S’affranchir du piège de la dette

La dette a, aujourd’hui, un rôle idéologique fascinant. Utilisée en 2009 comme bouée de sauvetage par tous les gouvernements pour éviter une réédition de la crise de 1929, elle est devenue, brutalement, le cœur du problème. Elle est surtout devenue politique, avec l’éternel rapport de force entre le créancier et le débiteur, comme l’illustre la crise grecque. Comment éviter alors, que la dette, vue d’abord comme un élément favorable, ne devienne encore plus anxiogène et dramatique pour les économies de la zone euro ?

Car tout le monde en convient encore plus aujourd’hui – où la volatilité des taux soulignée par Mario Draghi crée une incertitude très dangereuse –, la dette publique est un piège. Elle est vécue comme une contrainte absolue à toute politique économique active, car elle ramène tout à un objectif premier, légitime par ailleurs : réduire les déficits publics.

lle est un facteur anxiogène, tout simplement parce qu’il faut réémettre une nouvelle dette chaque année afin de rembourser les dettes échues. Or, à l’évidence, la réduction du ratio « dette publique sur PIB » au niveau du début des années 2000 prendra des décennies.

Bien des économistes ont proposé des solutions, tentant toutes de résoudre le problème au niveau de la zone euro avec pour idée centrale la mutualisation des dettes, par le biais des euro-obligations, ou au moins celle de leur partie « acceptable ».

Jouer sur la durée

Une autre résolution, proposée par l’économiste Hélène Rey, consiste notamment à revoir la gouvernance de la zone euro et à financer la dette par des recettes à venir. Mais ces initiatives s’inscrivent toutes dans un contexte de risque de taux d’intérêts élevés, surtout dans les pays déjà très largement endettés.

Notre proposition est de nature différente, puisqu’elle s’applique à chacun des pays de la zone euro, dont la France. La voie que nous préconisons, et qui prend tout son sens dans cette période exceptionnelle de taux d’intérêt très faibles, est de jouer sur la durée des dettes.

Il s’agit en fait d’une voie ancienne, empruntée dès le XVIIIe siècle par le Royaume-Uni. La dette britannique fut en fait gérée largement à l’aide d’une dette perpétuelle, y compris, en partie, jusqu’au début du XXe siècle. En 1882, 88 % de la dette était pour une part majeure à long terme et financée à 3 %. Les bons du Trésor à 3 et 6 mois ne représentaient que 0,7 % de ce total. Rappelons que cette dette a représenté près de 250 % du produit intérieur brut britannique pendant un siècle… Cette tradition de gestion se maintient encore aujourd’hui en partie, puisque la durée moyenne de la dette britannique est le double de la française.

Aujourd’hui, un Etat européen doit allonger la durée de cette dette, notamment en émettant à beaucoup plus long terme. Il se trouverait alors confronté à un effet négatif et à un effet positif. L’effet négatif est une augmentation du coût de la dette, due à des taux d’intérêt plus élevés, puisque à plus long terme. Mais l’effet positif est que le montant des émissions à réaliser par la suite sera beaucoup plus faible.

Ainsi, on restreint de manière très sensible l’angoisse liée aux émissions répétitives d’emprunts importants, à l’incertitude sur les taux d’intérêt auxquels elles auront lieu, et au risque de subir une brutale hausse du coût de la dette en cas de hausse des taux d’intérêt. Il s’agit de modifier totalement l’approche actuelle de la gestion de la dette, sans pour autant remettre en cause la réduction des déficits publics.

Surcoûts

Concrètement, que donnerait cette stratégie pour la France ?

La durée moyenne de la dette française est de 7,8 années, et le taux d’intérêt moyen du stock de dette publique est de 2,18 %. Prenons pour hypothèse de croissance et de réduction des déficits celle retenue aujourd’hui par le gouvernement, soit un taux de croissance de 1,5 % à partir de 2018, une inflation de 1 % et un accroissement de la dette de zéro. Si l’on décidait que toutes les nouvelles émissions des trois prochaines années (180 milliards d’euros en 2015, 167 en 2016 et 152 en 2017) seront émises avec une durée soit de quinze ans, soit de trente ans, et que pendant les sept premières années nous y ajoutons 50 milliards du stock de la dette, on aboutirait aux résultats suivants.

Certes, le fait d’émettre pour une durée de vie plus longue entraînera un surcoût. Pour une dette à 15 ans, le surcoût serait d’un peu plus de 700 millions en 2015, 1 milliard pour 2016 et 900 millions pour 2017, et environ du double si l’on retient l’hypothèse à 30 ans. De tels chiffres pourraient conduire le ministre des finances à rejeter cette solution. Et pourtant, il aurait tort.

Car cette stratégie a des résultats autrement plus significatifs : elle élimine le caractère anxiogène de la dette et diminue de manière très significative les appels au marché : les nouvelles émissions seraient toutes inférieures à 100 milliards dans les huit années suivantes puis, par la suite, inférieures à 50 milliards. On le voit, le léger surcoût de départ est bien moins crucial que le fait de ne plus vivre face à un mur de dette à refinancer. Surtout, cela permet d’immuniser la dette française contre une remontée des taux.

Pourquoi alors ne pas profiter de l’incroyable faiblesse actuelle des taux à long terme pour éloigner, tout en maintenant l’objectif d’équilibre des comptes publics, cette épée de Damoclès qui pèse sur les générations futures ?

Jean-Hervé Lorenzi et Pierre-Xavier Prietto (Le Cercle des économistes)

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