Seules les politiques de long terme pourront lutter efficacement contre le terrorisme

Le terrorisme vient encore de frapper un aéroport et un métro. Le politique est inévitablement pris dans le piège que constituent ces attaques. Ne rien faire est médiatiquement et politiquement impossible : c’est forcément être accusé de laxisme, de passivité ou d’irresponsabilité. Face à l’effroi et à la terreur, les gouvernements doivent montrer qu’ils prennent toutes les mesures qui s’imposent pour assurer la sécurité des citoyens. L’Etat est sommé de réagir.

Schématiquement, on peut envisager trois formes d’action : à court, moyen et long terme.

A court terme, ce sont les mesures visibles par l’opinion publique qui sont prises : barrières et contrôles. On se dit que cela rassure et que cela pourra toujours en freiner quelques-uns. Le problème est que ces premières réactions des autorités sont enfermées dans une conception tronquée des risques.

Comme l’ont souligné de nombreux experts, la transposition de la sécurité aéroportuaire aux gares ferroviaires est impensable car trop coûteuse : les flux de voyageurs sont trop importants, et sécuriser un point du réseau nécessite de sécuriser tous les accès à ce réseau. L’attaque de l’aéroport de Zaventem est édifiante : c’est bien dans la zone publique de l’aéroport (donc avant les contrôles) que les explosions ont eu lieu.

Mais on touche là la limite intrinsèque d’une logique sécuritaire qui repose uniquement sur l’ici et le maintenant, une logique du château fort qui ne propose que contrôles et barrières alors que les cibles et les assaillants sont mobiles. Elle est vouée à l’échec car elle ne fait que déplacer la cible des attaques.

Mesures risibles et détestables

On voit déjà fleurir les propositions d’étendre les contrôles aéroportuaires à l’entrée même des aérogares. Mais personne n’est dupe. Une fois la zone protégée agrandie, ce seront les abords de cette zone qui deviendront cibles : les files d’attente devant les aérogares, les trains menant à l’aéroport, puis les rues même de la ville. C’est d’ailleurs déjà le cas.

On voit bien les limites de cette logique de la barrière. Si l’on élargit la zone protégée, l’attaque se déplacera en zone non protégée. Dans cette logique, la seule riposte efficace est soit d’arrêter de prendre l’avion et le train, soit de transformer toutes nos villes en aéroport. Comme cela est impossible, on nous proposera, avant, de rétablir les frontières, de refuser tous les migrants (comme vient de l’annoncer la Pologne) et d’accepter le PNR (comme vient de le proposer B. Cazeneuve). Ces solutions sont une aporie sécuritaire. Barrières et contrôles ne peuvent être efficaces face à des individus qui sont prêts à mourir pour tuer.

Mais ne supposons pas trop vite que ceux qui nous gouvernent soient dupes : ils savent que les mesures qu’ils proposent sont limitées et que les forces de sécurité sont déjà saturées. Cependant, leur position de représentants les oblige (du moins le croient-ils) – en raison du temps médiatique qui privilégie le court terme et coût électoral redouté de l’inaction – à proposer des solutions immédiates et visibles.

En plus des mesures sécuritaires, les politiques nous assènent de mesures symboliques tout aussi risibles et détestables. Après le fiasco sur la déchéance de nationalité prônée par le gouvernement, Nathalie Kosciusko-Morizet ressort une rengaine de la droite sur la « perpétuité effective » pour les auteurs d’actes terroristes. Qui peut croire que des gens prêts à mourir seront arrêtés par la perspective de sanctions, aussi sévères soient-elles ? Ces propositions permettent surtout d’occuper l’espace médiatique.

Renseignement humain

A moyen terme, et de manière plus sérieuse, on insiste sur les besoins du renseignement. Il est évident que l’on ne peut se passer de cette surveillance des personnes dites radicalisées. Mais plusieurs limites freinent ce travail.

Tout d’abord, ce sont de moyens humains et financiers dont les services ont besoin, bien plus que d’un arsenal juridique renforcé.

Ensuite, le retour à un renseignement humain plus que technologique n’est pas à négliger : l’infiltration des réseaux radicalisés est nécessaire, bien que difficile.

Enfin, la surveillance de masse est un leurre, autant pour ceux qui la prônent que pour ceux qui la critiquent. Les services de renseignement disposent à la fois de trop et de pas assez de données. Trop parce que les capacités de traitement sont limitées face au volume de données que permet la surveillance électronique – et c’est paradoxalement ce qui nous en protège en partie. Pas assez car le faible nombre d’actes terroristes empêche toute généralisation statistique, toute objectivation, toute « algorithmisation ». A défaut d’avoir une cible claire, le risque est alors de s’en créer une.

Incertitude et risque

Seules les politiques de long terme pourront lutter efficacement contre le terrorisme. Car on n’empêche pas un homme de se donner la mort à coups de barrières, de contrôles et de fichiers. S’intéresser aux causes de l’endoctrinement des terroristes, c’est tout de suite s’attaquer à des enjeux plus complexes : la désaffiliation sociale, la précarité économique, le fait religieux, l’engagement international du pays, etc. Or lutter contre la radicalisation, mener des politiques qui favorisent l’intégration et changer de politique étrangère ne sont pas des mesures médiatiquement et politiquement rentables.

Les autorités agissent là où elles pensent avoir prise. Elles envisagent le risque ici et maintenant et renoncent à comprendre ses causes profondes pour se concentrer sur son actualisation catastrophique : le passage à l’acte. Ainsi, afin de donner l’impression d’une reprise en main sur le terrorisme, on le considère de plus en plus comme un « risque » et non plus comme une « incertitude ».

Le risque est ce qui est bien identifié, associé à l’occurrence d’un événement descriptible, alors que l’incertitude concerne les situations non maîtrisables selon cette logique, c’est-à-dire impossibles à probabiliser. En passant de l’incertitude au risque, on évacue le caractère intentionnel de ces attaques, on fait fi de tout ce qui précède le passage à l’acte. Or, c’est là que réside l’essentiel. Cette vision tronquée privilégie le court terme au détriment du long terme. Barrières, contrôles et fichiers ne sont pas inutiles. Mais croire qu’ils sont suffisants, c’est se leurrer sur la nature du problème.

Le terrorisme met en cause la capacité de l’Etat à assurer la sécurité de ses citoyens. Ne pouvant l’avouer, l’Etat se couvre : il aura montré qu’il a mis tout en œuvre.

Florent Castagnino est doctorant en sociologie au Laboratoire techniques territoires et sociétés (Ecole des ponts ParisTech, CNRS, UPEM)

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