Révolte des parapluies: Pékin a gagné la bataille, pas la guerre

L’évacuation des derniers manifestants pro-démocratie de la zone occupée de Causeway Bay, au centre-ville de Hongkong, marque la fin de la «révolte des parapluies». Le grand mouvement populaire qui secoue l’ancienne colonie britannique depuis maintenant plus de deux mois se termine dans une certaine indifférence, bien loin de l’effervescence collective des grands rassemblements des premières semaines. Ils n’étaient d’ailleurs plus qu’une poignée d’irréductibles, ce lundi, à défier encore la police aux cris de «nous reviendrons». Les récentes divisions apparues au sein des différents leaders du mouvement, conjuguées au mécontentement grandissant de la population locale, ont fini par heurter la légitimité même de la contestation.

Le départ des derniers manifestants pose désormais la question de savoir qui sort vainqueur du plus grand soulèvement démocratique que la Chine ait connu depuis les événements de la place Tiananmen en 1989. A l’évidence, la stratégie adoptée par Pékin de miser sur l’essoufflement de la mobilisation fut la bonne. Si dans un premier temps la population de Hongkong a largement soutenu les revendications des étudiants, elle s’est montrée par la suite beaucoup plus ­opposée au prolongement du mouvement. Les derniers sondages ont montré, en effet, que près des deux tiers des habitants souhaitaient un retour rapide à la normale. Cette désaffection s’explique non par un durcissement du conflit, mais par une lassitude croissante des Hongkongais à l’encontre des perturbations quotidiennes, notamment dans les transports. Ne cédant à aucune des demandes politiques des manifestants, les autorités ont préféré insister sur les conséquences économiques du conflit et le nécessaire besoin de stabilité. En choisissant de laisser pourrir la situation, Pékin a habilement parié sur un retournement de l’opinion publique.

Si la fin annoncée de la révolte des parapluies se confirme, elle marque également une victoire personnelle pour le président Xi Jinping. Les violences policières, bien que réelles lors d’affrontements sporadiques entre forces de l’ordre et manifestants, n’ont jamais débordé de manière démesurée. Aucune victime n’est à déplorer depuis le début de la mobilisation. Le contraste avec le souvenir de la répression sanglante de 1989 est saisissant.

La retenue affichée par Xi Jinping ne doit pas être pour autant interprétée comme un manque d’autorité. Au contraire, le pouvoir et l’influence du président chinois en sortent grandis. Dans ce qui constitue la première crise majeure depuis sa prise de fonction officielle, Xi Jinping a su maintenir une position de fermeté aussi bien à l’encontre des pressions des manifestants qu’à celles issues des rangs conservateurs du Parti communiste. Au final, la contestation démocratique qui touche Hong­kong depuis la fin du mois de septembre ne s’est propagée à aucune autre ville du pays et a permis au chef de l’Etat chinois d’apparaître comme un dirigeant fort et déterminé capable de résister à toute forme d’intimidation. Le succès du pouvoir en place est incontestable.

En revanche, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences futures de cette crise. La volonté de Pékin de vouloir contrôler à tout prix le processus démocratique de Hongkong a déjà eu des répercussions politiques sur le voisin taïwanais. Lors des élections locales du 30 novembre dernier, le parti nationaliste au pouvoir sur l’île-Etat a vécu une véritable humiliation. Avec la perte de cinq municipalités sur six et le contrôle de cinq des 16 villes et régions de l’île, il se retrouve dans une situation peu confortable à l’approche de la présidentielle de 2016. En réalisant l’un de ses plus mauvais scores depuis l’instauration de la démocratie, le Kuomintang s’est vu reprocher par une très large majorité des électeurs sa politique de rapprochement avec la Chine continentale. Si les questions économiques ont été présentes tout au long de la campagne, la politique conciliante à l’égard de Pékin menée par l’administration du président Ma Ying-jeou a pesé très lourd dans l’issue du scrutin. La jeunesse, en particulier, s’est beaucoup mobilisée contre ce qu’elle dénonce comme une influence croissante de la Chine dans les affaires intérieures du pays. Dès le mois de mars, le «mouvement des tournesols» avait fait part de son opposition à un accord de libre-échange dans le secteur des services entre Taïwan et la Chine. En signe de protestation, les étudiants taïwanais avaient occupé pacifiquement le parlement durant près de trois semaines.

Les relations entre Hongkong et Pékin sont toujours suivies avec beaucoup d’attention à Taïwan. Les manifestations de cet automne ont prouvé à quel point la tenue d’élections libres et démocratiques était une exception dans le monde chinois. L’intransigeance de Pékin à refuser tout dialogue avec les manifestants a contribué à accroître la méfiance d’une grande partie des Taïwanais à l’idée d’une réunification des deux Chines sous la formule «un pays, deux systèmes». A la différence de leurs camarades hong­kongais, les jeunes Taïwanais ont pu exprimer leur crainte et leur colère par les urnes.

La défaite du Kuomintang au profit de l’opposition pro-indépendantiste du Parti démocrate progressiste (DPP) ne traduit pas une résurgence du sentiment nationaliste, mais davantage une inquiétude profonde à l’encontre de l’autoritarisme des dirigeants chinois. L’exclusion de la jeunesse du débat politique représente une menace pour Pékin. Le développement d’Internet et des réseaux sociaux permet aujourd’hui aux jeunes Chinois de s’exprimer sur les problèmes qui les concernent, mais sur lesquels ils ne sont jamais consultés.

Si la fin de la «révolte des parapluies» constitue une victoire pour le pouvoir en place, le combat pour les réformes démocratiques en Chine, lui, ne fait que commencer. La présidentielle de 2016 à Taïwan et les élections de 2017 à Hong­kong seront l’occasion pour la jeunesse de réitérer leurs revendications et de tester à nouveau la patience du président Xi Jinping.

Gregory Coutaz, chercheur à Taipei.

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