Si la menace terroriste perdure, elle peut compromettre la croissance économique

Les pertes humaines et les destructions causées par les attentats terroristes sont largement commentées dans les médias , mais les pertes économiques sont moins souvent évoquées – probablement parce que les aborder paraîtrait un trait de cynisme ou d’insensibilité. Chaussons pourtant un moment les lunettes de l’économiste pour voir plus clairement ce que le terrorisme peut produire sur l’économie d’un pays, au-delà du drame humain.

D’abord, il y a ce qui peut être appelé les coûts directs : les dégâts matériels et les victimes constituent aussi une perte de capital physique… et humain. La perte de ces moyens de production engendre de fait de nouveaux investissements, des coûts d’adaptation, de coordination et de recrutement, tous inattendus pour un employeur. A titre d’exemple, les attentats du World Trade Center en 2001 ont coûté près de 8 milliards de dollars en termes de pertes de capacité humaine de production potentielle. Ramené au nombre de vies perdues dans les événements de Paris, avec des hypothèses similaires d’espérance de vie et de salaire moyen à celles des occupants des tours jumelles de New York, le chiffre estimé avoisinerait alors les 280 millions d’euros.

Mais le terrorisme frappe aussi indirectement les économies concernées de trois manières différentes. Premièrement, et à très court terme, les effets psychologiques du terrorisme peuvent produire un effet sur la demande de biens de consommation, de tourisme et de transport dans une économie. Les acteurs financiers l’ont bien intégré : la chute des valeurs boursières, dès l’ouverture de la Bourse de Paris le lundi 16 novembre au matin, a été très limitée, mais celle directement liée aux entreprises fournissant ces services a été bien plus forte (− 6 % pour le groupe hôtelier Accor et − 5 % pour Air France-KLM). Cependant, les économistes observent un rattrapage rapide de la demande dans les économies frappées, dès lors que les incidents ne se répètent pas. La résilience semble être d’autant plus forte que les économies ont de bonnes institutions et un fonctionnement des marchés plus réactif, permettant de réallouer les ressources de manière à absorber le choc terroriste plus facilement.

Perte sèche

Deuxièmement, à moyen et long terme, dès lors que la menace persiste, avec la multiplication d’événements terroristes dans une économie donnée, ces coûts ponctuels finissent par prendre la forme d’une perte sèche pour l’économie. En effet, l’incertitude créée pousse d’abord les investisseurs à reporter leurs projets d’investissement à cause d’une moindre rentabilité espérée à moyen terme. Une étude récente, fondée sur 186 pays en 2004, a montré qu’un accroissement, même d’ampleur moyenne, du risque terroriste réduisait la part de l’investissement étranger dans le produit intérieur brut (PIB) de 5 %. Au-delà de ces effets de l’incertitude, la menace constante d’incidents provoque une augmentation des coûts de transaction : la répétition d’actes terroristes au large des côtes du Yémen en 2001 et 2002 contre deux bateaux, un américain puis un français (USS Cole et Limburg), a, par exemple, accru la prime de risque des assureurs maritimes de 300 %, sans compter l’augmentation du coût des mesures de sécurité que ces actes ont provoquée.

En effet, les mesures de sécurité et de prévention mises en place par les autorités aux frontières (comme les politiques d’allocation de visas aux hommes d’affaires, les procédures de contrôle des cargos, etc.) produisent aussi des coûts de transaction susceptibles d’affecter le commerce extérieur d’un pays. Ainsi, les économistes ont pu observer puis quantifier la perte de flux commerciaux que la protection aux frontières induit entre les pays victimes d’attentats et les pays hôtes de cellules terroristes, puis avec les voisins de ces derniers – car dès lors que les pays voisins sont aussi susceptibles d’accueillir des cellules terroristes, ils sont visés par des mesures sécuritaires de même ampleur. Ainsi, nous avons pu montrer qu’en moyenne les actes terroristes produisaient l’équivalent d’une taxe douanière de l’ordre de 1 à 2 % sur les produits importés des pays où le groupe terroriste concerné est actif, mais aussi des pays voisins. Ce taux pouvait atteindre 8 à 15 % dès lors que des incidents répétés sont observés (« Terrorism Networks : Does the Neighbour hurt ? », Document de travail n° 7946, Centre for Economic Policy Research).

Un impact de moyen-long terme

En troisième lieu, les nouvelles mesures sécuritaires et autres politiques de prévention contre le terrorisme représentent autant de ressources que l’économie doit financer. Ce financement peut être demandé au contribuable, soit sous la forme d’un impôt nouveau, ou alors pris sur d’autres postes budgétaires. Des économistes américains ont calculé que le budget cumulé spécifique au seul combat contre le terrorisme entre 2002 et 2011 avoisinait les 580 milliards de dollars, l’équivalent de 3 à 6 % du budget fédéral annuel des Etats-Unis.

Tous ces éléments doivent être pris en compte pour estimer l’impact des attentats sur la croissance d’un pays. Plus précisément, c’est la répétition des actes de forte intensité (ou la menace permanente de ces actes) qui peut produire un impact de moyen-long terme sur l’économie. A titre d’exemple, des économistes ont quantifié l’effet de la répétition des attentats sur l’économie du Pays basque par rapport à celles de régions espagnoles comparables : ils montrent un différentiel de croissance de dix points du PIB par habitant en défaveur du Pays basque sur une période de près de trente ans (début 1970-fin 1990).

Depuis le début de l’année 2015, la menace terroriste s’est intensifiée en France. Si elle perdurait, elle pourrait compromettre la croissance de notre pays, qui commençait à montrer des signes de sortie de crise.

Daniel Mirza (Professeur de sciences économiques à l’Université de Tours, chercheur au Laboratoire d’économie d’Orléans et au CEPII (Paris)).

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