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Six mois pour une indépendance bâclée (1/10)

Six mois pour une indépendance bâclée

Premier épisode : Le 20 janvier 1960, coup de théâtre à l’ouverture de la Table ronde : les Congolais font « front commun »

Journal de l'indépendance : janvier 1960 - La table ronde
Fin novembre 1959, le ministre du Congo et du Ruanda Urundi annonce la réunion d’une Table ronde politique, à Bruxelles. Il s’agira de négocier les contours de l’indépendance et la transition. Les représentants du gouvernement et du parlement belge se retrouveront devant des délégués congolais représentatifs, sans précisions. La Table ronde s’ouvre le 20 janvier 1960. Les Belges s’attendent à piloter la négociation, mais non, les Congolais forment un front commun, et imposent leur dynamique. En réalité, c’est la fuite en avant. Quelques jours plus tard, les Congolais obtiennent une date pour leur indépendance… au rythme d’une chanson mythique créée à Bruxelles, pour l’occasion : Indépendance cha cha… Un reportage de François Ryckmans. Réalisation : Eric d'Agostino. Assistante : Olga Stameschkine. (du 20/01/2020)

Au Palais des Congrès, ce mercredi 20 janvier, la salle Europe, à l’Albertine, est pleine à craquer pour un évènement exceptionnel : la Table ronde de Bruxelles est solennellement ouverte par un discours du Premier ministre, Gaston Eyskens. Quatre longues tables avec tapis amarante… Face à face : pour les Congolais, les 43 délégués des partis politiques ; pour la Belgique, les 20 délégués du gouvernement, du Parlement et des partis politiques. La Table ronde politique dure un mois ; elle va décider la date de l’indépendance et définir le contour des institutions du futur Congo indépendant…

Les officiels belges croient maîtriser la négociation… Non ! Les Congolais créent leur " Front commun ". Leur stratégie bouscule l’ordre des travaux face à des Belges hésitants, sans vision commune, et même souvent divisés !

Les délégués des partis congolais sont logés à l’hôtel Plaza, boulevard Adolphe Max, à deux pas de la Place Rogier. Ils retrouvent à Bruxelles les étudiants congolais inscrits dans les universités belges, qui s’inquiètent des divisions entre leurs délégués. Les étudiants les invitent à une réunion, le soir du 18 janvier, dans les locaux de Présence africaine, un mouvement panafricain, rue Belliard. Les délégués congolais y décident de constituer un " front commun ". L’objectif est d’obtenir " l’indépendance immédiate dans l’unité du pays ", et de définir au préalable la compétence de la Table ronde.

La constitution du Front commun permet aux partis congolais de ne pas s’affronter ou de se lancer dans la surenchère entre eux ; c’est surtout pour eux la meilleure garantie de rentrer au Congo avec les meilleurs résultats possibles…

Le ministre du Congo, Auguste De Schryver
Le ministre du Congo, Auguste De Schryver

Côté belge, plusieurs parlementaires et quotidiens belges insistent : la Table ronde doit être purement consultative. Le ministre du Congo, Auguste De Schryver, parle lui de " recommandations " dont " le gouvernement s’inspirerait ", si les conclusions sont " constructives et valables ". Les six ministres belges à la Table ronde ne se sont apparemment pas concertés avant la Table ronde. Ils apprennent la formation du Front commun congolais lors d’une réception, le soir du 19 janvier !

La table ronde, consultative ou souveraine ?

D’emblée, dès le 20 janvier, Joseph Kasa-Vubu, de l’ABAKO, parti dominant dans la province de Léopoldville (la capitale, aujourd’hui Kinshasa), à l’ouest du Congo, prend la parole. Il préside le front commun. Kasa-Vubu exige du vice-Premier ministre libéral Albert Lilar, qui préside la Table ronde, une réponse claire : Table ronde consultative ou décisionnelle ? C’est après avoir déterminé cela qu’on saura si la conférence peut avoir lieu ou non… Nous sommes ici pour trancher toute la palabre. Le débat de procédure dure deux jours, et le ministre du Congo, August De Schryver, social-chrétien, recule pied à pied. Le socialiste Albert Housiaux indique que le gouvernement peut s’engager politiquement : applaudissements des Congolais ! Finalement, le ministre cède et prend l’engagement " moral " et " politique " que les projets du gouvernement soient soumis immédiatement au Parlement et soient " conformes " aux conclusions de la Table ronde… Le ministre du Congo promet sa démission s’il n’est pas suivi, et le vice-Premier ministre Lilar ajoute qu’il y aura solidarité ministérielle. Bref, les décisions seront quasi entérinées obligatoirement : la question est tranchée. C’est la première victoire du Front commun congolais.

