Saluons la modernité créatrice des Ukrainiens !

La crise en Ukraine est prétexte depuis ses débuts à de nombreuses mystifications. Sur cette terre méconnue se répandent des fantasmes liés tour à tour aux relents « nazis », « fascistes » et « bandéristes » qui agiteraient la population, à la chasse aux sorcières à laquelle le nouveau pouvoir se serait livré à l'encontre des russophones, à l'incapacité du pays à décider de son organisation administrative, à la division supposée irréversible entre l'est et l'ouest…

La vérité, comme souvent, se cache pourtant bien dans les nuances. Malheureusement, sur certains blogs, dans certaines interviews ou tribunes, les raccourcis l'emportent sur une analyse froide et dépassionnée du sujet, probablement par manque de connaissance et de considération pour l'histoire tumultueuse de ce pays charnière. Et certainement par ignorance de ce qu'est l'Ukraine aujourd'hui, dans sa magnifique complexité.

Il faut dire, du côté français, que seule une poignée de chercheurs, spécialistes des relations internationales et journalistes accordait jusqu'ici une place à l'Ukraine dans leurs études et leurs productions. Maïdan a précipité le mouvement et Kiev semble enfin tenir sa position sur la carte du monde.

UNE ABSENCE COUPABLE D'IMAGES

Dans ce nouveau contexte, aussi incertain soit-il, le défi s'impose maintenant aux Ukrainiens d'apprendre à parler d'eux-mêmes. Car il y a là une absence coupable d'images et de représentations autres que celles bien connues liées à Tchernobyl et au blé blond – et désormais au soulèvement de Maïdan. Pour sortir de cette « zone grise » de l'imaginaire, nul autre choix que celui de combattre sur le champ culturel, entendu au sens large, en s'employant à intégrer les réseaux de diffusion européens et internationaux.

Dans l'urgence de la situation, la chaine de télévision 1+1 (propriété du milliardaire et gouverneur de l'Oblast de Dnipropetrovsk, Igor Kolomoyski) a ainsi lancé Ukraine Today pour contrer en anglais (et prochainement en russe) l'information diffusée par la chaîne d'information continue Russia Today. Outil de propagande comme tant d'autres, l'entreprise ne dit cependant pas grand-chose des enjeux de modernité auxquels est confrontée la population.

Cette modernité réside plutôt dans la solidarité, la créativité mais aussi l'humour et le sens de la dérision dont le peuple ukrainien a fait preuve depuis le début de la mobilisation en novembre 2013. Elle est incarnée par la jeune génération qui, née après 1991, revendique en ukrainien aussi bien qu'en russe le droit de déterminer elle-même le chemin qu'elle souhaite suivre.

DANSER, CHANTER, RIRE

Tournant le dos à des perspectives d'avenir cadenassées – qu'il s'agisse de la mainmise de Moscou ou des intrigues politiques de Kiev, ces jeunes accompagnés de leurs aînés veulent danser, chanter, rire et s'exprimer comme bon leur semble. A l'humiliation de la déroute, ils répondent par un saisissant regain patriotique laissant supposer que, enfin, oui, enfin, un sentiment de fierté nationale existe en Ukraine.

L'Ukraine est un terrain culturel à construire. Dans cette quête d'identité, dans cette nation en devenir, les relais manquent encore pour structurer le débat, mais les énergies débordent et des talents émergent pour porter la « voix » du pays au-delà des frontières.

Il y a peu, à Kiev, comme chaque année à la mi-septembre, le festival Gogolfest fédérait les dernières folies créatrices de son fondateur Vlad Troitsky et de bien d'autres artistes ukrainiens, russes et d'autres pays. Dans le joyeux désordre d'une ancienne énorme fabrique située à proximité du centre-ville, la jeunesse se retrouve là pour raconter une autre histoire que celle qu'on cherche à lui imposer. On pourra aussi se faire une idée de ce « renouveau culturel » ces jours-ci avec la sortie sur les écrans français du film de Myroslav Slaboshpytskiy, « The Tribe », plusieurs fois récompensé à Cannes.

A Kiev, les vieux démons ont la peau dure : le comité chargé de sélectionner le film ukrainien devant représenter le pays aux Oscars ont fait porter leur choix sur une production de seconde zone alors que l'œuvre de Slaboshpytskiy est saluée internationalement. Dommage, car s'il faut opposer une « nouvelle Ukraine » à la « Novorossia » débordante de Vladimir Poutine, c'est certainement dans ce type de réalisation qu'on en trouve la meilleure illustration.

Francky Blandeau, Ancien attaché culturel et directeur adjoint de l’Institut français d’Ukraine.

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