Parmi toutes les politiques malmenées par le nouveau budget européen, présenté par les Etats membres, se trouve Erasmus. C’est pourtant l’action qui symbolise sans doute le mieux, aux yeux des citoyens, l’idéal de la construction européenne. Immortalisé par le film de Cédric Klapisch l’Auberge espagnole, le programme Erasmus de mobilité des étudiants permet chaque année à quelque 200 000 d’entre eux (dont plus de 30 000 Français) de passer une partie de leur cursus dans un autre pays de l’Union et d’acquérir ainsi une formation professionnelle plus riche, des compétences linguistiques essentielles dans une économie globalisée, une ouverture d’esprit très recherchée par les employeurs. A travers cette formation, Erasmus permet de lutter contre le chômage et de développer la compétitivité économique.
Mais Erasmus, c’est bien plus que cela : c’est aussi un moyen de se familiariser avec les autres, de surmonter la tentation du repli national, d’apprendre des échanges transnationaux. Nos expériences professionnelles respectives - en tant qu’étudiante du Collège d’Europe, en tant que participant à l’un des premiers programmes Erasmus, ou à la tête d’un institut de recherche fondamentale créé spécifiquement pour redynamiser les échanges internationaux dans un monde dévasté par la guerre - nous ont appris le pouvoir de ces échanges ouverts et internationaux, qui donnent corps à l’idée de citoyenneté européenne. En ce qui concerne Erasmus, il suffit de constater le pourcentage de mariages binationaux chez les anciens étudiants de ce programme, et leur orientation professionnelle, pour apprécier sa contribution à la construction d’une véritable union européenne des citoyens qui, seule, pourra rendre légitime et durable une union politique.
Pourtant, le programme Erasmus actuel est déjà dramatiquement insuffisant. En 1999, les ministres ayant lancé le «processus de Bologne», celui de coopération destiné à créer un Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES), avaient fixé comme objectif que, d’ici à 2020, 20 % au moins de l’ensemble des diplômés de l’EEES aient effectué une période d’études ou de formation à l’étranger.
Nous en sommes fort loin. Un budget de moins de 500 millions d’euros par an (0,3 % du budget européen), une participation de seulement 4 % des futurs diplômés (très inférieure à la demande), des bourses de mobilité atteignant à grand-peine 250 euros par mois, y compris pour les étudiants les plus modestes. Avec des moyens aussi réduits, le succès relatif d’Erasmus est d’autant plus remarquable ! L’augmentation du budget Erasmus semblait s’imposer comme une évidence. A l’inverse, celui proposé par les chefs de gouvernement pour la période 2014-2020 est en diminution.
La Commission européenne, en novembre 2011, avait eu l’heureuse initiative de proposer un vaste programme «Erasmus pour tous» permettant d’investir dans l’éducation, la formation et la jeunesse, et celui-ci devait être approuvé par les gouvernements dans le futur budget de l’Union européenne. Jusqu’à 5 millions de personnes (soit 2 fois plus qu’actuellement) auraient eu la chance d’aller étudier ou de suivre une formation à l’étranger grâce à une bourse Erasmus pour tous. Les étudiants de master auraient bénéficié également d’un nouveau mécanisme de garantie de prêt créé en partenariat avec le groupe de la Banque européenne d’investissement (BEI). Le programme visait à promouvoir l’employabilité, la créativité et l’esprit d’entreprise non seulement chez les étudiants mais aussi chez les jeunes professionnels, les enseignants ou les éducateurs dont on sait le rôle qu’ils peuvent avoir pour développer le sentiment de citoyenneté européenne chez les jeunes. Ce projet sera-t-il enterré lui aussi ?
S’ils croient en l’avenir de l’Europe, les dirigeants de l’Union doivent se donner l’objectif de tripler le budget Erasmus pour tripler le nombre de bénéficiaires d’ici à 2020 : cet effort, modeste à l’échelle du budget européen, permettra de renforcer notre compétitivité économique et les perspectives professionnelles de nombreux jeunes, tout en donnant un nouvel élan citoyen à l’Europe. Et le montant de ces bourses devra être accru significativement, grâce à des mécanismescomplémentaires nationaux, afin que tout jeune qui le mérite puisse bénéficier de ce programme de mobilité unique au monde.
Sauver Erasmus, c’est miser sur la jeunesse et la formation professionnelle, sur les échanges comme ciment culturel et source d’enrichissement, c’est sauver l’esprit qui a présidé à la construction européenne, c’est en quelque sorte sauver l’Europe. Souhaitons que, puisqu’il en a les moyens depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen parvienne à remettre ce projet de budget Erasmus pour tous sur les bons rails de la construction européenne.
Par Martine Meheut, Vice-présidente du Mouvement Européen-France, Frédéric Sgard, Vice-Président de l’Association française pour l’avancement des sciences (Afas) Erasmus 1989, Cédric Villani, Mathématicien, directeur de l’Institut Henri-Poincaré, vice-président d’EuropaNova