Revisiter le panarabisme à partir du droit naturel

Le siège de la Ligue arabe au Caire. Archives AFP
Le siège de la Ligue arabe au Caire. Archives AFP

Dans nombre de pays arabes, dictature, oligarchie et corruption soulignent l’absence d’un État de droit et mènent à un divorce prononcé entre les aspirations des peuples arabes et les pratiques de leurs gouvernants. Dans ces conditions, trois notions doivent être impérativement revisitées pour revivifier le monde arabe en lui ouvrant des voies d’avenir et pour le progrès de la civilisation humaine en général: l’arabité, le panarabisme et le droit naturel. Soutenant la première sans se confondre avec elle, la deuxième (le panarabisme) n’est pas morte, mais son renouvellement est crucial face aux changements socio-politiques régionaux et internationaux, tout en tirant les leçons des échecs du passé et des erreurs qui ont été et qui continuent à être commises en son nom. Lorsqu’on parle de l’arabité, on désigne une vaste civilisation rassemblant plusieurs cultures.

Échec

Actuellement, les pays arabes correspondent aux vingt-deux États membres de la Ligue arabe. Cette dernière est la « première création dans l’ordre international d’une organisation régionale aux fins de regroupement sur base de l’affinité de civilisation et de partage de l’histoire » (Georges Corm). La superficie totale des territoires arabes dépasse treize millions de kilomètres carrés et les populations arabes sont estimées au total à environ quatre cents millions d’individus. La Ligue des États arabes est souvent perçue comme un échec, ne répondant pas aux attentes des peuples arabes mais plutôt à des conditions et limites imposées par de grandes puissances régionales et internationales. Elle souffre elle-même des problèmes des Arabes au lieu de leur offrir les moyens de les résoudre. Inefficace, non crédible, quasi effacée et « très techno-bureaucratique », l’influence qu’exerce ladite Ligue « se situe bien en deçà des potentialités existant à l’échelle des pays arabes » (Amine Ait-Chaalal).

Vivement revisité, le panarabisme est le fondement juridique prospectif et opportun pour une renaissance efficace du monde arabe et pour sauver son identité civilisationnelle de son déni par certains Arabes. Le terme « fondement » s’entend comme la base, le socle, et l’élément essentiel et principal sur lesquels se fonde l’État de droit panarabe, à savoir : le droit naturel. Contenant les principes jusnaturels (fondamentaux et seconds), le droit naturel est un système de normes qui s’impose aux communautés et aux individus, et qui engendre des descendants : les principes généraux du droit, d’une part, et les droits fondamentaux correspondant aux droits naturels (au pluriel), d’autre part.

Le droit naturel n’exempte pas les sociétés humaines de mettre en place des droits positifs. Au contraire, il les invite à « positiver » sa teneur. Le panarabisme ainsi revisité consiste dans la pensée et l’activisme tendant à la réalisation complète et à l’affermissement continu d’une arabité qui, conçue en tant qu’identité de civilisation arabe, se plie au droit naturel.

Le panarabisme est le renforcement progressif de l’arabité et du droit naturel dans le monde arabe. Il s’agit d’un concept idéel qui irrigue les divers pays arabes. Le panarabisme n’est ni un nationalisme ni un patriotisme: il ne correspond ni à l’idée d’une seule « patrie » ni à celle d’une seule « nation » dite « arabe » ou « panarabe ». Durant la seconde moitié du XXe siècle, les États arabes ont souvent cru voir leur salut politique dans le « panarabisme » et ont plusieurs fois essayé d’appliquer leurs propres conceptions en la matière suivant différentes approches. Cependant, les échecs successifs de ces différentes versions excessivement idéologiques et politiques du « panarabisme », ainsi que leur fausseté théorique et leur inopportunité pratique, montrent qu’elles doivent être dépassées.

Chacune des trois notions-clés que sont l’arabité, le panarabisme et le droit naturel est unique sous le vernis diversifié des cultures et civilisations du monde pour la dernière, et des sociétés englobées par la civilisation arabe pour les deux premières. Le droit naturel fonde l’État de droit comme modèle, ce dernier se définissant comme étant l’État qui respecte le droit naturel et qui, concernant la promotion des États de droit arabes, est qualifié de panarabe.

Nouvel ordre

L’État de droit panarabe préconise l’établissement des États de droit arabes garants de la diversité intrinsèque au sein de l’unité de civilisation arabe. « Ainsi, la totalité n’est autre que la pluralité considérée comme unité » (Kant).

La garantie des principes jusnaturels et des droits fondamentaux est le moyen efficace pour le salut des peuples arabes. Face à la crise dans laquelle baignent les pays arabes, il est crucial de retourner aux origines, aux sources et aux fondements de tout système de communauté humaine. Les États arabes doivent revisiter leurs bases philosophiques, juridiques et politiques en s’inondant du jusnaturalisme. C’est ainsi que les trois notions de droit naturel, d’État de droit (découlant du droit naturel) et de panarabisme (soutien de l’arabité) se trouvent articulées.

Pour que les États arabes jouent un rôle positif actif avec leurs homologues dans la communauté internationale, il leur convient, dans un souci de pragmatisme et d’efficacité, d’accéder progressivement au panarabisme en adoptant la gradation qui consiste dans une politique des « petits pas ». Le cas échéant, le panarabisme leur permettra de faire face aux facteurs actuels multiples portant préjudice à leurs sociétés (sachant que ces difficultés se recoupent souvent entre elles et sont d’ordres interne et externe).

En définitive, et dans les situations actuelles difficiles aux niveaux régional et international, c’est le panarabisme qui pourra servir de plateforme à la formation d’un nouvel ordre étatique dans chaque pays arabe et d’un nouvel ordre régional. Ce dernier serait à même de répondre aux aspirations profondes des peuples arabes et de leurs voisins. C’est en vertu du panarabisme, et en collaboration avec leurs voisins régionaux ainsi qu’avec la communauté internationale, que les Arabes pourraient participer activement à la redéfinition d’un nouvel ordre mondial jusnaturel tant recherché. L’humanité devrait enfin s’imprégner de la lumière jusnaturelle qui l’éclaire d’un jour nouveau.

Ghadir El-Alayli, avocat, professeur de droit et de sciences politiques à l’USJ, et consultant. Dernier ouvrage : « Le droit naturel, fondement de l’État de droit panarabe » (Pedone, 2021)

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