Pour les Congolais, une indépendance "immédiate…"

Sur la date de l’indépendance, deux logiques s’affrontent, avec une divergence radicale.

Deuxième coup de théâtre, dès le 20 janvier : pour les Congolais, en front commun, la Table ronde doit fixer la date de l’indépendance avant son contenu. L’agenda de la Table ronde est bouleversé. Joseph Kasa-Vubu, dont le parti est le premier à avoir revendiqué, dès fin 1956, une indépendance immédiate, avance que la Table ronde doit se contenter de constituer un gouvernement provisoire et organiser la passation automatique des pouvoirs. Pour lui, c’est l’affaire de deux ou trois jours… Tout le reste, précise Kasa-Vubu, c’est l’affaire des Congolais. Vous croyez que vous nous donnez l’indépendance, mais l’indépendance est acquise.

Le point de vue des Congolais est simple à comprendre : pour eux, le principe de l’indépendance est déjà acquis ! C’est une évidence pour eux, depuis que le roi Baudouin a annoncé l’indépendance, un an plus tôt, en janvier 1959, après le soulèvement de Léopoldville. Une annonce confirmée ensuite, comme l’explique l’historien Léon de Saint-Moulin, de l’Université de Kinshasa :

Lors de la Table ronde, la seule chose qui sera discutée, c’est : l’indépendance, à quelle date ? Les Congolais ont fait front commun, il fallait l’indépendance, et d’ailleurs le ministre du Congo leur avait déjà dit qu’il était prêt à l’octroyer. Donc, effectivement, il y a eu une précipitation ensuite…

Pour les Congolais, il ne reste qu’à fixer une date !

Délégués Congolais en discussion
Délégués Congolais en discussion
… et pour les Belges, les structures du Congo indépendant

Le ministre belge veut, lui, que la Table ronde définisse d’abord les structures politiques du Congo, aborde ensuite les problèmes politiques, et se mette d’accord enfin sur un calendrier. Dès le 25 janvier, les délégués congolais exigent une indépendance " immédiate ". C’est une position tactique : Joseph Kasa-Vubu glisse aux leaders congolais :

Les Belges ne sont pas fous. Ils ne vont pas nous donner l’indépendance sur-le-champ !

La décision sur la date est acquise dès le 27 janvier. Le Front commun congolais mène le jeu.

Patrice Lumumba en prison ? « Il devrait être ici », à Bruxelles !

Troisième coup de théâtre, le 21 janvier : les délégués congolais exigent la présence de Patrice Lumumba à la Table ronde. Patrice Lumumba est le grand absent, son ombre plane sur les travaux… Le même jour, en effet, le futur Premier ministre congolais est condamné à six mois de prison avec arrestation immédiate après de graves incidents à l’occasion d’un meeting de son parti, le MNC – Lumumba, à Stanleyville (aujourd’hui Kisangani), fin octobre 1959. L’émeute et la répression avaient fait 20 morts et plusieurs dizaines de blessés… Patrice Lumumba est aussitôt transféré en prison à Jadotville (Likasi aujourd’hui), au Katanga. Toutes les délégations congolaises, soutenues par les socialistes belges, prennent position pour sa libération, même si certains indiquent qu’ils ne partagent pas toutes ses positions politiques. Joseph Kasa-Vubu lance : Certains qui devraient être ici sont en prison.

Les délégués congolais savent tous le poids politique de Patrice Lumumba, même si son parti est affaibli après s’être déchiré en deux ailes. Ils ne veulent pas l’abandonner à son sort, seul contre tous, sans le défendre. Réalisme politique oblige : ils ont surtout conscience que conclure un accord sans lui serait un grand risque politique et de surenchère s’il le désavouait après coup. Sa présence empêchera ensuite toute mise en cause de sa part. Le socialiste Albert Spinoy appuie la demande de libération.

Le ministre du Congo rappelle d’abord la séparation des pouvoirs mais s’apprête à désavouer l’administration coloniale. Une décision politiquement logique et explicable, mais qui aura des conséquences ! Le gouverneur général du Congo, Henri Cornelis, s’oppose : " Impossible de désavouer la magistrature ", mais ce sera en vain, et le gouverneur général conclura à raison qu’il n’avait " finalement plus rien en mains ". Patrice Lumumba est libéré le 24, à la grande fureur de certains milieux coloniaux. Le ministre l’annonce le 25. Le 27 janvier, Patrice Lumumba est délégué à la Table ronde.

