Revenu universel : « Garantir à chacun un minimum de sécurité financière ne suffit pas »

« Revenu de base », « revenu universel », « refonte des minima sociaux »… Tous ces projets questionnent le Mouvement ATD Quart Monde. Il a décidé aujourd’hui d’interpeller leurs promoteurs : Voulez-vous que la réforme que vous portez soit d’abord un projet de lutte contre la pauvreté ? Et dans ce cas, êtes-vous prêts à construire ce projet en associant les premiers concernés ?

S’il est réellement pensé avec ceux qui ont la vie la plus difficile, le Mouvement ATD Quart Monde serait prêt à expérimenter la mise en place d’un revenu de base sur un territoire précis et limité. Nous pourrions alors comprendre, tous ensemble, dans quelles conditions cela peut être une chance pour les plus défavorisés et changer des vies. Nous pourrions aussi en cerner les risques pour mieux y parer.

Ces dernières semaines, plusieurs Universités Populaires Quart Monde, rassemblant des personnes en situation de pauvreté et d’autres qui leur sont solidaires, ont débattu du revenu universel et/ou de la refonte des minima sociaux. Il en est ressorti des craintes et des espoirs.

Respectés avant tout

Lors de ces universités, les bénéficiaires, actuels ou passés, de ces minima l’ont redit avec force : ils veulent d’abord être respectés. Lorsque l’on perçoit le revenu de solidarité active (RSA), on est très vite suspect. Suspect de ne pas vouloir travailler, de se complaire à vivre au crochet des autres, de frauder en dissimulant des revenus ou en mentant sur sa situation familiale.

Avec un revenu versé à chacun et de manière automatique, les démarches seront simplifiées, promettent les promoteurs de ces réformes. C’est un bon point car, face à la complexité des dossiers et aussi à l’humiliation de demander, un tiers des personnes éligibles au RSA renonce à le réclamer ! Mais tout cela ne changera pas d’un coup de baguette magique le regard posé sur les plus démunis et la pauvrophie nourrie par les discours fustigeant « l’assistanat ».

Les allocataires l’ont aussi rappelé avec force : les minima sociaux ne permettent pas de sortir de la pauvreté. Aucun n’atteint d’ailleurs le seuil de pauvreté, qui est de 1 008 euros mensuels pour une personne seule (le seuil de pauvreté monétaire est fixé à 60 % du niveau de vie médian, Insee 2014).

Vivre dignement

Avec un minimum vieillesse ou une allocation pour adultes handicapés (AAH) fixés respectivement à 808 euros par mois, on parvient tout juste à s’en sortir. Et encore, s’il n’y a pas d’imprévu –   une dépense de santé non remboursée, une machine à laver en panne… Mais en dessous, on n’y arrive pas. Avec un RSA à 535 euros par mois, on doit aller aux distributions alimentaires, ce qui est chaque fois une humiliation quelle que soit la qualité de l’accueil qu’on y trouve.

Or toutes ces personnes aspirent à vivre dignement, comme tout le monde, sans l’angoisse permanente du lendemain, sans devoir rogner sur les dépenses de santé, sur le transport, la culture, les loisirs, en pouvant anticiper et prévoir. Le montant du revenu universel ou du revenu de base permettra-t-il une vie digne à une personne n’ayant que cela pour vivre ?

A côté des minima sociaux, beaucoup bénéficient de « droits connexes », alloués par des organismes de sécurité sociale ou par des collectivités locales. Ils sont indispensables pour pouvoir se soigner comme la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou l’aide à la complémentaire santé (ACS), mais aussi pour se loger (les allocations logements), se déplacer, participer à la vie culturelle, etc. Que deviennent ces aides complémentaires dans les projets de revenu universel et/ou de refonte des minima sociaux ?

Marginalisation

Enfin, il y a la question du travail. Face aux discours sur sa raréfaction, les personnes en situation de pauvreté ont été claires. Elles sont conscientes de la diminution des emplois peu qualifiés – elles en sont les premières victimes. Mais il est hors de question pour elles de renoncer au travail, en particulier pour les jeunes.

Elles le savent d’expérience : celui qui ne travaille pas se retrouve trop souvent marginalisé et sans droit à la parole. Avec un revenu universel, ces personnes redoutent d’être abandonnées, définitivement évincées du monde du travail auquel elles aspirent. Elles redoutent de s’entendre dire : « Maintenant on vous a donné un peu d’argent, on ne veut plus vous entendre ».

Le Mouvement ATD Quart Monde porte une attention particulière aux jeunes qui ne doivent pas être oubliés. Il demande que tous les jeunes soient assurés d’une sécurité financière à partir de 18 ans, leur permettant d’aller vers l’autonomie. Actuellement, certains le sont par leurs parents, d’autres par des bourses ou par un revenu du travail, mais d’autres n’ont aucun revenu. Tous doivent également pouvoir être accompagnés et soutenus dans un projet de formation et d’accès à l’emploi. La Garantie jeunes, si elle se donne l’ambition et les moyens de rejoindre les plus défavorisés, peut être une piste, de même que l’extension du système des bourses.

Eradiquer la grande pauvreté

Au fond, la question posée par toutes ces réformes est celle-ci : si l’on veut réellement lutter contre la pauvreté, peut-on ne parler que de revenu ? Trouver sa place dans le monde du travail et dans la société nécessite pour beaucoup un accompagnement par des personnes formées et bienveillantes. Donner un revenu sans garantir cet accompagnement peut conduire à un isolement, voire à un enfermement pire que celui que beaucoup connaissent déjà.

Garantir à chacun un minimum de sécurité financière ne suffit donc pas. Le droit à des moyens convenables d’existence, inscrit dans la Constitution, ne peut être dissocié des autres « droits fondamentaux » – au logement, à la santé, à l’éducation, à la formation, à l’emploi et à la culture. Sans eux, l’égale dignité est un leurre. Ces droits sont indissociables et pour ATD Quart Monde, leur mise en œuvre, pour tous, doit être pensée dans une cohérence globale. Le Mouvement demande aussi aux promoteurs de ces projets d’inscrire explicitement l’éradication de la grande pauvreté parmi leurs objectifs.

A ces conditions, oui, le revenu de base deviendrait un élément essentiel, un pilier de l’accès de tous aux droits.

Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde,

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