Revoir le modèle social européen est nécessaire

De quelle manière bannir à jamais le recours aux vieilles pratiques du capitalisme financier qui ont fait trembler l'Europe sur ses bases? Comment rompre avec les routines meurtrières qui ont fait exploser le chômage fragilisant des millions de personnes? Tel est l'enjeu de l'avenir du modèle social européen.

L'injustice sociale est criante. Tandis que des milliards ont pu être débloqués pour sauver les banques d'une catastrophe qu'elles avaient elles-mêmes fabriquée, les travailleurs, les citoyens européens sont maintenant sommés de payer l'irresponsabilité et la cupidité des agents financiers d'hier et d'aujourd'hui, à travers des mesures d'austérité qui vont davantage plomber des pouvoirs d'achat déjà réduits.

Ces mesures d'austérité réduisent la croissance et minent la consommation, elles aggravent le chômage, affectent la capacité productive, et, enfin, dépriment les recettes fiscales et sociales qui se sont effondrées : moins de 200 milliards d'euros en année pleine (2009). Les risques de hausse du chômage et de réduction importante du bien-être social sont extrêmement grands.

On connaît l'impact des interventions de ce type. Les mêmes ont été engagées sur l'injonction du Fonds monétaire international (FMI) en Amérique latine dans les années 1980 : sans résoudre les problèmes de l'emploi, elles ont plutôt conduit au recours au travail au noir et miné la solidarité et la cohésion sociale, en asphyxiant tous les systèmes de redistribution.

La Confédération européenne des syndicats (CES) a fait de nombreuses propositions pour sortir de l'ornière et aller vers un système économique et social durable garant de la cohésion sociale.

Cette crise a révélé que l'Union européenne (UE), et la zone euro en particulier, ont besoin d'une véritable gouvernance, permettant d'anticiper les problèmes, de négocier la croissance, et de traiter des dissymétries économiques existantes, qui n'ont pas été résorbées avec la création de la monnaie unique. Cette gouvernance économique devra aussi fixer des objectifs économiques à moyen et long terme.

Dès le début de la crise en 2008, la Commission n'a pas pris les mesures qui s'imposaient pour faire face à la crise. Son plan de relance a consisté à additionner les différents plans de relance nationaux. Cette décision s'est avérée catastrophique dans la mesure où elle n'a pas permis à l'Europe de créer les conditions d'une relance à court, moyen et long terme.

Ce choix a empêché l'Europe d'avoir une vision stratégique dans le cadre de la mondialisation. Cela a affaibli la perception de l'UE tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Un premier signe inquiétant avait été émis lors du sommet de Copenhague sur le changement climatique. La crise a montré que l'Europe a besoin de son propre projet de croissance, de son propre projet de développement.

De même, les ressources consacrées à la relance ont été limitées : bien que leur dette publique soit considérable, les Etats-Unis ont destiné 6,5 % du produit intérieur brut (PIB) à la relance, soit près de quatre fois plus par rapport au 1,5 % consacré par l'UE.

La CES considère qu'il est urgent de renforcer les moyens de coordination fiscale au niveau européen, d'accroître la transparence fiscale et de mettre en place de nouvelles fiscalisations, telles que la taxation sur les transactions financières.

L'harmonisation fiscale doit être accompagnée par une véritable gouvernance bancaire, par la simplification des structures de contrôle des autorités publiques et par un accès sélectif aux moyens de refinancement auprès de la Banque centrale européenne. Un autre élément déterminant est la mise en place des politiques publiques afin d'accompagner les secteurs privés dans la transformation de la croissance vers une croissance durable.

Dans le même temps, il est impératif d'avoir une intégration économique européenne renforcée, car le dysfonctionnement et les asymétries de compétitivité à l'intérieur de la zone euro et de l'Europe posent problème pour assurer la cohérence et la cohésion économique.

Aujourd'hui, le centre de gravité de la croissance mondiale s'est déplacé vers l'Asie et l'Amérique latine. Face à cette situation, l'Europe a un besoin urgent de développer des politiques industrielles fortes, durables et dynamiques, basées sur des politiques bas carbone et sur l'exploitation des nouvelles technologies. Nous devons mettre en place une coordination industrielle communautaire qui s'appuie sur un investissement dans le travail en révisant les modalités du partage entre travail et capital, l'écart n'ayant cessé de se creuser au profit du capital. Des efforts doivent impérativement être faits dans le domaine de la formation.

Une autre dimension relève de nos relations extérieures avec les pays émergents. L'Europe dans son ensemble n'est pas assez impliquée dans des processus de coopération avec la Chine, l'Inde et le Brésil. Il faut une approche intégrée des relations avec ces pays.

Pour inverser la tendance de la précarisation de l'emploi, nous devons promouvoir le travail de qualité et nous tourner vers une nouvelle répartition entre évolution de productivité et salaire. La croissance durable dont l'Europe a extrêmement besoin ne peut s'appuyer que sur une stabilité et une sécurité fondées sur une politique dynamique de l'emploi et de la protection sociale.

Les travailleurs accepteront la mobilité seulement si celle-ci est assurée dans le cadre d'une sécurisation de leur parcours professionnel. Cela ne peut pas être conçu sans le respect du droit social, sans des instruments de dialogue social soutenus et sans un Etat de droit social réel dans tous les pays de l'UE.

Historiquement, ces éléments constituent la base du modèle social européen. Cette base est aujourd'hui remise en cause dans un bon nombre de pays de l'UE. On ne peut pas construire un système social démocratique en le fondant sur la précarisation du travail.

John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), et Joël Decaillon, secrétaire général adjoint de la CES.