Kasa-Vubu claque la porte et « disparaît »

Dernier coup de théâtre, à l’issue de la session du 25 janvier : Kasa-Vubu claque la porte ! Il vient d’exiger que la Table ronde adopte la future Constitution du Congo indépendant, en tant que constituante. Sur ce point, Sur ce point, le ministre De Schyver ne cède pas. II fait valoir que les délégués congolais ne sont pas élus : ils n’ont donc pas de légitimité pour cela. Joseph Kasa-Vubu se retire parce que son exigence de constituante a été rejetée, mais sans doute aussi parce qu’il ne comprend pas que les officiels belges cèdent si rapidement. Il redoute une manœuvre et même un piège des Belges. On le cherche, mais personne ne sait où il " se cache "… Son absence de plusieurs jours pèsera sur les travaux : les officiels belges craignent en fait que sa région, le Bas-Congo, proclame l’indépendance unilatérale. Ils espèrent son retour à la Table ronde ; il y reviendra avant la fin des travaux.

Joseph Kaso-Vubu
Joseph Kaso-Vubu
Patrice Lumumba
Patrice Lumumba
Kasa-Vubu et Lumumba, deux parcours croisés…

Joseph Kasa-Vubu prend des positions radicales au début de la Table ronde, ce qui irrite certains officiels belges, qui ont moins de réserves envers Patrice Lumumba.

Ceci s’explique par deux parcours différents : Patrice Lumumba cherchait au départ à être un " évolué ", admis par la société coloniale. Il a obtenu le statut d’" immatriculé " et dispose de droits mineurs certes, mais supérieurs à ceux des autres Congolais. Il demande au roi Baudouin, lors de son voyage au Congo, en 1955, des droits étendus pour eux seuls, et pas pour tous les Congolais. Kasa-Vubu est un nationaliste de la première heure. Son parti exige l’indépendance totale dès 1956 et prend régulièrement des positions très dures contre le pouvoir colonial.

L’historien Jean-Marie Mutamba décrit cette évolution : Si on se place en 1956 et qu’on entend le discours tenu par les deux personnalités, Lumumba paraît à ce moment-là vouloir nettement être un collaborateur des Belges. Lumumba veut être un ami des Belges. Kasa-Vubu, lui, se met du côté des Congolais. Lumumba, lui, se voit " assimilé ", il se met du côté des Belges. Mais Lumumba va évoluer très vite grâce aux contacts qu’il a pu prendre au congrès d’Accra, où il est allé. Lumumba va ensuite devenir de plus en plus radical. Tandis que Kasa-Vubu paraît, alors, c’est vrai, comme quelqu’un de modéré par rapport à Lumumba qui, lui, monte en flèche.

A son retour du congrès panafricain d’Accra, au Ghana, Patrice Lumumba change radicalement de discours. Lors du premier meeting politique du Congo, à Léopoldville, le 28 décembre 1958, devant 7 à 10.000 personnes, selon les sources, il exige l’indépendance comme un droit et non pas un cadeau à obtenir en 1960. Une semaine plus tard, la cité noire se soulève.

Enfin, le MNC de Patrice Lumumba est unitariste, Kasa-Vubu et l’ABAKO sont fédéralistes. Beaucoup de responsables belges, soucieux de l’unité du pays, ont dès lors soutenu les partis unitaristes plutôt que les partis " régionaux " qui prônent un système fédéral.

Table des délégués Congolais
Table des délégués Congolais

A la Table ronde, on assiste à la même évolution : Kasa-Vubu, en position radicale au départ, quitte la conférence avant l’arrivée de Patrice Lumumba. Ce dernier paraît plutôt hésitant le jour de son arrivée, avant de s’affirmer nettement. Les deux hommes participeront tous deux aux derniers travaux.

En Belgique, beaucoup de responsables politiques, et la majeure partie des médias et de la population considéraient jusque-là les Congolais comme de " grands enfants ". Ils découvrent que les responsables congolais ont pris des positions fermes et intelligentes, avec une excellente stratégie, sans se les faire imposer par l’extérieur ni se faire manipuler.

Face aux Congolais, les partis politiques belges sont divisés. Les socialistes, dans l’opposition, ont à plusieurs reprises soutenu les positions congolaises. Le ministre du Congo a dû souvent se résoudre à concéder, pour éviter un blocage ou un échec majeur.

François Ryckmans


Autour de la table…

La Belgique est représentée par 20 délégués, du gouvernement, des parlementaires et les trois grands partis, y compris de l’opposition. Les communistes sont rejetés sèchement par le ministre du Congo : Vous autres, pas question ! Les ministres belges sont assistés par de nombreux conseillers.

