Sortie de crise : remettons à plat la gouvernance du FMI et de l’OMC

La crise a éclaté il y a plus de deux ans. Même si elle n’a rien à voir avec celle de 1929, contrairement à ce que déclarent certains économistes dépressifs (je vous laisse deviner lesquels), elle est d’une ampleur qui pourrait être aussi grande. Le coût actuel de cette crise est déjà supérieur à 3 000 milliards de dollars [2 000 milliards d’euros] pour les seules banques (et ce n’est pas fini) et il peut être évalué à 20 000 milliards de dollars [13 400 milliards d’euros] pour l’ensemble de l’économie mondiale (soit vingt fois le coût actuel de la guerre en Irak et près de la moitié du PNB mondial).

Une crise d’une telle ampleur nécessite une «riposte graduée» à la hauteur des dégâts susceptibles d’être provoqués. Il n’est que de se rappeler, dans ce domaine, la «violence» du New Deal lancé par Roosevelt en 1933 pour «briser les reins» de la déflation et de la récession américaines : Glass-Steagall Act, qui a coupé les banques en deux ; création d’un gendarme de la Bourse (la SEC) ; assurance d’un revenu minimal aux agriculteurs (nombreux à l’époque) ; aide historique (dans ce pays congénitalement libéral) aux secteurs industriels en difficulté ; politique massive de grands travaux ; embauche par l’Etat de 2 millions de jeunes. Rien de moins.

Or, que constate-t-on aujourd’hui ? On a, certes, eu trois G20 qui ont enfin permis de faire asseoir à la table des négociations les pays émergents qui contribuent pour plus des trois quarts à la création de valeur de l’économie mondiale. On a, certes - et c’est très bien -, renforcé les moyens du FMI, pour aider celui-ci à jouer à nouveau son rôle de «pompier» de l’économie mondiale (sans pour autant s’assurer que celui-ci renonce à renouer avec ses vieux démons du «consensus de Washington»). On a aussi fait quelques «réformettes» sur deux sujets importants mais secondaires : les paradis fiscaux (en oubliant les deux principaux que sont les Etats-Unis et l’Angleterre) et les bonus des traders (en laissant les vingt-trois premières banques américaines provisionner 140 milliards de dollars pour leurs bonus 2009 [94 milliards d’euros]). L’éléphant du G20 a bel et bien accouché, à ce jour, d’une souris réglementaire. Et de plus en plus de voix (autorisées mais pas nécessairement compétentes) s’élèvent aujourd’hui pour saluer la «sortie de crise». Il faut se réveiller. La crise n’est pas finie.

Aucun des déséquilibres fondamentaux de l’économie mondiale n’a été restauré. Ni même examiné sérieusement dans le cadre des principaux organismes de gouvernance mondiale. Rien sur la non-coordination des politiques budgétaires. Rien sur la régulation des produits dérivés. Rien… Rien… La liste serait trop longue des chantiers de réformes qui n’ont pas été véritablement ouverts depuis plus de vingt-quatre mois.

Pour ne prendre qu’un exemple, celui des normes comptables européennes IAS : alors même que tous les spécialistes s’accordent (enfin) pour dénoncer leur caractère fondamentalement procyclique et leur parfaite inadaptation à une période de crise, l’Europe en est encore à se poser des questions sur la gouvernance de la fondation qui produit de telle norme, fondation à forte culture anglo-saxonne et sur laquelle ne s’exerce aucun contrôle de quelque nature que ce soit, alors même qu’elle n’a pour seul client que l’Europe !

Si l’on veut se donner la moindre chance de sortir de cette crise à un coût économique et social qui ne soit pas exorbitant, il faut cesser de se vouloir «économiquement correct» et de passer son temps à s’interroger sur le «sexe des anges» réglementaires. Il faut enfin se poser certaines «questions qui fâchent».

Faut-il remettre complètement à plat la gouvernance du FMI et, surtout, de l’OMC (que Pascal Lamy lui-même qualifie de «moyenâgeuse») ? Faut-il «nationaliser» les trois seules agences de notation (qui font commerce d’un bien public) ? Faut-il suspendre les normes comptables (IAS) et prudentielles (Bâle II ?) Faut-il centraliser tous les marchés de produits dérivés (pour mieux pouvoir les contrôler) ? Faut-il enfin réguler les marchés de matières premières (dont les errements débouchent, le plus souvent, sur des «émeutes de la faim») ?

Faut-il ? Faut-il ? Oui, il le faut à mes yeux. Ne pas le faire c’est se condamner à l’impuissance. Poser ces «questions qui fâchent» n’a rien de révolutionnaire, alors que les Américains ont nationalisé sans états d’âme une partie de leur système bancaire et alors que Gordon Brown, le Premier ministre anglais, s’interroge sur la nécessité de mettre en place la taxe Tobin. Poser ces questions n’en nécessite pas moins un certain courage politique car c’est autant de rentes qui seraient ainsi menacées. Les tabous qui entourent de tels sujets sont, en effet, le pur produit d’une économie rentière qu’il faut aujourd’hui dénoncer et combattre. Les intellectuels (ou supposés tels) ont, dans ce domaine, un rôle à jouer. N’ayant, pour la plupart, pas su prévoir la crise, ils doivent désormais, pour se faire pardonner, contribuer à éclairer la sortie de celle-ci...

Oliver Pastré, professeur d'économie à l'université Paris-8.