Secteur bancaire : tout va très bien, madame la Marquise

La Banque centrale européenne (BCE) a tranché son dilemme sans grande surprise. A la satisfaction du marché financier, elle a choisi d’interpréter les résultats du bilan de santé du secteur bancaire européen avec beaucoup d’optimisme : aucune grande banque systémique n’est fragile, et l’économie réelle va donc pouvoir bénéficier de leurs bons et loyaux services… Dans un mélange d’autosatisfaction et d’autoconviction, l’exercice de communication auquel la BCE se livre depuis dimanche a été largement relayé par les banques et leurs représentants. Faut-il en rire ou en pleurer ? Ni l’un ni l’autre, car ce qui restera de cet exercice d’évaluation, c’est la formidable base de données qu’il nous a livrée, à partir desquelles il va être désormais possible de démontrer, qu’au contraire, tout ne va pas si bien, madame la Marquise, dans le secteur bancaire de la zone euro.

Que fallait-il en substance pour que les banques réussissent le test ? Qu’elles soient capables de maintenir un coussin de fonds propres supérieur à 8 % dans le scénario de référence dit « central » correspondant aux prévisions macroéconomiques de la Commission européenne. Que ce coussin reste supérieur à 5,5 % dans le scénario « stressé », qui prévoit une contraction prolongée de la croissance, une inflation faible et le maintien du niveau élevé de chômage actuel.

Règle prudentielle

Si l’on s’en tient à la mesure devenue standard du ratio de fonds propres (dit « CET1 », issu des accords de Bâle), 25 banques seulement ont échoué au test – dont 11 italiennes, 1 française et 1 allemande – mais de si petite taille qu’on s’en inquiète à peine, d’autant que 12 d’entre elles ont déjà fourni un effort de recapitalisation au cours de l’année 2014. Au final, c’est une grosse dizaine de banques qui devra présenter à la BCE, sous deux semaines, un plan de recapitalisation et qui aura 6 mois (en cas d’insuffisance de fonds propres par rapport au scénario central) ou 9 mois (en cas d’insuffisance de fonds propres par rapport au scénario stressé) pour le mettre en œuvre.

Mais que sait-on de cette mesure standard du niveau des fonds propres ? Comment évalue-t-on ce coussin de sécurité ? La chose est un peu technique : elle se prête donc mal au format des commentaires attendus. Elle mérite pourtant qu’on l’éclaire un peu. Conformément à la règle prudentielle en vigueur, les 8 % (ou 5,5 %) de fonds propres ne sont pas exprimés par rapport au total des actifs des banques, mais par rapport à ces mêmes actifs pondérés par leur risque (en anglais « risk weighted assets » – RWA). Depuis plusieurs années, le régulateur part en effet du principe – à première vue de bon sens – que tous les actifs ne présentent pas le même risque et qu’ils n’ont donc pas à supporter la même charge en fonds propres.

Mais là où le bât blesse, c’est que depuis Bâle 2, les banques ont la possibilité d’utiliser une approche dite « avancée », qui les autorise à calculer elles-mêmes le poids du risque de leurs actifs… Résultat, les banques calculent rationnellement ces pondérations au plus fin : les actifs pondérés par les risques représentent aujourd’hui entre un quart et un tiers – parfois moins, parfois plus, cela dépend des banques – des actifs totaux. Alors forcément, 5,5 (ou 8 %) de fonds propres en % des actifs pondérés par les risques, c’est une couverture en réalité beaucoup plus petite que ne le seraient 5,5 % (ou 8 %) de fonds propres en % des actifs totaux.

« Scénario stressé »

Or, la BCE nous a livré, avec cette évaluation de grande ampleur, des données permettant désormais de mesurer la différence entre ces deux types de couverture, en allant fouiller du côté de ce qu’on appelle le « ratio de levier » (« leverage ratio », en anglais) qui mesure précisément les fonds propres en pourcentage des actifs des banques sans pondération des risques. Ce ratio n’a pas la faveur des superviseurs européens ni celle du conseil de surveillance prudentielle de la BCE qui prendra ses fonctions le 4 novembre. Il n’a donc guère fait l’objet de commentaires dimanche 26.

Mais les données sont bel et bien là, et que révèlent-elles ? Avant même qu’on ne soumette leur bilan au « scénario stressé », 76 banques parmi les 130 évaluées ont moins de 5 % de fonds propres, en % du total de leurs actifs. Dont 20 banques allemandes parmi lesquelles la Deutsche Bank qui présente un ratio de levier de 2 %, bien inférieur à son CET1 de 9 %. Il y aussi parmi ces 76 banques pas moins de 10 établissements français, dont les 4 groupes systémiques (BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale, BPCE). Y figurent aussi 10 banques espagnoles et 10 banques italiennes qui, pour le coup, se sentiraient un peu moins seules !

Concrètement, lorsqu’une banque a moins de 5 % de fonds propres à son bilan, cela signifie qu’une perte supérieure à 5 % suffit à provoquer son insolvabilité. Autrement dit, si le prix des titres détenus au bilan de la banque vient à chuter ou que les prêts non performants sont plus importants que prévu et provoquent une perte de plus de 5 % de la valeur du bilan, c’est la faillite. 76 banques de la zone euro sont dans ce cas !

Voilà le genre d’éclairage que permet l’exploitation de la formidable base de données dont nous disposons désormais. Que la BCE en soit louée pour cela ! Et que les déposants se rassurent, leurs dépôts sont garantis jusqu’à 100 000 euros par banque (et par déposant). Mais qu’ils s’inquiètent tout de même un peu, car ils sont aussi généralement contribuables, et nous ne sommes pas à l’abri d’une prochaine crise bancaire. Ce n’est pas ce que nous a dit la BCE dimanche, mais c’est ce que démontrent certaines des données qu’elle a mises à notre disposition.

Par Jézabel Couppey-Soubeyran, Université Paris-I, Ecole d’économie de Paris.

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