Le Congo est représenté par les délégués considérés comme " interlocuteurs valables " des partis considérés comme " importants " (termes utilisés par le ministre) et par des " chefs coutumiers " (l’autorité " traditionnelle ", mais sans pouvoir réel) : au total, 44 délégués et 38 suppléants. Mais qui choisir, sans qu’on connaisse le poids politique des partis et donc leur représentativité ? La répartition a fait l’objet de calculs étranges…

Finalement, le ministre met à égalité les " nationalistes " et les " modérés ". Du coup, le MNC (Mouvement National Congolais) de Lumumba, pourtant puissant dans son fief, n’a que deux, puis trois délégués, comme la puissante Abako, alors que le PNP (Parti National du Progrès), considéré comme collaborateur du pouvoir colonial et peu populaire, est présent avec 11 délégués !

Les experts belges : Ces experts sont choisis par les délégations congolaises. Parmi eux, des personnalités marquantes comme le journaliste Jules Gérard-Libois, fondateur du CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politiques) et le professeur Jef Van Bilsen, proche de Joseph Kasa-Vubu, auteur en 1955 du Plan de 30 ans pour l’émancipation du Congo, un plan rejeté avec fracas par quasi tous les responsables belges de la colonie et de la métropole. On y retrouve aussi François Perin et Henri Simonet, futurs ministres, Ernest Glinne, futur parlementaire, l’avocate Anne Spitaels-Evrard, les professeurs Arthur Doucy et Paule Bouvier (ULB), le juriste Cyr Cambier. Le journaliste communiste Jean Terfve, dont le parti est exclu de la Table ronde, sera finalement en séance – à la grande irritation du ministre De Schryver – pour assister un parti congolais radical, le CEREA d’Anicet Kashamura. Il y a un seul expert congolais, un étudiant qui conseille le MNC-Lumumba.

Le rôle des experts : Les conseillers ne sont pas nécessairement proches des positions politiques du parti qu’ils assistent, mais soutiennent discrètement et loyalement les délégués congolais. Mme Evrard décrivant pour la plupart un recrutement assez accidentel, souvent à partir de liens de connaissance. Les conseillers belges ont un rôle important, mais plutôt technique. Ils ne définissent pas les lignes politiques.

Une exception notoire : M. Humblé, représentant des colons belges du Katanga, assiste Moise Tshombe de la Conakat en lui transmettant sans cesse des billets dont Tshombe reprenait le contenu en les lisant lors de ses prises de parole. Jules Gérard-Libois parle carrément d’un souffleur. Cela provoquera un vif incident avec Patrice Lumumba, qui déclarera : " Il faut regretter les influences très occultes […] [le] jeu de coulisses de certains conseillers européens qui servent les intérêts de groupes financiers ou de puissances étrangères, au lieu de se préoccuper du Congo ". Patrice Lumumba demande après cet incident que les conseillers belges quittent la salle.

La formule des conseillers, finalement, convenait bien au ministre du Congo et à de nombreux dirigeants belges : elle pouvait préfigurer la décision politique du futur Congo indépendant, avec des ministres et responsables " assistés " par des conseillers belges !

Enfin, dans les couloirs de la Table ronde, on retrouve des personnes qui jouent un rôle d’influence, comme Jean Van Lierde, militant anticolonialiste et ami de Patrice Lumumba, Jacques Marres, avocat de Patrice Lumumba, ou encore les Congolais Thomas Kanza et… Joseph Désiré Mobutu.

1959 : Une année d’" atermoiements funestes "

Le 4 janvier 59 : le soulèvement de Léopoldville

La revendication d’indépendance est lancée à partir de 1956 par plusieurs partis congolais.

Décalage : du côté des Belges, il faut attendre le soulèvement de Léopoldville, en janvier 1959, à l’occasion d’un meeting de l’Abako interdit dans la confusion par les autorités coloniales…

ICI LIEN VERS SITE INTERNET RTBF ARTICLE DU 4 janvier 2019

Lire aussi : Il y a 60 ans, au Congo belge, le soulèvement de Léopoldville

https://www.rtbf.be/info/monde/detail_il-y-a-60-ans-au-congo-belge-le-soulevement-de-leopoldville?id=10110666

La presse belge minimise le soulèvement. On est pourtant bien loin d’une " émeute " provoquée par des " agitateurs " : 200.000 Congolais sur les 350.000 de la cité noire sont arrêtés à la limite de la ville européenne d’abord par la police, puis par l’armée congolaise, enfin par l’armée belge. Le soulèvement, et surtout sa répression, fera 50 morts officiellement, mais probablement plus de 300 morts, avec des cadavres enterrés clandestinement. Il marque la fin du mythe d’une " colonie modèle " et consacre une rupture décisive : la radicalisation et la méfiance chez les Congolais, l’incompréhension et la peur chez les Belges, au Congo et en Belgique. L’opinion belge, mal informée, n’avait aucune idée du développement rapide du nationalisme congolais.

