Russie: le nouveau cygne noir?

Le site d'Azovstal, en Ukraine.Peter Kovalev/TASS/Sipa USA/SIPA
Le site d'Azovstal, en Ukraine.Peter Kovalev/TASS/Sipa USA/SIPA

Au moment où le conflit semble marquer une « pause opérationnelle », quel premier bilan peut-on faire de cette guerre en Europe et avec quels scénarios de sortie de crise ? Exercice périlleux tant la guerre de Poutine compte de paramètres.

Dans l’absolu, tout devrait inciter le locataire du Kremlin à revoir ses ambitions à la baisse. L’échec militaire est patent. Le changement de régime a échoué. Les armées russes se replient sur leurs bases arrière dans la région du Donbass.

Sur la scène internationale, après une décennie d’efforts gagnants, dans son précarré d’abord, puis au Levant et en Afrique, la Russie semblait de retour. En intervenant militairement en Ukraine, Poutine abîme un leadership chèrement acquis auprès du « sud global ». Ses alliés lui tournent désormais le dos. Au sommet du G20, la Russie a été désavouée, sa guerre en Ukraine fermement condamnée. Pire, l’usage ou la menace d’utiliser des armes nucléaires y a été qualifiée d’inadmissible. La Chine prend également ses distances.

A l’intérieur, le tour de vis sécuritaire achève de vider le pays de ses élites. L’effondrement économique est certes amorti par l’épais matelas de devises accumulées par la Banque centrale russe, le renchérissement du prix des matières premières énergétiques et le contournement de l’embargo pétrolier. Mais la pluie de sanctions et le départ en bon ordre du monde du business privent à terme le pays de ses leviers de croissance.

Et pourtant, aucun de ces paramètres n’est de nature à infléchir la posture belliqueuse de Poutine. Car de son point de vue, il conserve deux cartes majeures : le temps et la fragilité des Européens.

Guerre d’usure. Le temps, Poutine va l’occuper dans une guerre d’usure qui, fidèle à la stratégie déployée à Grozny et à Alep, consiste à rendre la vie impossible en faisant des civils et des infrastructures critiques ses cibles privilégiées, en laissant derrière soi un champ de ruines pour retarder le retour à la normale.

L’Europe, maillon faible, toujours selon la logique de Poutine, finira par céder. Et là encore, il fait le pari que la résilience du peuple russe l’emportera sur les démocraties capricieuses et fragiles.

Vis-à-vis du reste du monde, le maître du Kremlin se sent sans doute là encore relativement assuré. Il tient d’une main ferme la menace de la légitime défense nucléaire en cas d’extension du conflit. Et tout aussi fermement, dans son autre main, le risque de famines, et partant d’embrasements politiques des pays les plus vulnérables. Deux armes de destruction massive !

Pour Poutine, la guerre d’Ukraine est une guerre existentielle. Non pas que l’Ukraine menace en quoi que ce soit l’existence de la Russie. Dénucléarisée depuis 1994 et le traité de Budapest, délestée de la Crimée, partiellement occupée, l’Ukraine gère une guerre hybride dont elle est la première victime. Mais pour avoir théorisé la non-existence de l’identité ukrainienne, Poutine est désormais dos au mur. Il ne peut ni avancer ni reculer. Un échec militaire le contraignant à négocier équivaudrait à reconnaître un Etat dont il nie la souveraineté. Il devra donc continuer quoi qu’il en coûte. L’Ukraine doit être « prise » à tout prix.

Cette approche purement idéologique pourrait hélas prévaloir et constituer ainsi le plus sombre des cygnes noirs de l’histoire contemporaine, contraignant l’Occident à devoir s’engager de plus en plus, au risque de précipiter le chaos.

Didier Le Bret, diplomate, membre de Synopia.

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