base » de 560 euros, qu’il a distribué pendant deux ans à 2 000 Finlandais tirés au sort parmi les plus défavorisés. En réalité, le dispositif testé n’avait qu’un vague cousinage avec ce que serait un véritable revenu universel : fiscal, individuel, à tous, sans condition. Refermer cette parenthèse approximative permet de reprendre l’étude de propositions plus sérieuses.

Car le regain d’intérêt mondial sur la thématique du revenu universel est impressionnant. Depuis cinq ans, des centaines d’articles et d’études plus ou moins fantaisistes sont publiés chaque mois sur le sujet. En juin 2016, le monde entier analysait le référendum suisse, qui proposait aux citoyens d’étudier une proposition délirante : 2 300 euros pour tous, chaque mois. La campagne présidentielle française n’y a pas échappé, avec le passage d’une comète Hamon qui a semé une incompréhension massive sur son sillage.

Piège infernal

Pour les 2 000 adultes sélectionnés en janvier 2017 parmi les chômeurs de 25 à 58 ans, le « revenu de base » administré par KELA, la Sécurité sociale finlandaise, a remplacé tout ou partie de l’allocation-chômage par une allocation d’un montant forfaitaire, 560 euros, assortie d’une promesse : vous la garderez jusqu’à fin 2018 même si vous retrouvez un travail. Logiquement, certains ont apprécié une prestation qui augmentait leurs ressources ou lissait des revenus irréguliers. Mais ont-ils retrouvé le chemin du travail pour autant ?

L’objectif du gouvernement finlandais était d’expérimenter une parade contre la désincitation massive induite par des prestations sociales très généreuses – nettement plus qu’en France. En Finlande, reprendre un travail ne paie pas. Un euro gagné par son travail, c’est presque autant de perdu sur ses prestations sociales. Un piège infernal.

Le ministre des finances, Petteri Orpo, président du Parti de la coalition nationale, a commenté les premiers résultats de l’expérimentation, rappelant d’abord qu’il y était opposé dès l’origine. Le fait qu’il n’ait pas observé d’incitation à reprendre un emploi confirme son impression première. Il préconise aujourd’hui une simplification importante de la protection sociale, des allocations conditionnelles d’un niveau probablement inférieur aux 560 euros testés et des mécanismes incitatifs qui pourraient prendre la forme de dispositifs fiscaux.

La Finlande aura encore besoin de temps pour digérer les leçons de son expérimentation et rebondir. En France, le point de départ est techniquement plus favorable que le piège à chômeurs finlandais, mais à condition de ne pas se tromper de cible. Il est temps de recentrer le débat sur le vrai sujet. En France, il s’agit avant tout d’une nécessaire réforme de l’impôt sur le revenu.

RMI, RSA, prime d’activité…

En 1974, l’économiste Lionel Stoléru (1937-2016) proposait la création d’un impôt négatif. En 1988, il était appelé dans le gouvernement de Michel Rocard pour créer une prestation sociale, le revenu minimum d’insertion (RMI), ce qui ne correspondait nullement à l’approche fiscale initiale. En 1997, l’économiste François Bourguignon expliquait à Lionel Jospin comment éliminer les inconvénients avérés du RMI grâce à une réforme fiscale. Un long débat aboutit alors à la création, en 2001, d’une modeste prime pour l’emploi, forme minimale et éphémère d’impôt négatif.

Depuis cette époque, la France patauge dans l’ingénierie des prestations sociales. En 2007, Martin Hirsch défendait son revenu de solidarité active (RSA). En 2016, la prime d’activité fusionnait le RSA activité et la prime pour l’emploi, améliorant mécaniquement le taux de recours à la prestation. Après son étude de 2018 sur une « allocation sociale unique », Fabrice Lenglart, commissaire général adjoint de France Stratégie, a été chargé par le gouvernement de définir le « revenu universel d’activité », promis pour 2020 par le président Macron. On craint un nouveau pic record de complexité et d’opacité.

En 2014, dans le cadre du club de réflexion GenerationLibre, avec Gaspard Koenig, nous avons proposé « LIBER, un revenu de liberté pour tous ». Depuis cinq ans, nous demandons une réforme fiscale, mais l’administration résiste : pas question de mélanger le social et le fiscal ! D’un côté, Bercy fait entrer les sous ; de l’autre, le ministère des Affaires sociales distribue avec discernement des aides spécifiques à ceux qui en ont vraiment besoin. Chacun son boulot.

Une solution simple

Or la mise en œuvre du prélèvement à la source est l’opportunité de réaliser enfin l’adaptation automatique mensuelle aussi bien des prélèvements que des transferts monétaires à la réalité de la situation de chaque ménage. La solution est simple : remplacer la complication du calcul de l’impôt sur le revenu, du RSA et d’autres dispositifs par un crédit d’impôt individuel mensuel de 480 euros, venant en déduction d’un prélèvement de 23 % sur tous les revenus du mois, dès le premier euro.

Pour les personnes seules au RSA, le mécanisme fiscal est monétairement équivalent mais infiniment plus simple. Pour les contribuables des classes moyennes supérieures, cela ne change rien non plus. En revanche, pour les actifs aux revenus modestes, qui forment l’essentiel des cortèges de « gilets jaunes », la réforme fiscale permet un gain monétaire significatif. Elle sonne aussi le glas de 50 milliards d’euros de dispositifs « incitatifs » compliqués, paternalistes, épouvantablement coûteux et inefficaces.

Marc de Basquiat est ingénieur et docteur en économie, fondateur de StepLine Conseil, président de l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence.

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