Le message du roi Baudouin

Le roi Baudouin à la radio, le 13 janvier 1959, notre résolution de conduire, sans atermoiements funestes, mais sans précipitation inconsidérée, les populations congolaises à l’indépendance. " Indépendance " : le mot est lâché !

Un plan de réformes en préparation depuis plusieurs mois est enfin annoncé, après plus de dix ans d’immobilisme politique, mais le texte est flou et ambigu. Les Congolais n’ont pas été même consultés, et plusieurs partis congolais le rejettent. Le journal Congo réagit : Veut-on faire le Congo sans les Congolais ? Quand cessera ce paternalisme ?

Le 17 août, les partis politiques congolais sont officiellement autorisés, la liberté de la presse et de réunion est accordée.

Crise politique à Bruxelles

Une première crise politique s’ouvre alors. Le ministre des Colonies, Maurice Van Hemelrijck fait plusieurs voyages au Congo. Il multiplie les initiatives. Il rencontre du coup l’opposition croissante des milieux coloniaux, et surtout celle des colons installés durablement, qui le jugent trop progressiste. En Belgique, plusieurs ministres s’opposent ouvertement à lui, et le Premier ministre Eyskens lui-même se distancie de certaines de ses prises de position. Il démissionne en septembre 1959. Il est remplacé par Auguste De Schryver, perçu comme plus diplomate. Les Belges parlent alors d’un gouvernement provisoire et de l’indépendance en 1963 ou 1964 !

Entre-temps, la situation se dégrade dans la colonie

Les partis congolais s’engagent dans une surenchère des revendications.

Plusieurs régions basculent dans l’instabilité

Dans la province de Léopoldville, le parti Abako met en place une police et une justice parallèle, des manifestations tournent à l’émeute, le refus de l’impôt est généralisé et les élections provinciales sont massivement boycottées. En province Orientale également, les incidents se multiplient, et la désobéissance civile s’étend. A partir d’octobre, de graves violences intercommunautaires éclatent au Kasai, où trois territoires passent sous administration militaire coloniale.

Les partis politiques, jusqu’ici phénomène urbain, se créent ou s’étendent dans les grandes régions rurales.

Le pouvoir colonial s’effrite rapidement. De nombreux administrateurs territoriaux se disent désemparés et découragés. La Force publique (l’armée congolaise, chargée également comme gendarmerie du maintien de l’ordre) commence à montrer des failles, avec des refus d’obéir à certains officiers blancs.

Certains partis boycottent les élections provinciales, avec succès. Exemple : à Matadi, le grand port du Bas-Congo, le mot de l’ordre de l’Abako est bien suivi : 311 électeurs sur 12.000 ! D’autres partis participent aux élections, comme le MNC-Lumumba : son leader est en prison, il recueille 90% des voix !

Le Congo en grave difficulté économique

Le déficit budgétaire de la colonie se creuse très rapidement – on parle, pour la première fois ! – de subsidier la colonie à la hauteur de 5 à 6 milliards de francs par an. Outre les difficultés de trésorerie, les cours des sociétés coloniales s’effondrent en Bourse, et l’exode des capitaux augmente. La souveraineté belge allait, pour la métropole, avoir un coût plus élevé que l’indépendance !

L’idée d’une table ronde est lancée par un parti congolais. Fin novembre, finalement, le parti socialiste belge fait pression et impose la formule au Parlement. Le ministre du Congo prend acte et annonce une " grande conférence " en janvier 1960.

Décembre 1959 : le voyage surprise du roi au Congo

Le 16 décembre, le roi Baudouin part pour le Congo ; quasi-personne n’est prévenu, c’est la stupeur à Bruxelles. Le roi avait marqué les Congolais lors de son voyage de 1955, par ses appels à de " nouvelles relations " entre Congolais et Belges du Congo, mais ce sera ensuite la déception devant l’immobilisme colonial.

Le roi est convaincu que sa présence fera l’apaisement et refera l’unanimité. Un incident grave éclate à Stanleyville. La population croit à la rumeur : Baudouin est venu libérer Lumumba ! Le roi n’en parle pas à son arrivée. La foule en colère se rassemble devant la prison, persuadée que les Belges de Stanleyville l’ont empêché de " libérer Lumumba ".

Le voyage ramène l’apaisement, mais le roi constate que la situation échappe au contrôle des autorités.

Par François Ryckmans.

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